Gêné. Le mot n’est pas assez fort pour qualifier le sentiment qui anime actuellement le pouvoir ivoirien. Après avoir sollicité la Cour pénale internationale (CPI) pour enquêter sur les crimes de sang et de guerre commis en Côte d’Ivoire pendant la crise post-électorale, le président Alassane Ouattara doit être actuellement très embêté. D’une part, les rapports produits par la CPI imputent aux soldats des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), la majorité des crimes commis pendant la crise post-électorale. Et d’autre part, l’éventualité d’étendre les enquêtes aux événements de septembre 2002, date du coup d’État manqué qui s’est mué en rébellion armée, peut s’avérer dangereuse pour le locataire de la Présidence ivoirienne. De quoi mettre la pression sur le nouveau régime, qui pensait pouvoir se tirer d’affaire à bon compte quand elle a sollicité les services de Luis-Moreno Ocampo pour venir fouiner en Côte d’Ivoire. En effet, en demandant à la CPI de venir enquêter sur les violences post-électorales, le nouveau pouvoir n’avait qu’un seul souci: se débarrasser de celui qui a refusé de se plier au verdict des urnes, c’est-à-dire l’ancien président, Laurent Gbagbo. Malheureusement pour lui, la justice internationale l’épingle dans son rapport préliminaire pour des violations graves des droits de l’Homme. En effet, à la lumière du rapport préliminaire de la CPI publié récemment, « 302 personnes déclarent avoir été victimes d’un ou de plusieurs crimes commis pendant ou après le 28 novembre 2010 par des individus ou groupes d’individus se réclamant d’Alassane Ouattara, quand 107 personnes identifient des forces pro-Gbagbo ou certains de ses partisans comme les auteurs des crimes commis sur elles. 93 victimes font référence à d’autres agresseurs et 82 victimes n’ont fourni aucune information ». De ce qui précède, l’on peut affirmer qu’en plus du camp de l’ancien président, les soldats du président Alassane Ouattara sont dans l’œil du cyclone de la justice internationale. Comme pour accentuer la pression sur le nouveau régime, les organisations internationales de défense des droits de l’Homme se sont mises dans la danse, souhaitant que la CPI étend ses enquêtes à la rébellion de septembre 2002. « En autorisant le procureur de la CPI à ouvrir une enquête sur les crimes perpétrés lors des violences post-électorales qui ont ravagé le pays, les juges de la CPI ont fait un pas important sur le chemin de la justice pour les victimes en Côte d’Ivoire. Mais l’engagement des crimes commis avant les élections s’avère également crucial. (…) L’enquête devrait couvrir les crimes commis avant l’élection afin que la participation de la CPI ait le maximum d’impact », déclarait Human Rights Watch, le lundi 3 octobre dernier, avant de remettre le couvert, hier jeudi 6 octobre en épinglant huit personnes proches de Laurent Gbagbo et cinq proches de Ouattara. La pression est d’autant plus forte que des proches du Premier ministre, notamment Alphonse Soro, sont montés au créneau pour fustiger cette recommandation. « Cela m’inquiète (qu’on étende l’enquête sur la période de 2002 à 2010) et je demande aux Ivoiriens de s’inquiéter. Il faut qu’on nous explique pourquoi il est demandé au procureur de rechercher des éléments sur la période allant de 2002 à 2010. (…) Le 19 septembre est certes une référence, mais ce n’est pas la bonne. Pourquoi on ne remonterait pas à 2000 où il y a eu beaucoup de morts, des hommes massacrés sur la base de leur appartenance ethnique, religieuse ou politique? Pourquoi pas en 1999 avec le coup d’État où il y a eu beaucoup de crimes pendant la transition militaire? Si la CPI étend et limite ses investigations à 2002, elle tombe dans le jeu politique et donne une réponse favorable à la revendication du FPI. Cela n’est pas acceptable », a martelé Alphone Soro, très proche collaborateur de Guillaume Soro, le mercredi 5 octobre dernier au cours d’une conférence de presse. Dans tous les cas, qu’on tienne compte de la période post-électorale ou de la période allant de 2002 jusqu’aujourd’hui, le régime en place n’est pas bien loti. Dans la mesure où les mêmes acteurs qui ont participé à la crise armée de 2002 avec son lot de morts et de désolation, sont toujours là. Certains sont encore au cœur du pouvoir comme…le Premier ministre.
Y.DOUMBIA
L’Inter
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