Écrit par DOUA GOULY Source: Fraternité Matin
Se rendre à Ziriglo pour toucher du doigt les réalités de ce village après l’attaque dont il a été victime dans la nuit du 15 au 16 septembre dernier. Voilà la mission que s’est assignée Fraternité Matin. Une équipe de Grand reportage est donc dépêchée sur Taï le 22 septembre.
Tout se passe bien jusqu’au chef-lieu de sous-préfecture. Dans la soirée, au cours de la visite de courtoisie rendue au sous-préfet de la localité, M. Etienne Yao, le représentant de l’administration territoriale se montre sceptique devant ses invités. «Je ne suis pas sûr que vous arriverez à Ziriglo. Il n’y a plus de route. Même à moto, ce n’est pas très évident», affirme-t-il.
M. Joseph Dézailly, le 2e adjoint au maire de Taï, a la même réaction. «Taï-Ziriglo, c’est l’enfer. Vous-voulez vraiment aller à Ziriglo ? Alors vous avez intérêt à vous réveiller très tôt», nous prévient M. Dézailly. Toute la nuit, l’équipe a réfléchi à la stratégie à adopter pour emprunter la piste tant redoutée. La première option est de tenter un passage forcé avec le véhicule de reportage. Après quoi, il y a le plan B. Il consiste à négocier avec des propriétaires de moto.
Le lendemain matin, à 6h du matin, la mise à exécution du plan principal échoue à 500 m de la gare routière. Le chauffeur abandonne « le combat », dès le premier obstacle. Une zone boueuse qui s’étend seulement sur 100 m.
Retour à la gare routière. Il faut solliciter les services d’un motocycliste. Le premier contacté nous demande 15 000 Fcfa et donne ses conditions. «Je ne prends qu’une seule personne. La route est très mauvaise. Il ne faut pas prendre de risque». Pour deux personnes, il faut deux motos, donc 30 000 francs. Trop cher pour notre bourse. Les frais de ce type ne sont prévus dans le budget de la mission. Le chauffeur est à nouveau mis à contribution. Il doit trouver un moyen pour contourner la zone où il a échoué. L’encouragement des autres membres de l’équipage le galvanise. Le motocycliste se montre même gentil. «Passez vers l’antenne de la Rti, vous allez tomber sur le bon chemin», nous conseille-t-il. Nous sommes peine sortis de la ville que nous sommes confrontés à un autre obstacle. Cette fois-ci, personne n’a le courage de dire au chauffeur d’essayer quoi que ce soit. C’est la fin de parcours. Plus de choix que de se tourner vers les motos.
Dans cette grisaille, la chance nous sourit. Des gendarmes trouvés au corridor de sortie sur la route de Ziriglo nous proposent d’attendre le tracteur de la société qui achète l’hévéa. «Négociez avec eux. C’est de cette manière que les commerçantes procèdent les jours de marché», disent-ils.Photos : Abdoulaye Coulybaly
Nous attendons donc le tracteur à ce barrage. La présence des gendarmes peut aider par rapport au tarif. Dix minutes d’attente et voilà l’engin. L’apprenti fait rapidement ses formalités de sortie avec les agents. Nous approchons le conducteur et demandons à partir avec eux. Il n’oppose aucune difficulté à notre requête. «Montez ! En cours de route, nous allons voir le reste ». Le discours est rassurant. Seulement, le tracteur s’arrête sept kilomètres avant Ziriglo. Mais c’est déjà bon.
La benne qui sert de remorque est bondée de femmes et d’hommes qui vont au marché de Tien Oula. L’ambiance est bon enfant. Perchés sur le couvercle de la roue du tracteur (la place la plus sécurisée par rapport à la remorque qui peut se renverser à tout moment), nous nous accrochons aux piliers de la cabine. Un kilomètre après la sortie de la ville, l’apprenti informe les passagers. «A la prochaine côte, tout le monde doit descendre. L’endroit est dangereux», prévient-il. Cette côte, en fait, est une zone marécageuse d’environ un mètre de profondeur qui s’étend sur plus de 500 m.
A l’endroit indiqué, les hommes s’empressent de sauter de l’engin. Certaines femmes traînent les pieds. D’autres sont même restées dans la benne, malgré les injonctions du conducteur. «Ici n’est pas grave. Nous pouvons rester sans problème», lancent-elles. Une demi-heure pour franchir le premier obstacle du tronçon. Trente minutes au cours desquelles le conducteur a fait montre de dextérité. Sous les applaudissements des passagers en guise d’encouragement.
La caravane poursuit son chemin. Allègrement vers Ziriglo. Les commerçantes parlent de tout et de rien. Question en fait de tuer le temps. Parce qu’après une heure de route, nous avons parcouru à peine sept kilomètres. Les unes évoquent l’attaque de Ziriglo. Les autres se contentent juste de faire des prévisions quant aux achats à faire au marché. Polo Oula, Diéré Oula sont dépassés après trois heures de parcours. La moitié du chemin n’est pas encore faite. Le dos commence à faire mal. Les montées et descentes deviennent lassantes. Mais nous n’avons pas le choix. Il faut faire avec.
Port Gentil nous accueille à 11 h 30. Un petit village wobi dont le nom rappelle une ville gabonaise. Selon un membre du convoi, cette agglomération a eu ce nom de l’un de ses fils qui a travaillé sur un bateau pendant le temps colonial. Ayant séjourné au Gabon, il aurait donné le nom de la deuxième ville gabonaise à son campement. Qui deviendra plus tard un village. A la sortie de Port Gentil, un barrage des forces de l’ordre est dressé. Il est tenu par deux gendarmes et un élément des Frci. Ces soldats ont, en fait dépassé le tracteur depuis une quinzaine de minutes. « C’est à cause de nous qu’ils ont roulé très vite. Ils nous attendent », explique l’apprenti du tracteur. Effectivement, un coup de sifflet se fait entendre quant nous arrivons à leur niveau. A peine l’apprenti a-t-il mis le pied à terre qu’il est apostrophé : « Donc vous faites le transport maintenant »? Le gendarme qui tient ces propos a aussitôt la réponse à sa question à travers un billet de 2000 francs que lui tend son interlocuteur. «Voyez- vous, si nous ne prenons pas ces femmes, le marché de Taï ne sera pas approvisionné en vivres. Eux-mêmes qui nous taxent sur les routes sont les premiers bénéficiaires du commerce que font ces femmes », rouspète le conducteur.
Après une heure de piste et avec des difficultés de plus en plus croissantes au fur et à mesure que l’on avance, le convoi atteint Sakré. Point final pour le tracteur. «Vous êtes à environ sept km de votre destination. Débrouillez-vous avec les motos», nous suggère le conducteur.
Trente kilomètres en quatre heures. Le temps que mettrait un car entre Yamoussoukro et Abidjan. Et Jean-Noël Gnaghoué, planteur à Sakré de dire : « Nous sommes des oubliés de la Côte d’Ivoire. Vous êtes venus pour les morts de Ziriglo, c’est bien. Mais chaque jour, nous enregistrons des morts en grand nombre. Des femmes meurent constamment en couches parce qu’on ne peut pas les évacuer à Taï en cas de difficultés lors de l’accouchement. Des maladies bénignes emportent pas mal de personnes, faute de soins adéquats ».
Une moto est négociée pour rallier Sakré et Ziriglo. Le propriétaire, un commerçant de cigarettes, se proposent même de nous ramener à Taï après avoir livré ces produits à ses clients. Une proposition très intéressante dans la mesure où ce dernier accepte de prendre deux personnes à la fois. Surtout que nous ne pouvons plus, à notre retour, compter sur le tracteur parce qu’il va faire un chargement de cinq tonnes de latex. C’est à ce moment que l’attention de tout Sakré est attirée par les vrombissements du moteur d’un hélicoptère de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci). Plusieurs baraques du marché perdent leur toiture lors de l’atterissage de l’avion sur le stade de l’école. Un attroupement se forme aussitôt autour des fonctionnaires onusiens (une femme et un homme) qui ont pris des renseignements auprès des autorités villageoises. « Ils cherchent Ziriglo. Depuis une semaine que le drame s’y est produit, c’est maintenant qu’ils arrivent », lance un jeune en direction de la foule venue aussi aux nouvelles.
Photos : Abdoulaye CoulybalyCinq minutes de route après Sakré, la moto sur laquelle nous sommes se renverse dans l’eau. Ses occupants avec. Mauvais signe. Le conducteur s’en explique : le câble d’embrayage était coincé au moment où il passait la vitesse. La peur de retomber dans la boue nous envahit. Gon Oula est dépassé après une pause de dix minutes (temps mis par le conducteur pour livrer les cigarettes à ses clients). Ce village a aussi fait les frais du courroux des allogènes. Des maisons ont été incendiées dans la partie gauche de Gon Oula habitée par les Woubi.
Finalement, Ziriglo nous accueille peu après 13 h et Nigré (à un kilomètre), où se trouve la base des Frci, vingt minutes plus tard. Six h pour parcourir 37 kilomètres ! «Avec dix mille, cent mille, même un million de soldats à Taï, si la route reste dans cet état, les attaques des hommes armés contre la population vont se répéter avec succès. Dès que nous avons su qu’il s’agissait d’une attaque contre le village, nous avons alerté les Frci stationnées à Para (7 km). Leur renfort est arrivé vers 10 heures, soit cinq après le départ des assaillants. Les éléments de Taï sont arrivés ici à 16 h pour une attaque qui a pris fin à autour de 5 h du matin », évoque, amer le porte-parole des jeunes de Ziriglo.
La pluie s’est mise de la partie vers la fin de notre séjour dans ce village. L’inquiétude s’installe en nous par rapport au chemin retour. Tout s’est finalement bien passé. Nous avons atteint Taï à 19 h. Fatigué certes, mais aussi avec la satisfait d’avoir accompli notre mission.
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Interview du Sous-préfet de Taï
La crise de Ziriglo n’est pas la première crise de Taï. Après le conflit post-électoral, au niveau de Taï, il y a eu des attaques répétées. La première a eu lieu le 2 juillet dernier dans la forêt du village de Dahobly. Deux Burkinabè ont été surpris et assassinés. Nous n’avons pas pu mettre la main sur les auteurs de cet acte qui ont disparu, après leur forfait, dans la forêt. Dans la nuit du 18 au 19 de ce même mois de juillet, les campements de Béhikro, Konankro et Norbertkro ont été attaqués par des individus mal intentionnés et armés. Ils ont fait neuf morts : six Baoulé, un Lobi, un Gouro et un Burkinabé. A partir de cet instant, les populations ont commencé à s’inquiéter davantage. Certains collègues et moi avons fait beaucoup de sensibilisation pour que nos administrés comprennent le message du gouvernement qui souhaite que toutes les populations vivent en bonne intelligence et en parfaite harmonie sur toute l’étendue du territoire.
Apparemment votre message n’est pas passé puis qu’une nouvelle attaque vient d’être perpétrée dans votre circonscription.
Nous continuons notre démarche malgré tout. Déjà, accompagné des autorités politiques, le maire et le député, nous nous sommes rendu à Timbo, au Liberia, pour convaincre nos compatriotes guéré et wobi, qui se sont rendus là-bas après la crise de revenir. Car nous estimons que leur présence en Côte d’Ivoire peut contribuer à la consolidation de la paix sociale. Nous avons pris beaucoup de risques en traversant par pirogue le fleuve Cavally. Certains sont rentrés après notre passage à Timbo. D’autres nous ont appelé pour nous dire qu’ils s’apprêtent à venir lorsque, malheureusement, est intervenue la grande attaque de Ziriglo. Cette attaque a créé encore beaucoup de suspicion. Cela risque donc de retarder le processus. Mais nous ne sommes pas découragé. Nous allons continuer de travailler.
Contrairement à ce qui se dit de façon officielle à Abidjan, la frontière ivoiro-libérienne n’est pas sécurisée. Comment expliquez-vous l’écart entre ce qui est dit et la réalité du terrain ?
Il est vrai que les Forces républicaines de Côte d’Ivoire sont présentes sur place. Mais nous n’avons pas de route. C’est dire que malgré leur bonne volonté, ces forces de l’ordre ne peuvent donner le résultat escompté. Vous êtes vous-même parti jusqu’à Ziriglo ; vous savez que pour parcourir les 37 kilomètres qui séparent ce village de Taï, il faut mettre six heures. S’il faut mettre tout ce temps sur ce trajet avant de pouvoir mener une intervention, il est clair qu’avant l’arrivée des forces de l’ordre, les assaillants seront déjà partis. Ce paramètre est extrêmement important. C’est pourquoi notre souhait est d’avoir une route praticable.
Les populations de Ziriglo se sentent orphelines depuis cette attaque. Elles n’ont reçu la visite d’aucune autorité depuis une semaine (23 septembre, Ndlr). Est-ce ce problème de route qui vous bloque ?
L’absence de route fait qu’il nous est impossible de nous y rendre. Nous avons envoyé la gendarmerie et les militaires sur place. Pour se rendre à Ziriglo, il faut marcher dans la boue et terminer le parcours à moto. Alors nous ne disons pas qu’il est impossible de s’y rendre, mais nous disons que c’est difficile.
Votre voiture de commandement n’est-elle pas adaptée à ce terrain ?
Nous n’avons pas de véhicule de commandement justement.
Comment faites-vous pour sortir de Taï ?
C’est difficile. Nous nous débrouillons vraiment avec les moyens du bord. Le ministère d’Etat, ministère de l’Intérieur, nous a promis que nous aurons des véhicules. Nous ne sommes pas seul dans ce cas. Sauf que notre zone est un peu plus difficile. Mais nous pensons que le ministre, après avoir tenu cette même promesse qu’il a faite à Guiglo, va penser à nous très bientôt.
Le premier adjoint de Taï a sollicité auprès du ministre délégué à la Défense que les gendarmes d’ici soient armés à titre exceptionnel. Qu’en pensez-vous ?
Il est important qu’il y ait plusieurs forces sur place pour conjuguer leurs efforts. L’essentiel est que la population vive dans un milieu sécurisé. Le ministre appréciera la demande des autorités politiques. Nous pouvons même avoir une base militaire ici.
Les populations demandent le départ des dozo en qui elles n’ont pas confiance. Que comptez-vous faire pour les rassurer ?
A Taï, pour l’instant, il n’y a pas assez de dozo. Personnellement, nous n’en avons pas encore vus. Et nous n’avons pas encore été saisi de façon officielle de ce problème.
Propos recueillis par
D. GOULY
Grand Reporter
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