Des primaires peuvent-elles s’organiser en Afrique ? par Macaire Dagry

Le Parti socialiste français vient de désigner avec succès son candidat pour la prochaine élection présidentielle par des primaires ouvertes. Après celles-ci, c’est au tour de l’Amérique de se passionner pour les primaires du Parti Républicain. Inspirée donc du modèle américain, cette pratique démocratique peut-elle révolutionner et bouleverser en profondeur les vieux schémas classiques d’organisation et de fonction des partis politiques ?
Jusqu’à présent, les acteurs politiques organisaient toutes leurs stratégies de conquête de pouvoir, essentiellement par la maîtrise et le contrôle des organes et des bases électorales de leur parti. Désormais, avec cette américanisation des pratiques politiques ainsi que l’importance des outils des nouvelles technologies de l’information et de la communication, la conquête du pouvoir au sein des formations politiques se fera de plus en plus par le suffrage universel élargi aux non adhérents. Et cela, dans un rapport direct avec l’ensemble de la population, au-delà même de tout cadre partisan et idéologique, comme ce fut le cas avec l’avènement d’Obama dans l’espace politique américain. Cette nouvelle donne politique a l’avantage de renforcer la démocratie et réconcilier les citoyens avec leurs acteurs politiques. Elle peut donner aussi une indication réelle sur la popularité et l’image des futurs candidats à la magistrature suprême. Les primaires sont donc en train de transformer fondamentalement les règles et usages politiques traditionnels en les inscrivant dans une logique moins sécurisante pour les candidats. Cependant, elles pourraient apparaître comme plus adaptées à l’évolution des mœurs et des mentalités, dans un monde de plus en plus globalisé et uniformisé. Cela pose de fait, la question du changement des habitudes et des traditions dans nos sociétés et partis politiques africains.
Pourrait-on voir dans les cinq ou dix années à venir, l’organisation de primaires au sein des formations politiques africaines afin de désigner nos candidats à l’élection présidentielle ? Dans la pratique, rien ne s’y oppose pour cela. Mais sociologiquement et psychologiquement, le « Chef » d’un parti politique en Afrique sera-t-il prêt à accepter de reconnaître sa défaite face à un « Jeune » candidat qui aurait la préférence de la population ? La notion de « Chef » en Afrique peut-elle être dissociée de l’âge, ou de la lignée d’où on est issu, ou du rang social, ou encore de la représentation symbolique de la toute puissance du chef ? Peut-on imaginer demain, un Abdoulaye Wade au Sénégal, ou Paul Biya au Cameroun ou encore un Blaise Compaoré au Burkina Faso organiser des primaires, les perdre et se retirer en félicitant le « Jeune » vainqueur ? Quand on voit toute l’énergie déployée par les uns et les autres pour s’accrocher au pouvoir en dépit du poids de l’âge et de la maladie, rien n’est encore gagné. Cependant, peut-on vraiment en vouloir à nos « Chefs traditionnels Républicains » de confisquer le pouvoir dans une logique de « Chef » traditionnel africain ? Nous sommes directement responsables et fautifs de cette réalité que nous cautionnons et encourageons par notre passivité complice. Sinon, comment expliquer que malgré les multiples critiques de mauvaise gouvernance, de vols, de pillages de l’Etat, de corruption etc. de nos « Chefs traditionnels-Républicains », nos populations continuent toujours à leur apporter leur suffrage, voire se faire tuer pour eux à travers des guerres civiles. L’organisation de primaires aujourd’hui en Afrique comporte trop d’incertitudes pour nos « Chefs traditionnels Républicains », qui n’ont pas encore intégré dans leur représentation de la démocratie, la notion de défaite et sa reconnaissance publique. Mieux encore, en introduisant la notion de primaire dans le champ politique africain, comme en Occident, cela permettra d’instaurer une autre manière de concevoir la politique.
La généralisation et même la normalisation des primaires partout en Afrique engendreront de fait, le début de la fin du militantisme « ethnique » et des militants endoctrinés qui le plus souvent adhèrent à tel ou tel parti en fonction de la religion ou de l’ethnie du leader. Avec ce nouveau mode de désignation élargi à l’ensemble de la population, au-delà même du clivage traditionnel Gauche-Droite-Centre et des ethnies, c’est l’ensemble du vieux schéma de fonctionnement de « Chefferie » qui pourrait s’effondrer. Et cela, au profit d’une inconnue angoissante, mais, démocratique qui finira tôt ou tard par s’imposer en dépit du poids de nos traditions ancestrales, de plus en plus inadaptées à l’évolution de nos sociétés modernes. Les primaires peuvent-e elles s’organiser en Afrique ?

Macaire Dagry
Chroniqueur Politique à Fraternité Matin
macairedagry@yahoo.fr

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