Nord-Sud
Célèbre pour avoir signé un certificat de nationalité au président Alassane Ouattara, le juge Epiphane Zoro-Bi qui vit une sorte d’exil en République démocratique du Congo, ne devrait plus tarder à rentrer au bercail.
Vous êtes de plus en plus régulier au pays. Etes-vous en train de vous préparer à rentrer comme vous l’annonciez dans un entretien chez un confrère ?
Oui ! Effectivement, mon séjour actuel a un lien avec la préparation de mon retour définitif prévu pour pas trop longtemps. J’aurais l’occasion de vous l’annoncer officiellement mais, je suis en train de prendre les dispositions pour ce retour. Je suis ici, à l’invitation du président de la Commission dialogue, vérité et réconciliation, en vue de prendre part à la cérémonie d’investiture du 28 août dernier à Yamoussoukro. J’en ai profité pour discuter avec le président et les membres de la commission d’un certain nombre de projets qui visent la sortie de crise. Ces démarches devraient participer de mon retour.
Quelle est la part que vous comptez prendre dans la sortie de crise ? Allez-vous intégrer la Commission dialogue, vérité et réconciliation ?
Je ne peux pas dire pour l’heure si j’intègre ou pas la commission. Avec des partenaires internationaux, nous avons développé un projet qui est relatif à la gestion des risques de conflits identitaires. La question de l’identité, de la définition de la citoyenneté, de la nationalité reste au cœur du problème. Donc, l’Ong belge Verbatims, en partenariat avec l’Ong ivoirienne, La Cité de la Tolérance, envisage apporter une contribution à la Commission dialogue, vérité et réconciliation dans le cadre de la formation de leaders d’opinions sur l’ensemble du territoire, dans le domaine de la gestion des risques de conflits identitaires. C’est donc un projet que j’ai présenté au président de la Commission dialogue, vérité et réconciliation qui l’a favorablement accueilli.
En un mot, vous comptez travailler avec la commission sous la bannière d’une organisation de la société civile…
Effectivement, pour le moment, ce sera sous la bannière de la société civile, spécialement avec les organisations Verbatims et La Cité de la Tolérance.
A la faveur de ce séjour, avez-vous pu rencontrer le chef de l’Etat ?
Oui, le président de la République m’a fait l’honneur de me recevoir au palais présidentiel, mardi dernier. Nous avons passé en revue un certain nombre de questions, notamment tous les défis de reconstruction post-crise qui se présentent. Et les signaux qui sont donnés aussi bien par le chef de l’Etat que par ses collaborateurs sont extrêmement encourageants, non seulement par rapport à l’engagement à renforcer la protection et la promotion des droits de l’Homme mais aussi à renforcer la gouvernance démocratique, la bonne gouvernance et l’instauration d’une certaine éthique du travail au sein de la société ivoirienne. Ce sont des signaux très importants et encourageants que le chef de l’Etat a eu l’occasion de partager avec moi. J’ai eu par ailleurs l’opportunité de constater par moi-même que la Côte d’Ivoire est au travail.
Vous êtes célèbre pour avoir signé le certificat de nationalité de M. Ouattara au moment où il semblait frappé par une mesure de bannissement. Quel sentiment vous anime aujourd’hui où Alassane Ouattara est le président de la République ?
Le seul sentiment qui m’anime est celui du triomphe de la justice.
Mais, à l’époque, le pari n’était-il pas osé ?
Oui ! Le contexte était extrêmement sensible. Mais, c’est justement dans ce genre de contexte extrêmement difficile, qui met le système judiciaire et l’intégrité professionnelle à l’épreuve, qu’il faut affirmer les valeurs d’une justice en tant que service public, indépendante et impartiale. L’acte qui a été posé en son temps, doit être interprété comme un acte visant à refuser l’arbitraire et à faire triompher la justice, celle qui est appelée à protéger les droits de tous, indépendamment des contingences politiques et des intérêts particuliers.
Quels étaient quand-même les dividendes que vous espériez tirer de ce acte, fût-il courageux ?
Ah non ! Il ne faut pas forcément apprécier ce genre d’actions en termes de dividendes à tirer. Le seul dividende que j’en ai tiré, c’est la satisfaction d’avoir accompli une obligation professionnelle et une valeur déontologique majeure, celle du service public de la justice au service de tous, sans discrimination.
Cet acte vous a aussi valu beaucoup de problèmes. Avez-vous eu le soutien de M. Ouattara pour traverser ces moments difficiles ?
J’ai bénéficié de son soutien moral mais, pas seulement de lui. Des personnes et des personnalités respectueuses des valeurs d’indépendance du système judiciaire et de respect des droits individuels et collectifs m’ont également apporté leur soutien et leurs encouragements. Elles m’ont soutenu parce que cet acte qui pouvait être caractérisé de courageux à l’époque, devait faire tâche d’huile, et méritait d’être encouragé.
Quelle est l’appréciation que vous avez faite, de loin, de la crise post-électorale qui a entraîné des milliers de morts ? Pensez-vous que les Ivoiriens auraient pu faire l’économie de ce drame ?
Dans l’absolu, on aurait pu l’éviter si les leaders politiques avaient tenu compte de l’intérêt national, de la Côte d’Ivoire, de sa population, au-delà des intérêts individuels et partisans. Nous n’allons pas revenir sur les causes profondes de la crise mais, nous avons espéré que sa solution définitive viendrait de l’élection du 28 novembre 2010. Malheureusement, là encore, tous les acteurs n’ont pas été loyaux, en l’occurrence le président sortant, Laurent Gbagbo qui a essayé de trafiquer les résultats des urnes avec la complicité du président du Conseil constitutionnel. Cela nous a enfoncés dans une crise dont les conséquences étaient déjà tellement complexes. Cela a complexifié davantage la résolution de l’ensemble des questions et des défis post-crises à relever.
Si vous devriez donner des conseils au président de la Commission dialogue, vérité et réconciliation, quels devraient-ils être ?
Ce serait prétentieux de ma part de dire que j’ai quelques conseils à donner au président Charles Konan Banny. Il a été nommé et la commission a été instituée sur la base d’une ordonnance. Laquelle ordonnance donne un mandat spécifique à la commission. La séance de travail que j’ai eue avec le président Banny m’a fortement édifié quant à sa détermination à mettre en œuvre son mandat d’une manière rigoureuse et objective. Il a besoin du soutien de toute la population pour réussir sa mission. La réconciliation est avant tout une question de volonté collective et n’est pas l’affaire du seul président Banny, même s’il en est le chef d’orchestre. La coordination des initiatives de réconciliation et de rétablissement de la cohésion sociale est d’une impérieuse nécessité. Le respect par tous du mandat de la commission impose d’éviter la dispersion. J’ai le sentiment qu’un cadre de concertation au plus haut niveau de l’Etat sur les questions de justice, vérité et réconciliation s’impose.
Seriez-vous un partisan de l’absolution des péchés ou de la justice pour sanctionner les coupables ?
Nous devons partir du principe que les crimes les plus graves, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité ne peuvent pas être absous. Les cas de viols et de toutes les formes de violences sexuelles faites contre la femme devraient également être considérés comme non-amnistiables. Il en est de même des crimes économiques. Leurs auteurs devront répondre de leurs actes devant la justice. Il appartiendra à la commission de faire des propositions en ce sens. Pour les autres formes d’infractions liées à la crise, il faut être réaliste pour admettre que tous les coupables présumés ne pourront pas être appréhendés et jugés. Il n’y aurait pas assez de prison pour les contenir. Pour ces catégories, il pourrait être envisagé d’autres formes de sanctions et d’absolution. Quelles que soient les mesures arrêtées, il faudra veiller à ce que les intérêts des victimes soient pris en compte et que des garanties de non-répétition soient adoptées.
Mais il faut garder à l’esprit que la Commission Dvr n’est pas une commission judiciaire, elle n’a pas le pouvoir de se prononcer sur la culpabilité de qui que ce soit. Elle est chargée de rétablir la vérité des faits, de développer un certain nombre d’activités visant à reconstituer le tissu social, à faire émerger ce sentiment de vivre ensemble et devra faire des recommandations au chef de l’Etat.
Cependant, toutes les actions judiciaires en cours, dans la mesure où elles participent de la réconciliation ou ont un impact sur cette dernière, devraient être menées en concertation étroite avec la Commission.
Ne va-t-il pas avoir de mélange de genres ?
Non ! Il n’y a pas de mélange de genres. Chaque commission a sa spécificité. Le chef de l’Etat, à travers cette ordonnance, a voulu confier à la Commission dialogue, vérité et réconciliation, la mission spécifique non seulement de rechercher la vérité, c’est-à-dire de pouvoir enquêter sur les événements qui se sont passés mais également de pouvoir faire de la formation, de l’éducation, de la sensibilisation en vue de la prévention.
Mais, il est important d’aborder l’ensemble des questions et des mesures qui sont prises pour la sortie de crise de manière holistique. Il est extrêmement important de prévoir une passerelle entre les activités de la Commission dialogue, vérité et réconciliation et les actions judiciaires qui sont menées en ce moment. Qu’il s’agisse d’actions judiciaires nationales ou internationales, il est également important de prévoir une passerelle entre le travail de la commission et les initiatives qui sont prises au niveau interministériel pour la cohésion sociale. Il faut également prévoir une passerelle entre la commission et tout le travail de réformes du système sécuritaire et de réforme du système judiciaire. C’est l’ensemble de ces réformes qui peut aboutir à la réconciliation nationale parce que la réconciliation n’est pas un moyen mais le résultat d’un certain nombre d’initiatives. Je réitère l’idée de la nécessité d’un cadre de concertation au plus haut niveau politique sur l’ensemble de ces questions, sous la responsabilité de la Commission Dvr.
Le ministre ivoirien des droits de l’Homme a préconisé un transfèrement de Laurent Gbagbo à la Cpi pour faciliter la réconciliation. Etes-vous du même avis que lui ?
Il est important, pour favoriser la réconciliation, de lutter contre l’impunité. L’ancien chef de l’Etat a sûrement sa responsabilité dans la crise mais, il faut sans doute éviter de personnaliser l’approche. Tous les auteurs de violations graves des droits de l’Homme, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité doivent répondre de leurs actes en justice. Les différents rapports d’enquêtes indiquent à souhait qu’il y a eu des victimes de part et d’autre. Donc, ce qui est souhaitable pour favoriser la réconciliation, c’est que les poursuites judiciaires soient menées de façon indépendante et impartiale, sans considération du camp auquel pourrait appartenir les auteurs ou les victimes. Seule une justice indépendante et impartiale, seules des poursuites non-sélectives peuvent créer un environnement favorable à la réconciliation nationale.
Au-delà du rôle que vous comptez jouer dans le processus de réconciliation, peut-on s’attendre à vous revoir dans l’appareil judiciaire ivoirien ?
Oui ! J’envisage le retour au sein de la magistrature.
Interview réalisée par Marc Dossa
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