Laura-Julie Perreault
La Presse
NAIROBI) Ayant emporté dans son sillage près de 1100 vies, la vague de violence postélectorale qui a déferlé sur le Kenya en 2007-2008 a laissé de profondes cicatrices dans le pays d’Afrique de l’Est. Outrés par l’inaction de leur gouvernement, qui n’a pas puni les crimes qui ont traumatisé le pays, les Kényans ont aujourd’hui les yeux rivés vers La Haye.
Mordues de téléromans, les Kényanes se passionnent depuis des années pour les émissions à l’eau de rose de fin d’après-midi. Mais ces jours-ci, une émission d’un tout autre genre a pris la place des rebondissements amoureux et captive les téléspectateurs du pays entier.
Le décor: la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye. Les protagonistes: six Kényans bien connus, dont Uhuru Kenyatta, fils du père du Kenya moderne, Jomo Kenyatta. Et l’intrigue dans tout ça? Le procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, tente de démontrer qu’il y a assez de preuves pour que ces hommes issus de l’élite politique et du monde des affaires aient un procès pour crimes contre l’humanité.
Des accusations de meurtre, de viol et de persécution pèsent contre les six hommes, qui sont tous soupçonnés d’avoir été les cerveaux de la terrible vague de violence qui a frappé le Kenya après l’élection présidentielle de 2007. En quelques mois, plus de 1100 personnes ont péri et 630 000 se sont vues obligées de fuir leur domicile.
Serveur dans un restaurant du centre de Nairobi, James Omondi sert des Tusker, bière nationale kényane, et des tasses de thé, tout en regardant le téléviseur. Il ne veut rien manquer de ce qui se déroule aux Pays-Bas. Ses clients non plus.
«Les espoirs du pays en entier sont basés sur ce qui se déroule là-bas. Si ces hommes sont jugés et reconnus coupables, ce sera la fin de l’impunité au Kenya. Plus personne ne sera intouchable. Et nous pourrons alors espérer avoir une vraie démocratie», claironne M. Omondi.
Il craint cependant tout autant l’impact qu’aurait sur l’élection de 2012 un éventuel abandon de la poursuite pour manque de preuves. «Ce serait catastrophique», lance un client qui suit les audiences préliminaires, qui se terminent aujourd’hui, depuis le début.
Parmi les six hommes accusés, trois auraient organisé la violence contre les partisans de l’actuel président, Mwai Kibaki, au lendemain du scrutin de décembre 2007 et trois autres, dont M. Kenyatta, auraient organisé et financé des raids meurtriers contre les partisans de Raila Odinga, actuel premier ministre du pays d’Afrique de l’Est. La vallée du Rift et les bidonvilles de Nairobi, dont Kibera -le plus grand d’entre eux-, ont été le principal théâtre des massacres intertribaux.
«Depuis ce qui s’est passé, depuis que des voisins en ont tué d’autres, il y a encore beaucoup de traumatisme dans l’air, note Gerry, rencontré dans un centre communautaire de Kibera. Un procès aiderait à panser certaines plaies.» Et un an à peine avant le prochain scrutin, tous les baumes sont les bienvenus.
Au tour de la Côte d’Ivoire
Après s’être intéressé aux violences postélectorales au Kenya, le procureur de la Cour pénale internationale se tourne maintenant vers les crimes commis dans la foulée du dernier scrutin présidentiel en Côte d’Ivoire de novembre 2010.
Les juges de la CPI ont donné le feu vert à Luis Moreno-Ocampo lundi pour que ce dernier ouvre une enquête sur les violences commises par les forces loyales à Laurent Gbagbo, l’ex-président qui refusait de quitter le pouvoir; ainsi que les violences commises par les fidèles d’Alassane Ouattara, reconnu vainqueur des élections par la communauté internationale.
Selon l’ONU, 3000 personnes ont été tuées. M. Moreno-Campo affirme vouloir s’en prendre aux «hauts responsables» des crimes.
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