Par Dr. Dieth Alexis Vienne. Autriche
La démocratie se réduit-elle au pluripartisme formel, et le combat politique se réduit-il à la confrontation matérielle d’une multitude de partis assujettis à la personne du chef dans un culte de la personnalité qui, sans projet politique et sans idéologie, s’affrontent pour s’emparer du pouvoir d’Etat au détriment de la société globale ? Ou bien au contraire le combat politique dans la démocratie est-il constitué par la confrontation des programmes politiques et des projets de sociétés centrés sur la défense et le service de l’intérêt général, projets incarnés par des partis qui luttent conséquemment pour la prise du gouvernement? Ce questionnement prend toute son importance au moment où, en Côte d’Ivoire, dans le cadre des élections législatives, le FPI dont le chroniqueur Macaire Dagri, dans un article récent, vient de rappeler l’importance en tant que parti d’opposition, semble limiter son programme politique à la libération de son fondateur Laurent Gbagbo qui, accusé de crime contre l’humanité et emprisonné, est sous la menace d’une inculpation imminente par le Tribunal Pénal International. Un tel positionnement oblige à savoir si effectivement, comme l’écrivait il y a peu Macaire Dagri, Ouattara a besoin du FPI de Laurent Gbagbo pour conforter la démocratie en Côte d’Ivoire.
En quel sens Ouattara a-t-il besoin du FPI ? A-t-il besoin d’un parti d’opposition sans programme politique et sans projet de société pour apporter une justification à un multipartisme formel et sans contenu ? A-t-il, au contraire, besoin d’un parti d’opposition structuré par un programme politique rationnel qui oppose son projet de société et son idéologie à la sienne ; qui réfute argumentativement sa conception du développement économique et politique de la Côte d’Ivoire et propose par la voie de l’argumentation la pertinence d’une conception différente ? Certes, le pouvoir actuel doit administrer le pays en ayant en face de lui un réel contre-pouvoir crédible qui s’oppose. Un contre-pouvoir n’est cependant tel, et n’est crédible, que s’il propose un programme politique différent, un projet alternatif de société et des voies idoines permettant de réaliser l’intérêt général. Ne semblant avoir pour programme politique que la libération de son chef et des barons du parti emprisonnés pour des crimes commis durant la crise post-électorale, le FPI est-il une force politique incontournable dans le paysage politique ivoirien ? L’agitation et la mobilisation des militants du FPI autour de la libération du chef, suffisent-elles à dégager un espace politique pour un parti qui semble se caractériser désormais par une absence de programme politique et de projet de société?
Le FPI avait naguère conquis son audience et sa crédibilité politique en se présentant comme un parti de rassemblement dans une Côte d’Ivoire divisée par l’exclusion xénophobe instillée par l’ivoirité. Animée apparemment par l’idéologie socialiste, il était aussi apparu comme une alternative crédible face au pouvoir corrompu et vermoulu du PDCI. Toutefois, en reprenant à son compte, par calcul politique, la nauséabonde ivoirité, il avait commencé par décevoir la majorité des Ivoiriens. Il fut donc mal élu en 2000 et cliva la société en instaurant une dictature ethnique et xénophobe qui devait prospérer dans la corruption et le meurtre. Le FPI ne peut donc redevenir une force politique incontournable dans le paysage politique ivoirien que s’il satisfait aux réquisits d’un parti politique moderne structuré par une idéologie et un programme politique centrés sur le service de l’intérêt général dans une Côte d’Ivoire démocratique. La force d’une opposition et sa crédibilité ne reposent guère sur les mobilisations quantitatives impressionnantes de militants conditionnés et chauffés à blanc. Elles reposent sur la qualité de son projet de société et la pertinence de sa conception de l’économie et de la politique qui suscitent l’adhésion enthousiaste des populations. Ce sont les projets de société et les programmes politiques qui dégagent et construisent un espace politique pour un parti. Agissant dans le cadre de la société globale à laquelle chaque homme appartient en tant que citoyen dans la démocratie, les partis politiques reposent sur la solidarité générale. Le service et la défense de l’intérêt général constituent leur raison d’être. Ils s’engagent dans le combat politique dans ce but unique. Ils cherchent pour cela à conquérir le pouvoir ou à participer à son exercice, à conquérir des mairies et des sièges aux élections parlementaires, à avoir des députés et des ministres, à prendre le gouvernement du pays. Dans l’espace de la société démocratique, le combat politique se déroule à travers la controverse, la lutte des projets de société, les confrontations d’idées et de conceptions divergentes de la gestion de l’économie et de la politique pour la réalisation du bien-être collectif. L’opposition démocratique est une lutte politique. Assujetti et déterminé par le service de l’intérêt général dans le cadre de la société globale, le combat politique n’est pas un affrontement matériel qui recourt à la violence physique. Le combat politique n’est ni un combat matériel entre des groupes antagonistes sans projet de société, ni une négociation de concessions avec le parti au pouvoir en vue de réaliser et sauvegarder les intérêts particuliers de certains acteurs politiques de l’opposition. En ce sens, Mamadou Koulibaly, qui cherche à asseoir la visibilité politique de son nouveau parti sur la pertinence d’un programme politique explicite, n’occupe pas, par opportunisme, l’espace politique du FPI. Il ne tente pas de se faire une place dans un espace politique laissé vacant par la chute de l’ancien régime qu’il critiquerait par opportunisme politique. La critique que Mamadou Koulibaly adresse au FPI est centrée sur la dérive ethniciste, la corruption du parti et l’abandon du projet d’autonomie économique et politique d’une Côte d’Ivoire indépendante. Il intègre un espace déserté par un parti sclérosé qui refuse de faire son autocritique et d’exercer ses responsabilités de parti d’opposition dans le nouvel espace politique ivoirien. Mamadou Koulibaly occupe un espace d’opposition en présentant un projet de société alternatif. Contre le libéralisme pragmatique de Ouattara et du RHDP qui assume ses liens décomplexés avec l’Occident et fonde son projet de société dans le capitalisme agraire d’Houphouet Boigny, Koulibaly semble présenter un libéralisme différent centré sur l’autonomie économique et politique radicale de la Côte d’Ivoire. N’ayant jamais été socialiste, Mamadou Koulibaly a rompu avec le FPI, auquel l’unissait le projet d’autonomie d’une Afrique libérée de la dépendance néo-coloniale, projet qu’il estime que le FPI de Gbagbo Laurent a trahi. Libéral dans l’esprit et par conviction, il a donc créé un parti structuré par un programme libéral et par un projet de société centré sur l’autonomie économique et politique de la Côte d’Ivoire. Au libéralisme de Ouattara, qu’il estime être un libéralisme dans la dépendance économique et politique, il oppose un libéralisme dans l’autonomie politique et économique qu’il présente comme idéologie de son nouveau parti. Il propose donc aux populations sa conception du libéralisme au moment même où le FPI ne parvient pas à proposer au pays la conception du socialisme qui est la sienne. Soucieux de conserver son électorat, dont une frange importante intoxiquée par l’ivoirité a sombré dans l’extrémisme xénophobe, le FPI, qui ne veut pas donner l’impression d’ignorer ses barons emprisonnés, s‘enferme dans la rancœur politique et dans un extrémisme politiquement contre-productif qui vise vainement à le rétablir dans son statut de parti dominant d’avant la crise post-électorale. L’Ivoirien a du mal jusqu’aujourd’hui à distinguer ce que sont le programme politique, le projet de société du FPI, ce qui constitue sa version du socialisme. Le socialisme du FPI est-il la version nationale du socialisme, autrement dit un national-socialisme ivoirien comme le fut le national-socialisme nazi sous le troisième Reich allemand ? Ou le socialisme du FPI est-il un socialisme universaliste et internationaliste comme le fut le socialisme français dans la tradition de Jaurès ? La dérive ethniciste et xénophobe du FPI nous conduit à penser que son socialisme relève de la version nationale du socialisme. Dans ce cas, le FPI devrait l’assumer clairement et bâtir son projet de société sur le choix d’un nationalisme ethnique dans le cadre de la société multiethnique ivoirienne. Dans ce nouvel espace politique, le FPI pourrait se repositionner comme un Front national ivoirien. En restant sur son registre xénophobe – tout le monde se souvient de cette affiche fièrement brandi par les patriotes du FPI « Je suis xénophobe et alors ! » lors d’une de leur manifestation de soutien à Gbagbo en 2004 – le FPI pourrait redéfinir son idéologie politique en le centrant sur la préférence nationale pour occuper un créneau politique semblable au Front national français. Il lui faudra en conséquence se défaire de son masque panafricaniste pour s’affirmer ouvertement nationaliste et xénophobe en redéfinissant toutefois intelligemment une conception non exclusive de l’identité nationale dans le cadre de l’Etat multiethnique ivoirien. Le projet de société socialiste que le FPI n’a, en fait, jamais incarné en Côte d’Ivoire devrait dans ce cas être porté par un nouveau parti qui devrait voir le jour. Le paysage politique ivoirien serait ainsi constitué par divers partis porteurs de projets de sociétés contradictoires en compétition pour conquérir l’adhésion et le suffrage des populations.
Dans le nouveau contexte de la démocratisation des régimes politiques africains, le problème ivoirien pose donc la question de la réactualisation en Afrique de l’habitus du débat, de la controverse politique et de la politisation des populations qui furent courants avant les Indépendances et qui furent éclipsés par l’instauration des partis uniques et des dictatures après les Indépendances africaines. Mais il pose aussi la question du rôle des élites politiques et intellectuelles africaines, dont la tendance est d’instrumentaliser et de manipuler la tradition et les populations pour servir leurs fins particulières et leurs appétits de pouvoir multiforme, au lieu de servir de médiateurs entre la tradition et la modernité pour promouvoir le bien-être collectif.
Dr Dieth Alexis
Vienne. Autriche
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