Par OLIVIER MONNIER
Les rackets et les exactions de la part de l’armée ont largement diminué, mais une partie de la population reste méfiante. Le président Ouattara et son administration travaillent à une réforme de la sécurité.
Leur objectif est d’unifier et de professionnaliser l’armée, ainsi que de casser l’influence des anciens chefs de guerre.
Mercredi 21 septembre, à Abidjan, dans le quartier de Blockhaus, à très forte majorité pro-Gbagbo, des jeunes en colère mettent le feu à un pick-up des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI, l’armée nationale). Un des soldats venait de blesser accidentellement un jeune du quartier, après avoir chargé son arme pour effrayer deux hommes qui se disputaient.
« Tout le village est sorti dans la rue. Les FRCI ont dû fuir à la suite de la pression de la population, raconte un habitant. Les jeunes ont posé des barrages dans le quartier et, depuis, on ne voit plus l’armée ici. »
Même si la situation sécuritaire s’est largement améliorée dans la capitale économique depuis quelques semaines, cette scène reflète les tensions persistantes entre la population et les Forces républicaines. Au sortir de la guerre, en avril, l’armée victorieuse s’était rendue coupable de multiples rackets, pillages et exactions. Leur omniprésence dans les rues d’Abidjan inquiétait plus qu’elle ne rassurait.
Les FRCI ont été créées sur la base de l’armée rebelle des Forces nouvelles (FN) qui existait déjà, de membres des Forces de défense et de sécurité (FDS, pro-Gbagbo) ralliés, et d’éléments volontaires qui avaient pris part à la guerre dans la région d’Abidjan. « Par un coup de baguette magique, cette armée est devenue “républicaine” sans que les critères d’une armée régulière soient remplis », résume un diplomate.
Les barrages ont presque disparu à Abidjan
Depuis, les autorités ont commencé à faire le ménage. Les volontaires, dont le nombre est estimé entre 20 000 et 30 000, retournent peu à peu à la vie civile, même si on ne sait pas encore combien ont été désarmés. Le gouvernement a annoncé l’objectif de démobiliser 10 000 ex-combattants d’ici à la fin de l’année. Les ex-FDS, dont la plupart avaient fui à la fin des combats, reviennent.
Selon Paul Koffi Koffi, ministre délégué à la défense, 99 % des effectifs de police et de gendarmerie (tous ex-FDS) ont repris le travail. « Les casernes du sud d’Abidjan ont toutes été redonnées aux policiers et gendarmes. Celles du nord de la ville sont en passe de l’être », explique-t-il.
Un nouvel état-major a également été nommé et ses hautes fonctions sont occupées de manière conjointe par d’ex-FN et d’ex-FDS. Le gouvernement dit être entré dans la phase d’installation des bataillons sur le terrain.
Les barrages ont presque disparu à Abidjan. Des unités communes de FRCI, de la gendarmerie et de la police patrouillent dans la capitale économique depuis la fin août. L’idée, selon Paul Koffi Koffi, est « de créer une unité, une cohésion, d’amener les hommes à travailler ensemble ».
Pourtant, l’intégration semble encore superficielle : les gendarmes et les policiers ne portent pas d’armes. « C’est comme si les vainqueurs acceptaient que les vaincus travaillent, mais ils gardent toujours un œil sur eux », estime un diplomate africain.
Assainir les rangs de l’armée
Le gouvernement justifie cette situation par le manque de moyens et l’embargo qui l’empêchent d’équiper la police. Le risque est pourtant de créer des frustrations au sein de ces deux corps réputés mieux formés et plus expérimentés que les FRCI.
Dans le reste du pays, notamment dans la partie sud contrôlée ces dix dernières années par les forces de Laurent Gbagbo, la situation demeure critique.
L’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) a répertorié du 11 juillet au 10 août « 26 cas d’exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires » par les FRCI. Ces exactions ont surtout eu lieu dans l’ouest du pays, où de violents combats se sont passés pendant la crise.
« Depuis, cela a diminué, mais il y a encore des cas d’exactions et les FRCI sont impliqués dans des actes de banditisme, de racket », explique Guillaume Ngefa, chef de la division des droits de l’homme de l’Onuci. « Il y a une relation très tendue avec la population », poursuit-il.
Le président Alassane Ouattara a insisté à maintes reprises sur la nécessité d’assainir les rangs de l’armée. « Tout le monde reconnaît qu’il y a un problème avec les FRCI, et le gouvernement en premier. C’est courageux de le reconnaître ! », lance Guillaume Ngefa.
Anciens chefs de guerre et soldats
Premier pas d’une réforme globale du secteur sécurité, le gouvernement a annoncé le changement de nom de l’armée, qui reprendra le terme en vigueur jusqu’au début des années 2000, les Fanci (Forces armées nationales de Côte d’Ivoire). L’initiative vise à changer son image et à permettre une meilleure intégration des ex-FDS, dont certains ne se reconnaissent pas dans l’appellation de FRCI. Mais la réforme est plus profonde.
« Le premier enjeu est de professionnaliser l’armée et se débarrasser des éléments non indispensables », explique un diplomate. En particulier tous les jeunes non formés qui s’accrochent encore aux armes. La nouvelle armée devrait compter 40 000 hommes : 29 000 ex-FDS, 9 000 ex-FN et 2 000 volontaires. Il s’agit aussi de casser le rapport organique entre les anciens chefs de guerre et leurs soldats.
Dix chefs de guerre – les commandants de zone – s’étaient partagé le pouvoir dans le nord du pays, quand le territoire était encore coupé en deux, puis à Abidjan en avril dernier. « La matrice de la réforme est de mélanger tout le monde, de permuter les généraux pour couper les hommes de leurs chefs », estime un diplomate.
Les commandants de zone ont reçu de nouvelles affectations dans l’état-major. « C’est ce que l’on essaie de faire comprendre aux soldats, notamment aux jeunes. On leur dit qu’ils ne peuvent plus répondre de tel ou tel commandant de zone », explique Paul Koffi Koffi. À la mi-septembre, deux groupes de FRCI de Yopougon, se réclamant de deux anciens chefs de guerre, se sont affrontés. L’un d’entre eux est mort.
« La référence au passé est importante. Notre travail est donc de les rééduquer de façon pédagogique, les amener à changer de comportement. On va dans le bon sens », assure le ministre de la défense.
OLIVIER MONNIER
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