La réélection ce dimanche 9 octobre du sortant Paul Biya est acquise. En revanche, la mue démocratique du pays des « Lions indomptables » se fait attendre.
L’immobilisme qui tétanise le Cameroun depuis des lustres a toujours été navrant. Il est devenu, en ces temps de bourrasques démocratiques, anachronique. Pas une once de suspense: le président sortant Paul Biya, 78 ans dont 29 aux commandes de ce colosse assoupi et languissant d’Afrique centrale, sera réélu demain dimanche à la faveur d’un scrutin rituel à un seul tour -on n’est jamais trop prudent. Au terme d’une campagne mollassonne, sept millions d’électeurs sont appelés mezza voce à départager 23 candidats. Ou plus exactement à établir le palmarès des faire-valoir du vainqueur.
Simulacre pour un sacre
Le mutique successeur d’Ahmadou Ahidjo, dont il fut le Premier ministre de 1975 à 1982, a su, au fil des décennies, ériger l’inertie et l’apathie en mode de gouvernement. Il administre en intraveineuse à son pays un puissant sédatif, cocktail de clientélisme, de corruption et de répression, relevé d’une pincée d’ethno-régionalisme et d’une bonne dose de mensonge. Pour preuve: l’omerta qui pèse sur la piteuse élimination du Onze national de la prochaine Coupe d’Afrique des Nations de football. Les autorités, la « Fédé » et les médias officiels feignent de croire qu’un « repêchage » miraculeux peut encore sauver du naufrage les « Lions indomptables », mathématiquement hors course… Dérisoire, mais symptomatique.
« Une nouvelle mascarade électorale se prépare », note dans un implacable mémo l’association Survie. De fait, Biya ressemble à s’y méprendre au conservateur en chef d’un musée sub-saharien du dévoiement électoral. Un parti-Etat tout puissant -le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC)- qui confisque tous les leviers du pouvoir, une opposition fragmentée, des concurrents cantonnés dans un rôle de figurants, un recours récurent à la fraude. Rien ne manque à la panoplie. Pas même le bricolage constitutionnel qui, en 2008, a permis au « sphinx d’Etoudi » de briguer un troisième mandat; ni l’opération « Epervier », censée étouffer dans ses serres les corrompus, mais qui a pour vocation essentielle de neutraliser les rivaux réels ou supposés. D’ailleurs, s’il a cédé à d’autres la lanterne rouge, le Cameroun figure toujours dans le peloton de queue du classement de Transparency International. Bref, « l’homme-lion » -trouvaille de communicants français en mal d’inspiration- a verrouillé la machine institutionnelle et jeté la clé dans le marigot aux illusions.
Un président intermittent
Un despote à la présence étouffante ? Certes pas. « L’omni-absent » -surnom moins flagorneur- peut passer six mois l’an en Europe. Notamment à Genève, dans sa suite de l’hôtel Intercontinental, ou sur la côte Atlantique, paradis des mateurs de thalasso. En 2009, lui et sa cour pléthorique ont ainsi, au terme d’un séjour de trois semaines, laissé 900000 euros au caissier d’un palace de La Baule. Il y a plus insolite encore: selon des confrères camerounais, voilà vingt ans que le président-chef-de-l’Etat n’a pas mis les pieds à Douala (sud), capitale économique réputée frondeuse. Intermittent du spectacle, Paul Biya ne préside pas. Il règne en monarque distant, avouant benoîtement tout ignorer de certains de ses ministres, à commencer par leur nom.
Si le Sphinx d’ethnie béti, à qui l’on prête une aura énigmatique, reste coi, c’est parfois qu’il n’a rien à dire. Il lui faudrait au demeurant une éloquence étincelante pour défendre son piètre bilan. En dépit d’un pactole pétrolier qui d’ailleurs s’étiole -la production a régressé de moitié en un quart-de-siècle-, le pays, doté d’un réseau routier médiocre, végète au 131e rang de l’indice de développement humain des Nations unies. Il y a pire : selon l’étude menée voilà deux ans par deux chercheurs d’Oxford, plus de la moitié des revenus de l’or noir sont portés disparus. Entre 2000 et 2006, cette étrange évaporation aurait coûté au budget de l’Etat plus de deux milliards d’euros.
Un Camerounais sur quatre sous le seuil de pauvreté
Si la croissance s’avère poussive -3,2% en 2010, soit le taux le plus faible de la sous-région-, il est au moins un chiffre qui progresse : 900000 démunis de plus entre 2001 et 2007. Quant au salaire minimum, il est le plus modique d’Afrique centrale. Un Camerounais sur quatre vivote sous le seuil de pauvreté, fixé à un peu plus d’un euro par jour. Et un sur trois n’a accès ni à l’eau potable, ni à l’électricité. L’autosuffisance agricole n’est plus qu’un lointain souvenir. Yaoundé importe désormais maintes denrées alimentaires, sans pour autant conjurer les risques de pénurie.
Brutalement réprimées, les émeutes urbaines de février 2008 -40 tués selon les autorités, 139 si l’on en croit la société civile locale- doivent au moins autant à la faim et à une sourde révolte sociale qu’à la colère suscitée par l’imposition, évoquée plus haut, d’une constitution taillée sur mesure. Le spectre de la violence flotte d’ailleurs sur cette vaste nation aux vingt millions d’âme. D’autant que l’après-Biya demeure indéchiffrable. Pas de rejeton intronisé, point de dauphin connu. Gare au vertige… Un rapport récent de l’International Crisis Group, ONG connue pour la pertinence de ses analyses, juge crédible le scénario d’une dérive conflictuelle de cette mosaïque travaillée par les crispations identitaires et linguistiques.
Complice, la France ménage un allié si loyal. En vertu, là comme ailleurs, d’une sacro-sainte et illusoire « stabilité ». Mais aussi au nom des intérêts économiques de la centaine de filiales d’entreprises françaises établies sur le sol camerounais et des 200 entreprises détenues par des opérateurs bleu-blanc-rouge. Une anecdote parmi cent, relevée par Survie: le patron de la société de chemin de fer Camrail, qui a pour actionnaire majoritaire Bolloré, n’est autre qu’un député RDPC, ancien ministre de Biya. Et tant pis si le pays, lui, reste à quai.
N.B. : Deux ouvrages récents éclairent l’histoire tourmentée et le paysage politique du Cameroun. Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique, de Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa. (La Découverte 2010). Et Au Cameroun de Paul Biya, par Fanny Pigeaud (Karthala 2011).
Le bal des figurants
Parmi les 22 rivaux de Sa Majesté Paul Biya 1er, on retiendra quatre candidatures de témoignage.
-John Fru Ndi, 70 ans, opposant historique et seul challenger digne de ce nom. Privée de victoire par la fraude en 1992, la figure de proue du Social Democratic Front (SDF) a néanmoins entrepris l’an dernier de pacifier ses relations -jusqu’alors orageuses- avec le locataire du palais d’Etoudi. Parmi ses handicaps, une stratégie incohérente : après avoir menacé d’entraver la tenue du scrutin, le vieux John s’est lancé sur le tard dans l’arène.
-Bernard Muna, 71 ans. Ancien procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda, ce transfuge du SDF et l’héritier d’une prestigieuse dynastie.
-Anicet Ekané, 60 ans. Diplômé d’une école de commerce lilloise, ce vétéran de la bataille pour le pluralisme fait figure d’héritier de la fameuse Union du peuple camerounais (UPC), avant-garde de la lutte pour l’indépendance.
-Amadou Ndam Njoya, 69 ans. Cet écrivain est un peu l’aristocrate de la bande. Prince de l’ethnie bamoun, et ancien vice-ministre des Affaires étrangères, il a obtenu 4,7% lors de la présidentielle de 2004.
Par Vincent Hugeux, publié le 08/10/2011 à 09:00
L’Express
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