Editorial Par Alafé Wakili
Kadhafi: Il n’a pas eu le courage ultime de narguer le CNT et le monde occidental en posant le geste fatal de la dignité et de l’honneur
Kadhafi avait la chance de mourir en vrai héros et en véritable martyr. Il n’a pas eu le courage ultime de choisir sa propre mort, et de narguer ainsi le CNT et l’ennemi occidental, qui le traquaient à son tour, comme un rat ; sort qu’il réservait à ses adversaires. Une mort horrible. Une fin triste et dramatique ! Humiliation ! Kadhafi est donc mort. Et après ? Kadhafi est mort. Et la suite ? Il est tué dans le film. Et alors? Peut-on se recueillir et respecter une trêve ? Dans son roman « L’étrange destin de Wangrin », le sage africain Amadou Hampâté Ba, avait dit que la mort est un moment de réconciliation, de pardon et de rassemblement. Celle de Kadhafi peut-elle mettre fin aux crispations, ainsi qu’aux violences ? La mort de Mouammar Kadhafi rend un peu sympathiques dans leurs fins, des dirigeants comme Hosni Moubarak et Ben Ali. Dictateurs qu’ils furent, ils n’ont finalement pas eu recours à la solution finale : c’est-à- dire détruire tout et liquider tout sur leur passage. La logique de la terre brûlée. Du moi ou rien. Le peuple égyptien et tunisien devraient donc se souvenir que Moubarak et Ben Ali n’ont pas été Kadhafi. Autant la mort n’absout pas Kadhafi, autant on remarque que si Moubarak et Ben Ali devaient être jugés au même titre que l’ex-leader libyen, il serait bien difficile pour un juge de leur appliquer la même sentence. Cela nous ramène à la Côte d’Ivoire et à la question Gbagbo : l’ex-chef de l’Etat ivoirien est-il coupable ou responsable des choses qu’on pourrait lui reprocher, au même niveau et degré de gravité que Mouammar Kadhafi ? Dommage pour Kadhafi et les siens. Dommage pour les panafricanistes du continent qui, au lieu de rêver de nouveaux, vrais et authentiques Nkrumah, ont pu, à bon droit et de bonne foi, croire que Kadhafi pouvait incarner l’unité africaine, là où il s’agissait d’incantations démagogiques et d’une grande comédie à laquelle nos dirigeants et des élites du continent, ont hélas participé. Elites médiatiques, élites économiques et élites financières. Sur le continent, on aime souvent citer que l’Occident a flirté avec Kadhafi qui était donc fréquentable hier, pour justifier des amitiés et des engagements avec lui. Non ! L’Afrique doit enfin accepter de s’assumer et d’assumer son histoire dans toute sa dimension. Dans l’émotion, nous avions voulu voir hier Kadhafi en héros, jusqu’au bout : un leader authentique, assumant ses engagements et ses révoltes contre l’ordre injuste, comme le font tous ces révoltés qui défient la mort, et qui s’immolent ! Un leader se tirant une balle dans la tête ou faisant exploser son bunker, pour éviter l’humiliation des images de sa mort, comme tout humain. Or donc, Kadhafi n’est rien. Il est comme tout le monde, comme vous, comme moi : un simple mortel ! Tout ça en fait pour rien. Vanité des vanités, tout est vanité. Poussière…. Les grands du monde doivent toujours avoir à l’esprit la peur du pouvoir et de ses dérives. La responsabilité consiste à agir quand on est au pouvoir, pour ne jamais donner l’occasion à quiconque d’agir avec barbarie et tant de haine et de violence à son encontre. Critiquons certes l’Europe, l’Occident et la France. Mais qui a pris la peine d’écouter les derniers messages de Kadhafi ? Il traitait une partie de son peuple de rat. Il a refusé les offres de partage de pouvoir de l’Union africaine, encore incapable de dire droit dans les yeux à Kadhafi de partir. Les appels à la haine étaient terribles. Plus que le CNT, Kadhafi en sa qualité de président en exercice, avait la responsabilité de la paix. La violence et la rébellion ne sont point des modèles à cautionner par principe. Une position claire et sans ambiguïté ! Mais les circonstances y conduisant, sont connues. Et en aucune manière, il ne faut créer des prétextes conduisant à la violence. Ce n’est pas parce que dans le principe, la violence et les rébellions armées sont proscrites, qu’il faut absolument et jusqu’au bout soutenir l’imposture et toutes les raisons qui y conduisent. Je me souviens de ces paroles de David Gakunzi, écrivain burundais et intellectuel panafricaniste résident en France : « quand les hommes se parlent, ils ne se tuent pas ». Il faudra ajouter cela, au préambule de l’Unesco (la guerre commençant dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes qu’il faut enseigner les bienfaits de la paix, je cite de mémoire.) Mon désaccord avec David Gakunzi réside sur cette autre idée selon laquelle, jamais, jamais il n’aurait fallu arriver aux armes lourdes, jamais, jamais la France et l’Onu ne devaient intervenir. Et cela sans considération de la durée de la crise et du temps que cela aurait pris pour parvenir à un règlement pacifique du conflit. Oui dans le principe. Mais que fallait-il faire de cette souffrance des pensionnaires du Golf hôtel, de ce peuple apeuré et affamé dans sa majorité, d’Abidjan se vidant, de ses Ivoiriens en exil déjà en grand nombre, de ce pays qui se décomposait, et qu’une guerre civile menaçait ? De ces tueries à Duékoué, et ailleurs avant même que la Licorne et l’Onuci n’entrent en scène. Oui on peut nous donner la réponse et la solution idéales version LMP : lever les embargos sur les ports et lever les sanctions, recompter les voix, etc. Mais, il se trouve que l’Union africaine avait fini par dire enfin que Ouattara avait gagné. Mieux, l’UA proposait le 11 Mars 2011, un schéma qui ne plaisait pas trop dans le fond à son camp, mais qu’Alassane Ouattara avait accepté : investiture de Ouattara comme président de la République par le Conseil constitutionnel, garanties pour le statut de Laurent Gbagbo, dialogue pour la désignation d’un Premier ministre et des ministres de la Défense et de l’Intérieur. L’UA remettait en cause de ce fait l’accord Ouattara-Bédié. Tout le monde a vu Affi Nguessan et Alcide Djédjé, à leur retour d’Addis Abeba, dénoncer et récuser cette décision très africaine, très UA. Laurent Gbagbo, ne s’est point engagé à l’appliquer, avant de saluer la nomination d’un médiateur de l’UA chargé de l’implémenter. Paradoxe : comment appliquer un accord qu’on refuse d’endosser et d’accepter ? C’est seulement à partir de sa capture le 11 avril 2011, que Laurent Gbagbo, Affi Nguessan et des partisans de l’ancien régime ont commencé à parler de dialogue politique, et d’un accord politique, oubliant qu’ils n’étaient plus en position de force. Pourtant, le camp Ouattara aurait pu être mis en difficulté, avec cet accord de Ouaga à l’envers, ce schéma kenyan et zimbabwéen renversé et plus juste de l’UA: la victoire est reconnue au vrai vainqueur, mais on a toujours un partage du pouvoir, qui ne dit pas son nom (ou plutôt qui le disait, malgré les réserves émises par le camp Ouattara). Laurent Gbagbo et LMP ont choisi de gagner le temps avec cette conviction : jamais Sarkozy et l’Onu n’iraient si loin, ne bombarderaient.
Selon eux, sans intervention aérienne massive, dont les FRCI ne disposaient pas en propre, mais qu’elles pouvaient avoir dans deux ou trois mois supplémentaires, si la crise durait encore, difficile pour les hommes de Ouattara et de Soro d’entrer dans le bunker. Après plusieurs semaines de résistance héroïque des LMP, les FRCI et le monde entier auraient fini par reculer et la Côte d’Ivoire aurait été libérée, estimaient les stratèges militaires du camp Gbagbo. Accepter et endosser le rejet des solutions contraignantes de l’UA, tenter des manœuvres pour continuer de confisquer et détourner la volonté du peuple, ne pouvait pas rester une stratégie politiquement viable à long terme. On ne pouvait pas discuter toute la vie ! Un ami sur facebook a écrit ceci sur son profil hier après la mort de Kadhafi. «Moralité : ne jamais oser faire front aux Blancs. Ce sont les maîtres du monde.» Mais en vérité, ce n’est pas là le problème. Les blancs, c’est quoi même! C’est aussi des hommes non ! Ils meurent, ils tombent malades, ils ne sont pas immortels ! D’ailleurs, le nommé Arcadius Ogou a rétorqué « Ils ne sont pas au-dessus de Dieu et donc si tu as Dieu en toi en la personne du St Esprit, tu es plus que vainqueur donc plus que maître (Rabi). » Suivez mon regard….. Et l’auteur de ces lignes de réagir dans les termes suivants, qui au-delà de la Côte d’Ivoire et de la Libye, résument, à mon sens, les vrais enjeux et les défis de l’émancipation de l’Afrique. Des enjeux que les souverainistes du continent, et les représentants de l’Afrique dite digne refusent d’assumer, intégrant les micro nationalismes et protonations africaines si bien décrites par Jean Ziegler. En fait, c’est cela le paradoxe des souverainistes aussi bien de Côte d’Ivoire que du Cameroun, de l’Angola, de la Libye… Ils sont d’abord très chauvins, attachés à leur pays, plus qu’à l’Afrique. Ils n’aiment pas les étrangers. Leur nationalisme est d’abord interne, avant d’être africain. Il n’est même jamais africain. Sur ce plan-là, Kadhafi n’était vraiment pas un panafricain. Il était plutôt folklorique. Alors, moralité 2 à l’attention de mon ami Charles S: « servir vraiment son peuple sans démagogie, dans la justice, la transparence, l’Etat de droit. Savoir renoncer à l’orgueil personnel pour le salut collectif du pays et du peuple. Ce n’est pas donné à tous mais cela reste une exigence devant s’imposer à tout homme d’Etat digne de ce nom. Wade au Sénégal et d’autres dirigeants devraient s’en souvenir. Et enfin si nous, Africains et autres non blancs et nos dirigeants, mettions au centre de la communauté, les ressources, nous serions plus forts. On comprendrait que les Chinois, les Japonais ne sont pas des blancs mais résistent aux blancs et travaillent dans la dignité sans être le modèle de référence absolu. Nous Africains quand nous résistons aux blancs, c’est pour nous allier à la Chine. Quand enfin accepterions-nous d’être grands et de nous émanciper aussi bien des blancs que des jaunes, de construire l’Afrique ? Notre être même d’africain, nos Etats et nos langues sont des créations de blancs. Nous sommes ivoiriens, nous sommes togolais, sénégalais, zimbabwéens, maliens, rwandais, congolais…etc. Ce n’est pas africain ça. Ce sont des créations de blancs pour nous. Comment avoir les armes pour résister aux blancs si nos fiertés nationales octroyées pour nous affaiblir et pour empêcher la force face à eux, est l’instrument de notre être et de notre existence? Moralité 3: construire l’unité africaine sur des bases vraies et durables…. Et un africain authentique, un vrai panafricaniste, s’il doit vraiment pleurer la mort de Kadhafi, doit également déplorer le fait qu’il n’ait songé à l’Afrique que pour sa propre gloire, et non pour l’épanouissement de son peuple en Libye et des peuples d’Afrique. Adieu Kadhafi, viva Libya, viva Africa !
Par Alafé Wakili
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