Tai: Après l’attaque du 15 au 16 sept. 2011 tristesse et colère règnent encore à Ziriglo

Adjoint maire de Tai

Taï: La tristesse et la colère règnent encore à Ziriglo

Par DOUA GOULY Envoyé spécial de Fraternité Matin à Taï

Une dizaine de tombes à l’entrée de Ziriglo, village de la sous-préfecture de Taï, indiquent un enterrement collectif récent. En face de celles-ci, un barrage tenu par les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci). Ces militaires montrent visiblement des signes de nervosité, à la vue des passants. Ainsi, les motocyclistes, qui bravent la route de Taï pour arriver à leur niveau, sont soumis à un interrogatoire avant qu’ils ne lèvent la barrière. En compagnie des chasseurs traditionnels du nord de la Côte d’Ivoire appelés dozo, reconnus par leur tenue, les Frci ne laissent passer personne sans fouiller ses bagages. Au poste de contrôle, une moto entièrement calcinée tient encore sur ses béquilles.

Un peu plus loin au cœur du village, du côté du marché, un quartier totalement incendié. Conséquence : de nombreuses familles ont tout perdu dans l’incendie de leurs maisons.

Ici, habitaient ceux que l’on appelle à Ziriglo « les gâteurs » ou « assaillants ».

Rien ne présageait une telle situation à Ziriglo qui, au bout d’une seule nuit, a basculé dans des violences ayant fait officiellement 23 morts.

La nuit du 15 au 16 septembre 2011 a commencé par une fête dans ce village où un jeune Burkinabé célébrait son mariage. Et comme c’est le cas, en pareille circonstance, tous les jeunes se sont rassemblés au domicile du couple. Avec la belle-famille venue d’un autre village accompagner la mariée. L’ambiance était très bonne jusqu’au premier coup de feu entendu aux environs d’une heure du matin.

« Personne n’a pris au sérieux les premiers coups de feu. Des jeunes ont même lancé des cris de joie », se souvient Abdoulaye, un habitant. Mais très vite, ils vont se rendre compte qu’il s’agit plutôt d’une attaque armée. «Les détonations, qui ne pouvaient être celles de kalaches ou de fusils calibre 12, sont devenus très fortes, quelques instants après les premiers coups de feu. Blessé, un élément des Frci courait vers le village en criant : ‘’Sortez, le village est attaqué !’’, raconte Abdoulaye. Qui ajoute : « l’alerte était ainsi donnée à tout le monde »,

Tous les convives n’auront pas le temps de quitter les lieux. Deux d’entre eux seront atteints par balles. Un rendra même l’âme sur le champ. A partir de cet instant, c’était la débandade générale dans le village. Dans la mesure où, sur les quatre éléments des Frci qui tenaient le barrage, un a été tué et un autre blessé. «Les assaillants avaient le champ libre pour massacrer la population. Ils ont commencé par les boutiques et ceux qui ont de l’argent », explique un autre jeune.

Le calvaire des populations a duré plus de trois heures. De maison en maison. De boutique en boutique. Tout est passé au peigne fin. Avec sang-froid. Une bonne connaissance des lieux a contribué à la réussite de l’opération du commando. « Chez mon frère Oumar, un mécanicien du village, ils ont crié ‘’Oumar sors ici’’. Oumar s’est échappé par la fenêtre. Ils ont tué sa femme enceinte et ses deux enfants trouvés sur place », raconte un frère du rescapé.

Kimba Siddo, le chef de la communauté nigérienne de Nigré, a également perdu son fils de 25 ans, gérant de la boutique familiale. La gorge nouée, il donne ce témoignage : «Ma famille dort à la maison. C’est mon fils Assane qui passe la nuit à la boutique. Quand les tirs ont cessé, je suis allé la boutique. Je n’y ai pas vu mon fils. J’ai suivi les traces de sang qui sortaient de là. Et j’ai découvert Assane derrière le magasin dans une marre de sang. Quand il m’a aperçu, il a crié : ‘’Papa sauve-moi ; trouve un camion pour m’envoyer à l’hôpital ’’. Je suis allé voir un camionneur qui a passé la nuit ici. Mais celui-ci, par peur, a demandé qu’on attende le lever du jour. A 6 heures, au moment où on a pris la route de Taï, Assane a rendu l’âme ».

La communauté des allogènes de Ziriglo est formelle. Les assaillants sont des jeunes Woubi qui ont fui le village après la crise post-électorale pour se réfugier au Liberia, proche de moins de deux kilomètres. «Vers 4 h du matin, soutient l’un deux, les tirs se sont orientés vers le Liberia. Les assaillants ont même pris des hommes en otage pour transporter leurs bagages jusqu’au fleuve. Ceux-là n’ont pas été tués. Ils peuvent en témoigner». Ces témoins ne sont pourtant pas visibles. Personne n’ose dire leur nom, ni où les trouver.

Parmi les blessés, côté assaillants, l’un d’entre eux a été abandonné sur place. « C’est lui qui a tout avoué. Nous le connaissions. Il habitait chez le chef du village », renchérit un élément des Frci. Les villageois comme les Frci désignent une même personne comme étant le cerveau de l’attaque. Il s’agit de Tokala Gnahoué Jean dit Diégo. Cet ancien chef milicien de Ziriglo a quitté le village un jour avant l’attaque. Un jeune de Ziriglo dit même l’avoir aidé à monter la côte du village en poussant sa moto.

Un autre indice pousse les parents des victimes à montrer du doigt la communauté woubi. Outre le fait que plusieurs des assaillants parlaient anglais, le dimanche 11 septembre, le chef du village avait organisé une réunion pour demander le départ des Frci de Ziriglo parce que, estimait-il, «la paix est revenue ». Les allogènes s’étaient opposés à sa démarche et avaient plutôt exhorté commandant Frci à faire venir du renfort. Ils disent aujourd’hui qu’ils avaient vu juste. Car, sans les Frci, il n’y aurait pas eu les échanges de tirs qui les ont permis de fuir le village.

Contrairement aux autres interlocuteurs, Alassane, un autre habitant de Ziriglo, ne pense pas que les assaillants aient fait irruption dans le village à cause de l’argent. « Des gens comme Abou ou Dao Aboubacar ou encore Salif Bamba qui ont été tués n’ont pas d’argent », assure-t-il tout en se gardant de se prononcer sur l’identité des tueurs. «On ne pouvait pas s’approcher d’eux pour les identifier. C’est seulement après le départ de ces assaillants que nous avons constaté les dégâts », ajoute-t-il.

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Les tombes

Dès les premiers instants de l’attaque, les Woubi ont déserté leur village. Beaucoup d’entre eux n’ont véritablement rien vu dans les tueries. « J’étais dans ma maison et la nuit, j’ai entendu des gens crier en dioula « Ahi bê bô, Ahi bê bô ! ‘’sortez tous, sortez tous’’(nrd). Alors je suis partie également dans la brousse », affirme Mme Houbo Colette. C’est de Tien Oula, à 7 Km, qu’elle a appris par la suite que des gens ont été tués dans son village et que sa maison a été incendiée. « Je ne suis pas prête à retourner à Ziriglo. Les tueurs sont encore là », souligne-t-elle sans autre précision sur l’identité des assaillants.

Kouhia Koré Antoinette, originaire de Ziriglo, qui a trouvé refuge à Taï, est quant à elle furieuse lorsqu’elle entend des gens dire que les jeunes Woubi sont les auteurs de l’attaque. « Combien y a-t-il de jeunes Woubi dans le village pour perpétrer une telle opération ? Pensez-vous qu’ils puissent attaquer plus de mille personnes ? Ce n’est pas possible. Je suis convaincue que ce ne sont pas les jeunes du village qui ont commis ce carnage », dit-elle. Mme Kouhia Koré soutient également n’avoir vu ni entendu un seul Libérien à Ziriglo le jour de l’attaque. Cependant, s’empresse-t-elle de préciser, « je ne peux pas dire si l’attaque a été menée par les étrangers eux-mêmes, ni si c’est un Mossi ou un Baoulé qui a tué ces habitants ».

Elle s’étend longuement sur les conditions de retour des populations woubi dans les villages. Qui, curieusement, ne reposent que sur le départ des populations allogènes. Qu’elle traite même de tueurs. «Les gens ont incendié nos maisons. Nous avons tout perdu. Avant que nous ne retournions à Ziriglo, il faut qu’il n’ait plus un seul tueur là-bas. Tant qu’il y en aura dans notre village, nous n’allons pas y aller. La sécurité de la région commence par le départ de tous les allogènes et allochtones de notre village. Le bilan annoncé est très léger. A l’heure actuelle, certains habitants de Ziriglo ne sont pas encore sortis de la brousse. Or si elles croisent les tueurs dans la forêt, c’est fini pour elles », dit-elle avec colère.

Elle continue en fustigeant les agissements des Baoulé de Tien Oula en ces termes : « Dans notre fuite, à Tien Oula, les baoulé nous ont empêche de passer. Ils ont pris des machettes, des fusils et des lance-pierres contre nous ».

A propos de l’incendie d’une partie du village, les jeunes allogènes rencontrés sur place ont confirmé en avoir été les auteurs. Ils ont justifié cet acte par le fait que certains des leurs aient été tués avec la complicité du chef du village ayant hébergé le cerveau des miliciens qui a attaqué Ziriglo avec son groupe.

Encadré:
La peur a changé de camp

Avant la crise post-électorale, les populations qui n’étaient pas originaires de l’ouest (Baoulé, Burkinabé, Malinké) craignaient les milices composées de jeunes de la région. A Duékoué, Guiglo, Bloléquin, Toulépleu et Taï, ces miliciens faisaient la loi. Ils étaient les maîtres, même devant les forces régulières. Aujourd’hui, la donne a changé. Maintenant, ce sont les autochtones qui s’estiment menacés.

A Ziriglo, comme à Nigré et dans d’autres villages environnants, les Woubi sont partis. Abandonnant tout derrière eux : récoltes, plantations, maisons (si elles n’ont pas été incendiées). Parce que les nouveaux maîtres sont les dozo. Ces chasseurs traditionnels, planteurs aussi, travaillent ensemble avec les Frci.

Le premier adjoint au maire de Taï, M. Joseph Dézailly, a mis les pieds dans le plat quant au phénomène dozo qui prévaut à l’ouest. A l’occasion de la visite du ministre délégué à la Défense dans cette localité, le porte-parole des populations a demandé le désarmement de chasseurs traditionnels.

Pour bien des personnes interrogées à Taï, « les dozo continuent de parader dans les villages avec leurs fusils. Or, ils ne font pas partie des forces régulières que sont les Frci, les gendarmes, les policiers, et les agents des Eaux et Forêts. Si le gouvernement demande que les personnes non autorisées à porter les armes soient désarmées, les dozo, qui sont avant tout des planteurs, comme les autres habitants des villages, doivent aussi être du lot ».

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Au poste de contrôle de Ziriglo, les dozo sont plus nombreux que les éléments des Frci. Toute chose qui n’est pas faite pour inciter les Woubi à revenir dans leur village.

Autre fait décrié dans le Moyen-Cavally, les gendarmes ne sont pas armés. Lors des patrouilles conjointes qui se font à deux ou trois sur les routes, seul l’élément des Frci détient une arme. Ce qui peut être dangereux pour l’équipe en cas d’attaque. A ce sujet, l’adjoint au maire de Taï a sollicité que, de « façon exceptionnelle », les gendarmes de sa localité aient des armes de service.

Ces derniers temps, des rumeurs persistantes annoncent que le groupe d’Amadé Ouérémi est en train d’être déployé du Mont Péko à la forêt de Taï. Vrai ou faux ? Toujours est-il que les autorités politiques ne veulent plus que leurs populations soient surprises par des attaques sanglantes. Comme ce fut déjà le cas à trois reprises.

DOUA GOULY

Envoyé spécial à Taï

Photos : Abdoulaye Coulibaly

 

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