Séka Emmanuel est le père du commandant Anselme Yapo Séka dit Séka Séka. Nous l’avons rencontré, le jeudi 20 octobre 2011 à Biasso, son village. Il se prononce sur l’arrestation de son fils et donne son point de vue sur la réconciliation nationale.
Vous êtes bien le père du commandant Anselme Séka Séka ?
Oui, je suis son père.
Le commandant Séka Séka est-il votre fils aîné ?
Non. Il est le troisième, si je tiens compte des enfants que j’ai perdus.
Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ?
(Il hésite, cherche une date et finit par répondre : Ndlr) Je ne me rappelle plus. Une chose est sûre, c’est que depuis les événements post électoraux, je ne l’ai pas revu…(il hésite:Ndlr) Disons depuis décembre 2010. J’étais malade en décembre et il est venu au village me voir. Il a acheté mes médicaments et il est retourné à Abidjan. Il n’est plus revenu jusqu’aujourd’hui.
N’avez-vous pas eu de contacts téléphoniques depuis lors ?
Quand il est retourné à Abidjan, on s’appelait régulièrement. Mais depuis le mois d’avril 2011, j’ai perdu tout contact avec lui. Je m’inquiétais beaucoup pour lui. Je n’avais aucune nouvelle de lui.
On ne vous a pas informé de ce qu’il était dans un pays de la sous-région ?
De qui aurai-je eu ces informations ? Personne dans la famille ne savait où il était quand les éléments de l’armée nationale se sont dispersés. Ses amis non plus n’étaient pas informés. Pour moi, il n’était plus à Abidjan, puisque ses différents numéros de téléphone ne répondaient plus. Mais je n’avais aucune idée du pays où il s’est retranché et j’en souffrais.
Comment avez-vous appris son arrestation
(Il observe un silence d’une trentaine de secondes et pousse un soupir). J’ai appris son arrestation à travers la télévision. On dit qu’il allait à Conakry et c’est quand l’avion est arrivé à Abidjan qu’il a été arrêté.
Qu’avez-vous ressentir en ce moment-là ?
J’ai été vraiment choqué et cela continue de me choquer. J’ai pleuré. Et je continue de pleurer. Je me demande ce qu’il a bien pu faire pour qu’on le présente nu à la télévision nationale, lui qui a servi son pays. Je sais qu’il était derrière la présidente Simone Gbagbo (aide de camp: Ndlr). Est-ce parce qu’il était derrière Mme Gbagbo qu’il a été arrêté ?
Avez-vous cherché à le voir ?
J’aimerais bien le voir et m’assurer au moins de sa santé. Mais il paraît qu’en ce moment, c’est impossible. Donc, je ne sais pas où il se trouve et entre les mains de qui il est. J’ai peur pour sa vie.
On a entendu dire qu’il était le chef des escadrons de la mort et qu’il était impliqué dans la disparition du journaliste français André Kieffer. N’avez-vous pas entendu parler de tout ça ?
J’ai entendu toutes ces accusations contre Séka Séka. Je sais que l’affaire Kieffer a été portée devant la justice. Je suis vraiment surpris qu’on dise autant de méchancetés sur mon garçon. Je ne suis pas sûr qu’il soit capable de commettre les actes qu’on lui reproche. C’est un garçon sans histoire. On dira que c’est mon fils et que je ne peux dire que du bien de lui. Mais interrogez ceux qui l’ont fréquenté, ceux qui ont fait l’école militaire avec lui. Ils vous diront qui est réellement Séka Séka. En tous cas, depuis que je l’ai mis au monde, je n’ai jamais appris qu’il a volé, qu’il s’est bagarré. Je n’ai jamais appris qu’il a fait du tort à quelqu’un à l’Empt (Ecole militaire préparatoire et technique : Ndlr ) de Bingerville où je l’ai inscrit quand il était enfant. Classé parmi les meilleurs de sa promotion, il est allé en France pour sa formation d’officier. Quand il est revenu à Abidjan, je n’ai jamais entendu de mauvaises paroles contre lui. Ces accusations ne sont que des préjugés. C’est peut-être de la jalousie ou la simple volonté de nuire à quelqu’un. J’attends que ceux qui l’accusent apportent simplement les preuves de leurs accusations, sinon ce serait facile de fabriquer des choses pareilles contre Séka Séka.
On cite également Séka Séka dans la mort de Robert Gueï, qu’en savez-vous ?
Mais pourquoi serait-il cité, alors qu’il n’avait aucun rapport avec le général Gueï ? Je ne le crois pas capable de se saisir d’une arme pour tuer quelqu’un.
Vous arrivait-il d’aborder tous ces sujets avec lui, quand il venait au village ?
Oui bien sûr, je ne manquais aucune occasion de parler de tout ça avec lui. Je le sentais peiné et malheureux devant toutes ces accusations. Un jour, il m’a dit ceci: ‘’ Tu vois papa, on m’accuse à tort. Les escadrons de la mort, je ne sais même pas ce que c’est. Mais ne t’en fais pas, un jour la vérité éclatera et tu verras que je ne suis nullement concerné par toutes ces choses’’. Jamais, je ne l’avais vu avec un air aussi sérieux et sincère. Et je partageais ses peines.
Le jour où on vous autorise à rencontrer votre fils, que lui diriez-vous ?
Je vais lui demander ce qu’on lui reproche. Je sais qu’il est garde du corps. C’est tout à fait normal qu’il se batte pour la personne qu’il garde. C’est le rôle, à mon avis, de tout bon militaire. Il était dans la garde de Mme Gbagbo. C’est tout ce que je sais. Mais alors pourquoi l’arrête-t-on ? Le jour où j’aurai l’occasion de le voir, je lui poserai la question de savoir ce qui s’est passé. Moi j’attendais plutôt que le président de la République, M. Ouattara, appelle Séka Séka et qu’il s’entende avec lui, parce que c’est un officier compétent. Il a servi son pays et peut mettre sa compétence au service du pouvoir actuel. Parce qu’un officier travaille pour la République
Que pensez-vous de la réconciliation ?
Réconciliation ?
Oui la réconciliation…
(Il laisse échapper un sourire) Réconciliation…réconciliation. Voyez-vous, nous qui sommes au village, ça ne nous concerne même pas.
Pourquoi ça ne vous concerne pas ?
Ceux qui étaient à Abidjan et qui sont nos porte-voix ont tous quitté le pays, de peur d’être arrêtés ou d’être tués. Alors quand on parle de réconciliation, j’aimerais bien savoir ce que ça veut dire. On arrête ton père, ton frère, ton ami et on vient de parler de réconciliation, qu’auras-tu à dire dans ce cas ? C’est de demander après ton proche qu’on a arrêté, n’est-ce pas ? Nos ministres, nos secrétaires et fédéraux de parti sont tous en exil. Alors, qui cette réconciliation concerne en fin de compte, si d’autres sont en prison ? Donc si on nous parle de réconciliation, nous les pauvres planteurs qu’avons-nous à dire ? On n’a pas d’autre choix que de dire oui. Finalement, on a peur. Même si on ne nous oblige pas, on ne peut que dire oui. Si on doit mettre la main sur ceux qui ont quitté le pays à chaque fois, alors je me demande comment cette réconciliation pourra se faire.
Vous ne croyez donc pas à la réconciliation ?
Je n’y crois pas ! Et je suis inquiet. Vous, vous y croyez ?
Qu’avez-vous sur le cœur que vous aimeriez dire ?
Ce que je peux dire, c’est de demander au président de favoriser la réconciliation. D’abord en mettant fin aux arrestations et en permettant à ceux qui ont quitté le pays de revenir. Les hommes passent, le pays demeure. Si hier les autres ne vous ont pas emprisonnés, n’en faites pas de même aujourd’hui, parce que demain ce sera au tour de quelqu’un d’autre d’être au pouvoir. Le président Ouattara est au pouvoir. Il sait ce qu’il fait et c’est à lui de faire en sorte que ce pays sorte de cette situation.
Réalisée par
Alain BOUABRE
Source: Soir Info
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