Propos recueillis par Pierre Cherruau Source: www.slateafrique.com
Spécialiste de l’Afrique, Thomas Hofnung vient de publier l’essai «La crise ivoirienne, de Félix Houphouët-Boigny à la chute de Laurent Gbagbo» (Ed La Découverte). Il analyse pour SlateAfrique les conditions de la réconciliation. Deuxième partie de l’interview.
Spécialiste de l`Afrique, Thomas Hofnung vient de publier l`essai «La crise ivoirienne, de Félix Houphouët-Boigny à la chute de Laurent Gbagbo» (Ed La Découverte). Il analyse pour SlateAfrique les conditions de la réconciliation. Deuxième partie de l`interview.
SlateAfrique – Les exilés représentent-ils une menace pour la paix? Seraient-ils capables de lever une armée?
Thomas Hofnung – Je ne pense pas que les gens qui sont réfugiés au Togo, au Ghana, d’ancien hiérarques du régime de Gbagbo, à commencer par Charles Blé Goudé (ex-ministre de la Jeunesse de Laurent Gbagbo) qui a un certain pouvoir sur les jeunes, sur la FESCI (Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire) etc., soutiendraient une rébellion armée contre Alassane Ouattara. Mais, en Sierra Leone, au Libéria et en Côte d’Ivoire, un certain nombre de jeunes gens sont désœuvrés et pourraient reprendre les armes si l’occasion se présentait.
SlateAfrique – On parle beaucoup de l’impact de la reprise économique. Pensez-vous que la reprise économique est réelle. Et si c`est le cas peut-elle jouer un rôle important dans la réconciliation?
T-H – Oui, je pense que cela ne peut faire que du bien, de lancer des grands travaux et de donner du travail… Ce pays a une population très jeune, comme beaucoup de pays africains. Durant la crise, les jeunes étaient très présents dans les mouvements patriotiques (pro-Gbagbo). Par conséquent, si on leur donne des emplois, et c’est ce à quoi s’est engagé Ouattara, cela ne peut être qu’un point positif et encourager la réconciliation. La reconstruction économique est une condition nécessaire mais pas suffisante pour qu’il y ait une réconciliation en profondeur en Côte d’Ivoire. La question de la justice et de la fin de l’impunité est fondamentale.
SlateAfrique – Comment expliquez-vous que pour beaucoup d’Africains, Gbagbo apparaît comme un patriote africain luttant contre le néocolonialisme?
T-H – Gbagbo est un excellent tribun. Mais on a vu ses limites durant les élections. Par ailleurs, il faut faire la distinction entre ses discours et ses actes. Il est l`un des derniers représentants de cette génération de chefs d’Etat africains très tournés vers la France. C`est un paradoxe étonnant chez Gbagbo: il a tenu durant toutes ces années un discours offensif sur la seconde indépendance. Un discours qui a beaucoup porté et qui n’est pas dénué de fondement, car la France est restée très présente en Côte d`Ivoire. Il y a peu de pays sur le continent qui sont restés aussi longtemps liés à l’ancienne puissance coloniale. Mais dans le même temps, les entreprises françaises ont été protégées par Gbagbo. En 2004, il a donné la concession du port à conteneurs d’Abidjan de gré à gré à Vincent Bolloré. Donc, il n’a absolument pas remis en question les intérêts français en Côte d’Ivoire. L’image de Gbagbo ne correspond pas à la réalité.
SlateAfrique – Dans votre essai, vous expliquez que les Français doivent comprendre que l’on a changé d’époque et qu’ils ne vont pas retrouver le rôle qui était le leur. Mais, en même temps, on voit que les Français ont porté au pouvoir Ouattara. Ne peut-on pas dire que les Français ont finalement gardé la même influence?
T-H – Effectivement, ils ont la main actuellement en Côte d’Ivoire. Mais ce n’est que provisoire. Se croire en terrain conquis serait une grossière erreur. Le discours de Gbagbo laissera une empreinte importante. Les jeunes générations ne sont pas spécialement anti-françaises, mais plus tournées vers l’extérieur. On ne va pas revenir à un tête-à-tête entre la Côte d’Ivoire et la France. Les Français ont peut-être l’impression qu’ils pourront toucher les dividendes du rôle déterminant qu’ils ont eu durant la crise et la chute de Gbagbo. Mais je suis persuadé que d’autres pays vont tirer leur épingle du jeu. Par ailleurs, les Ivoiriens eux-mêmes ont envie d’ouvrir leurs pays à d’autres Etats.
SlateAfrique – Vous expliquez que l’un des grands problèmes de la Côte d’Ivoire, c’est la classe politique (les erreurs de Gbagbo, de Bédié et de Ouattara). D’une certaine façon, n’est-ce-pas dédouaner un peu vite les Ivoiriens? Vous affirmez que ce qui manque à la Côte d’Ivoire, c’est un Nelson Mandela. N’est-ce pas à la population de favoriser son émergence?
T-H – C’est vrai que l’on peut dire: «On a les dirigeants que l’on mérite». Les deux figures qui ont émergé sont Guillaume Soro et Charles Blé Goudé. On ne peut pas dire que ce sont des modèles pour la jeunesse. Ils viennent tous les deux de la FESCI, qui a été un vivier de dirigeants, mais qui a versé dans l`ultra-violence. La relève n’est pas nécessairement rassurante. Pour l’instant, le mieux placé, c’est Guillaume Soro. Il faut que les partis politiques arrivent à faire émerger de nouvelles figures. C’est une question de salubrité publique.
SlateAfrique – Un an après l’élection présidentielle, les partisans de Laurent Gbagbo continuent à affirmer qu’il a gagné. Pourquoi continuent-ils à défendre cette thèse? Peut-on être sûr de la victoire de Ouattara? Peut-on considérer qu’aujourd’hui une démocratisation du pays est en marche, avec un Etat de droit, une liberté de la presse?
T-H – Le problème, c’est la façon dont Ouattara a accédé au pouvoir. Pour moi, il est incontestable qu’il a gagné l’élection. On peut toujours dire qu’il y a eu des fraudes dans le Nord. Il y en a eu dans l’Ouest aussi. Mais à partir du moment où il y a eu un soutien du PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire de l`ancien président Henri Konan Bédié), d’un point de vue arithmétique, Gbagbo ne pouvait pas gagner. Les résultats ne sont pas surprenants. Gbagbo a fait une mauvaise campagne. Il a été mal conseillé, y compris par des communicants français. Alors que Ouattara a mené une campagne plus en phase avec le pays. Il y a eu tout simplement une soif de changement. Or Gbagbo est resté collé à cette période de guerre et disait: «si vous m’élisez, je vais pouvoir enfin appliquer le programme pour lequel vous m’aviez élu en 2000». C’était ne pas tenir compte des années qui venaient de s’écouler. Ouattara a plutôt mis en avant ses qualités de gestionnaire en disant: «élisez-moi et vous aurez un emploi». Il a une vraie légitimité démocratique, qui sera renforcée avec un vrai parti d’opposition et des élections législatives transparentes, «sans exclusive».
Concernant la liberté de la presse, on a eu des inquiétudes au départ: la parution de certains journaux avait été empêchée. Mais cela s`est arrangé depuis et certains titres d`opposition sont très offensifs. Ils tiennent des discours très anti-Ouattara. Pour l’instant, Ouattara a l’air de tenir le cap.
On peut dire que c’est «l’année zéro» de Ouattara. Il doit aussi reconstruire la justice. Tout cela prend du temps. Là où il peut agir le plus vite, c’est sur le plan économique et financier. Mais il ne faut pas que la Commission de réconciliation soit une sorte de substitut à la justice.
SlateAfrique – N’est-ce pas périlleux en tant que Français d’écrire sur la Côte d’Ivoire? N’êtes-vous pas toujours accusé d’être dans un camp ou dans un autre?
T-H – Il y avait très peu d’observateurs indépendants pendant cette crise, et de rester à égale distance des uns et des autres n’était pas simple. En tant que journaliste, j’ai essayé de l’être. Mais le simple fait de parler avec les rebelles à l’époque était perçu comme une prise de position par les pro-Gbagbo. D’autres confrères l’ont vécu, notamment à RFI. Dire la vérité telle qu’on la cernait nous plaçait forcément, aux yeux des uns et des autres, dans un camp ou dans l’autre. Par exemple, dénoncer les crimes commis par les pro-Gbagbo, c’était être pro-Ouattara. Alors que dénoncer les escadrons de la mort, la disparition du journaliste français Guy André Kieffer, la répression des manifestations de mars 2004 etc… ne nous a pas empêché d’évoquer la mise en coupe réglée du pays par les forces nouvelles, les massacres commis entre rebelles, les revirements de Guillaume Soro, etc… Mais ce n’était jamais suffisant aux yeux des pro-Gbagbo. Ils avaient du mal à concevoir une presse indépendante du pouvoir français.
SlateAfrique – Vous avez déjà publié un livre sur la Côte d’Ivoire en 2005, pourquoi publier un nouvel essai aujourd`hui?
T-H – Il me semblait qu’un cycle s’achevait avec l’élection de l`automne dernier. Le livre précédent s’achevait sur cette question des prochaines élections. Avec la crise post-électorale, la chute de Gbagbo et l’investiture de Ouattara, la boucle est bouclée.
SlateAfrique – Est-ce que la Côte d’Ivoire a trouvé son Mandela? Ouattara est-il ce Mandela?
T-H – Non, parce qu’Alassane Ouattara est l’un des protagonistes de la crise. Il fait partie de la bande des trois, avec Bédié et Gbagbo. Il sera le dernier de cette génération, sans doute. Il n’a pas l’aura de Mandela car il n’a pas le même parcours, et parce qu’il a aussi ses propres ambiguïtés. On sait bien que tous les groupes qui ont essayé de renverser Gbagbo au début des années 2000 se réclamaient d’Alassane Ouattara. Lui a toujours dit qu’il n’y était pour rien. Mais le fait est que des gens ont pris les armes pour lui permettre d’arriver au pouvoir. Il ne sort pas indemne de toute cette histoire.
SlateAfrique – Quand vous parlez d’ambigüités, vous parlez d’un rapport ambigüe à la violence?
T-H – Son but était de venir pacifiquement au pouvoir. Je pense que c’est quelqu’un de consensuel qui n’aime pas la confrontation. Mais il avait en même temps une vraie soif de pouvoir et une revanche à prendre sur l’Histoire. Il n’est pas Mandela, mais il peut être l’homme de la réconciliation de la Côte d’Ivoire, ce que n’a pas su faire Gbagbo. S’il arrive à mener à bien cette entreprise, il pourra vraiment marquer l’Histoire.
Propos recueillis par Pierre Cherruau
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Retrouvez la première partie de l’interview de Thomas Hofnung
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