Source: Jeune-Afrique
Près de six mois après l’investiture de Alassane Ouattara, la transition n’est toujours pas achevée en Côte d’Ivoire. L’ouest du pays est de nouveau la proie de violences intercommunautaires et le Front patriotique ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo menace toujours de boycotter les élections législatives prévues le 11 décembre 2011. Rinaldo Depagne, analyste de la Côte d’Ivoire à l’International Crisis Group (ICG) décrypte les enjeux et les risques du premier scrutin organisé depuis la fin de la crise postélectorale. Interview.
Jeuneafrique.com : De nouvelles violences intercommunautaires ont récemment fait deux morts dans l’ouest. La Côte d’Ivoire est-elle prête pour de nouvelles élections ?
Rinaldo Depagne : Le fait qu’il y ait des violences lors de consultations locales en Côte d’Ivoire est un fait récurent, en particulier dans la zone complexe de l’ouest. En plus, on sort d’un conflit postélectoral meurtrier qui a, en particulier dans l’ouest, créé encore plus de tensions. Il y a donc des risques réels de violence, oui. Mais il est très difficile de juger si les conditions de sécurité sont satisfaisantes avant d’avoir fait les élections.
Les FRCI vont sécuriser ces élections. Il s’agira pour elles d’un test sur leur capacité à sécuriser la Côte d’Ivoire. Elles seront appuyées par le contingent de l’Onuci. L’attention que va porter la communauté internationale à la sécurisation de ces élections doit normalement minimiser les risques. Et même si le scrutin comporte moins d’enjeux que la présidentielle, il est très important. C’est l’occasion de revenir à la normalité institutionnelle.
Le FPI n’a toujours pas déposé de listes électorales auprès de la Commission électorale indépendante (CEI). Que pensez-vous de ses menaces de boycott ?
Défait électoralement puis militairement, le FPI est aujourd’hui extrêmement divisé.
Il serait dommage que le FPI ne participe pas aux élections car il représente un gros pourcentage de l’électorat ivoirien. Alassane Ouattara a été assez conciliant, il a demandé au FPI de participer, il a reçu ses dirigeants, il a ouvert un round de négociations. Mais la situation très complexe du FPI joue également un rôle. Défait électoralement puis militairement, le FPI est aujourd’hui extrêmement divisé entre partisans d’une ligne dure et responsables plus modérés qui souhaitent revenir dans le jeu politique en participant à la normalisation.
Quelles conséquences aurait ce boycott sur la stabilisation de la CI ?
Il donnerait une tonalité monochrome à l’Assemblée nationale ivoirienne, ce qui serait problématique pour le débat politique, pour la démocratie et pour le travail de réconciliation qu’il y a à faire. Une partie de l’opinion ne serait tout simplement pas représentée, n’aurait pas la parole à l’Assemblée nationale.
Qu’est-ce que ça signifierait pour Alassane Ouattara ?
Le risque serait qu’il détienne trop de pouvoir, sans même un groupe parlementaire d’opposition qui pourrait critiquer son action. Dans le cadre de la construction démocratique, ce n’est jamais bon quand quelqu’un a tous les pouvoirs.
Au centre du contentieux électoral, il y a la composition de la CEI qui n’a pas été modifiée depuis la dernière présidentielle : Youssouf Bakayoko et Yacouba Bamba notamment occupent toujours les mêmes postes de président et de porte-parole. Est-ce une erreur ?
Le fait que la composition de la CEI soit restée la même est en effet une erreur. Elle aurait dû être modifiée, en particulier parce qu’elle comporte des représentants de deux mouvements rebelles (le Mouvement pour la justice et la paix et le Mouvement populaire ivoirien du Grand Ouest) qui, absorbés par l’ensemble Forces nouvelles, n’existent plus aujourd’hui. Pour éviter des négociations trop longues et pour aller rapidement aux élections, on a permis à ces mouvements de rester et de garder des représentants.
Une des concessions, qui peut encore être faite, serait de rééquilibrer la CEI pour que celle-ci contienne beaucoup plus de représentants de l’ancienne mouvance présidentielle. Ça rassurerait peut-être les pro-Gbagbo et leur enlèverait une ligne d’argumentaire au durs du FPI.
Il est évident que la justice telle qu’elle est aujourd’hui est à sens unique.
On voit mal Ouattara envoyer des ex-comzones soupçonnés de crimes de guerre à la CPI. S’il ne le fait pas, cela veut-il dire qu’on a à faire à une justice de vainqueur ?
Il est évident que la justice telle qu’elle est aujourd’hui est à sens unique. Il y a dans plusieurs rapports d’organisations internationales, comme Human Rights Watch, de forts soupçons qui pèsent sur des éléments, et certains leaders des FN. Aucune procédure n’est actuellement en cours contre ces gens. Cela laisse au FPI tout le loisir de dire que c’est une justice de vainqueur.
Quel bilan peut-on tirer des premiers mois de la gouvernance de Ouattara en terme de sécurité ?
L’appareil de sécurité est toujours dans un état non satisfaisant. Il y a toujours des tensions fortes au sein de l’armée ivoirienne. Des problèmes d’amalgame, de cohabitation, et d’osmose entre les anciennes Forces de défense et de sécurité (FDS) et les FN. Vous avez également le problème du flou qui entoure la situation des 20 ou 30 000 volontaires qui ont participé à l’attaque sur Abidjan en mars et avril 2011, et qui n’ont été ni désarmés, ni recensés.
Le problème du désarmement, que l’on avait avant la présidentielle, a été décuplé par la crise postélectorale. Il est maintenant très difficile de récupérer toutes les armes de guerre qui sont en circulation dans le pays. Il faut donc créer les conditions politiques pour que les Ivoiriens ne s’en servent pas.
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Propos recueillis par Vincent Duhem
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