Après l’intervention militaire d’Abidjan en avril dernier, l’Onuci, et au-delà le système des Nations unies, ont renoué avec leur pire travers : ainsi l’Histoire rappelle que l’action du contingent international au Congo a été, en 1960, extrêmement ambigu, notamment en se faisant le relais des intérêts américanos belges, et contribuant à créer la situation qui a livré Patrice Lumumba à ses bourreaux.
Poussant à des élections mal préparées et sans désarmement des rebelles (l’ONUCI a tenu sous le boisseau un rapport interne qui dès fin 2010 dénonçait cette situation), le représentant du secrétaire général de l’Onu en Côte d’Ivoire, M. Choi, a fait plus : proclamant dans une séquence bien réglée par les ambassadeurs de France et des Etats-Unis M. Ouattara élu (au lieu de certifier l’élection comme le prévoyaient les accords de Ouagadougou) depuis son quartier général du Golf, il a monté une sanglante opération militaire pour renverser le régime de Laurent Gbagbo sous les bombes.
La « responsabilité de protéger » est bien morte début avril : détournant la résolution 1975 lui permettant de détruire les armes lourdes menaçant les civils, l’ONU est intervenu par des hélicoptères d’assaut en tuant, à l’inverse de son mandat et à l’encontre du droit international, des civils désarmés – quelques centaines ou quelques milliers ? En même temps que la résidence et la présidence, les hélicoptères de M. Choi ont en effet délibérément bombardé des camps habités par des familles de militaires (Agban et Akouédo), un supermarché, une université et un hôpital – puis ont tiré sur des civils proches du président Laurent Gbagbo, qui essayaient de faire autour de lui un bouclier humain, pour protéger leur régime et leur Constitution.
Transformant en cibles vivantes les personnels occidentaux et même africains des agences des Nations unies, cette forfaiture risque d’avoir de très graves conséquences pour l’institution et l’idéal de concorde entre nations égales, qu’elle a autrefois représenté : déjà au Nigeria le mouvement fondamentaliste Boko Haram s’en est pris violemment aux membres des Nations unies (18 morts à Abuja fin août dernier), et il est à craindre que ces actes se multiplient.
Crimes de guerres que partagent les militaires français de Licorne, forces spéciales faisant prisonnier un président nommé par son Conseil Constitutionnel en déployant chars et hélicoptères pour participer au même massacre : quand les donneurs d’ordre rendront-ils des comptes ?
Mais ce sont surtout Alassane Ouattara et son chef de guerre, Guillaume Soro, qui pourraient dans l’immédiat relever de la Cour pénale internationale, pour le « massacre d’Abidjan » commis pendant les mois d’avril et mai dans la capitale, l’épuration ethnique en brousse contre les peuples guéré, bété et attié, faisant suite au massacre de Duékoué – plus de mille victimes hommes, femmes et enfants -, à tel point que le CICR est sorti de sa neutralité pour condamner implicitement le camp Ouattara pour cet acte qui pourrait être qualifié de génocidaire.
Quelle retenue des chancelleries, des médias et des « organisations des droits de l’homme » devant ces crimes de guerre – et pour certains, de génocide !
Il apparaît que les FRCI pro Ouattara ont exterminé en deux mois plus de 3000 ivoiriens au bas mot, le massacre étant « protégé » par les patrouilles de la force Licorne et de l’ONUCI qui au lieu de sauvegarder les civils, ont laissé faire – et pourraient logiquement être poursuivis pour cette passivité ou même pour leur complicité.
Les ONG et le CICR n’en sortent pas indemnes : ils ont les chiffres et des morts civils de la « bataille d’Abidjan » (la Croix rouge ivoirienne ayant, par exemple, ramassé les cadavres) et des milliers de morts de la conquête de la capitale ou des colonnes infernales en brousse, et se refusent à les communiquer, renforçant par leur silence la gouvernance Ouattara.
Qu’ils aient ordonné ou échoué à empêcher ces massacres – l’instruction le dirait -, Guillaume Soro et Alassane Ouattara en portent la responsabilité politique – ni plus ni moins que Jean Pierre Bemba ou Charles Taylor dans leurs procès respectifs.
Si leur menace perpétuelle est actuellement de déférer Laurent Gbagbo à la CPI, leurs actes les rendent eux aussi passibles du même tribunal : nul doute que cette institution internationale, suspectée et même accusée d’être un relais des intérêts occidentaux et de pratiquer le « deux poids deux mesures » en Afrique voudra pour une fois équilibrer les inculpations.
Bien plus, depuis 2002, ces deux leaders du RDR et de la rébellion (dont 2011 a démontré la complicité active depuis leur coup d’Etat, en 2002) sont judiciairement comptables du « système de violence continue » qui a livré Bouaké, Korhogo et la partie septentrionale du pays à l’arbitraire total d’une guérilla sans foi ni loi, si ce n’est aux exactions bien pires des Dozos.
Combien de milliers de morts (sans doute plus de 8000 cadavres au passif des rebelles !), viols, ou exactions criminelles sont impunis et parfois méconnus ?
Leur défèrement éventuel à la CPI sera l’occasion de faire la lumière sur ces violences et de les punir enfin, tout en révélant les bailleurs de fonds, instructeurs et complices occidentaux (et sans doute français !) de la déstabilisation, depuis une décennie, de la Cote d’Ivoire.
Il est cependant une autre voie : devant cet équilibre de la terreur judiciaire, un pas vers la libération des prisonniers et des déportés politiques, une annulation de toute procédure judiciaire permettant leur réintégration dans le jeu politique en vue des législatives de décembre.
Bien sûr cela suppose aussi que des conditions équitables soient remplies : à la Commission électorale indépendante (CEI), les partisans de Laurent Gbagbo ont actuellement 3 délégués sur 31, les mouvements fantômes rebelles en possédant autant !
Présidée par Youssouf Bakayoko, par qui le coup d’Etat franco-onusien a été légitimé, cette institution très contestée prévoit de réintégrer des dizaines et peut-être de centaines de milliers d’« électeurs » pro Ouattara sur les listes électorales (sans compter les milliers de sahéliens s’installant dans la « nouvelle Cote d’ivoire », selon eux le « pays de tous ») : qui peut aller aux élections avec une commission électorale partisane et des listes d’électeurs truquées ?
Et que se passerait-il si l’Elysée cessait d’être un protagoniste et arrêtait de souffler sur les cendres du conflit ? Les élections françaises de 2012 pourraient être l’occasion pour une majorité de gauche de rompre avec le camp du néolibéralisme et de la Françafrique la plus sanglante, ce qu’incarne Alassanne Ouattara. Si l’Occident retirait ses deux contingents militaires, Licorne et Onuci, la régulation du conflit se ferait spontanément – et sans nul doute, pour Abidjan et le Sud, au profit des partisans de Laurent Gbagbo.
Une solution négociée n’est elle pas meilleure que ces perspectives ? Une judiciarisation du conflit, au lieu de conduire à la réconciliation, serait à coup sur le signal du retour à la violence, si ce n’est à la guerre civile.
Photo – dr Texte – Michel Galy
legrigriinternational.com
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