Après Korhogo, Séguéla et Bouna, le Premier ministre, ministre de la défense, Guillaume Soro, a procédé, samedi dernier, dans après-midi, à l’installation officielle des chefs militaires et paramilitaires nouvellement promus à Bouaké. La cérémonie s’est déroulée en présence de nombreuses autorités politiques et militaires. Nous vous proposons un large extrait du discours du Premier ministre, ministre de la Défense, Guillaume Soro.
«La cérémonie de ce jour est une importante dans le processus de normalisation du pays. Une cérémonie forte par l’acte que nous allons poser. Un pays, un Etat a des piliers. L’un des piliers d’un Etat, c’est l’armée. Et aujourd’hui, nous venons avec les gendarmes, les policiers, les douaniers, les eaux et forêts et les militaires pour les confier à la population et aux autorités de Bouaké. Cela est quelque chose d’extrêmement important. C’est cela la réunification que nous avons appelé de tous nos vœux. Bouaké se souviendra que quand nous sommes arrivés ici, nous avons dit que nous voulions la démocratie, nous voulions la fin de la catégorisation des Ivoiriens, nous voulions une armée républicaine.
Nous n’avons pas demandé dix mille choses. Nous avions pris un engagement avec vous pour dire que nous ne sommes pas venus pour faire une quête du pouvoir rien que pour le pouvoir. Non ! Nous avons dit que nous sommes venus pour que la démocratie soit une réalité dans notre pays. Et que désormais, plus jamais dans ce pays, quand vous voyez un monsieur, de par son visage, ne lui donniez une ethnie sans qu’on ne vous le demande. Ce sont des débats grégaires. On ne peut pas développer un pays sur la base de l’Adn des gens. Un pays, c’est tout autre chose et cela a fait du tort à la Côte d’Ivoire. Parce que la Côte d’Ivoire est d’abord et avant tout riche de sa diversité. C’est parce que nous sommes divers, différents que nous sommes riches. Par ce brassage, chacun amène sa spécificité. Et, c’est l’agrégation de toutes ces diversités, de ces spécificités qui fondent la richesse d’un pays. Donc, ce sont ces histoires d’ethnisation que nous avons combattues avec force. Parce que la Côte d’Ivoire, selon le vœu du premier président ivoirien, c’est d’abord et avant tout une terre d’hospitalité. Le jour où on quitte ces fondements, on va dans l’abîme. Et la Côte d’Ivoire a connu l’abîme. Il faut sortir de l’abîme. Il faut bâtir une véritable nation. C’était cela le sens du combat. C’est tellement beau d’être différents mais d’être ensemble. C’est ce qui doit nous guider.
Nous avons dit que si ces questions sont réglées, nous nous retirerons. Si tout citoyen ou citoyenne vivant sur la terre de Côte d’Ivoire peut se déplacer dans la tranquillité, dans la sérénité et peut se préoccuper de chercher les moyens de sa subsistance, librement, tranquillement, alors, nous, nous n’avons plus de raison d’exister en tant que combattant.
Je suis venu aujourd’hui pour tenir cet engagement. Cet engagement qui part du fait que, dans les Forces nouvelles, il n’y a plus de branche armée. Les FaFn sont dissoutes, c’est terminé. Nous voulons une armée républicaine. Je vais vous faire une confidence que je n’ai pas encore dévoilée depuis le début de la tournée. Quand le 11 avril, l’ancien président a été mis aux arrêts et qu’il nous a fallu avancer, on devait procéder aux nominations dans l’armée. Le président de la République m’a appelé en tant que ministre de la Défense pour procéder à la nomination des grands commandements.
Il m’a dit monsieur le Premier ministre, je veux que vous me fassiez des propositions basées d’abord sur la compétence. Deuxièmement, qu’elles soient fondées sur l’application de l’Accord politique de Ouagadougou. Voyez-vous, j’étais heureux, content parce que cela aurait été très difficile pour moi si le président m’avait dit, monsieur Soro, faites-moi des propositions sur la base des gens qui me sont fidèles.
Comment nommer sur la base de la compétence ? Je ne connais pas tous les militaires. J’ai appelé le général Mangou pour lui dire de me donner l’annuaire des officiers de l’armée. Nous avons consulté l’annuaire par rapport aux grades, aux diplômes civils et militaires. Ensuite, j’ai fait des propositions au président.
J’ai consulté des militaires qu’on ne connaissait pas et nous avons essayé, sur la base de cet annuaire qui nous donnait les diplômes des militaires, en prenant en compte l’exigence de l’Accord politique de Ouagadougou qui voulait que dans le cadre de la réunification, si le premier responsable vient des Fds, le second soit des FaFn. Voici les deux grands critères que nous avons pris en compte. Et, le président de la République a signé.
C’est pourquoi, je voudrais m’adresser à l’armée pour dire que nous voulons construire une armée républicaine fondée sur les valeurs de la République. Evidemment, nous allons commencer et progressivement, nous allons nous y atteler. Il faut que les chefs militaires s’inscrivent dans cette logique. Cela me paraît important ; c’est pourquoi, il faut que les militaires retiennent clairement qu’il n’y a qu’une seule armée. Il n’y a plus des ex-Fds ni des ex-FaFn. Vous êtes l’armée de Côte d’Ivoire, il ne doit pas y avoir de discrimination. Vous devez travailler ensemble, main dans la main, pour assurer et bâtir la sécurité des biens et des personnes.
La guerre qui a eu lieu en Côte d’Ivoire est terminée. Ceux qui doivent répondre devant la justice répondront. J’ai lu des choses dans les journaux : ‘’il faut la réconciliation, il faut qu’on libère Gbagbo et autres avant qu’on ne parle de réconciliation’’. Mais arrêtons ! Vous savez très bien que si c’est nous qui avions perdu, nous ne serions même pas là en train de parler de réconciliation. Si c’est nous qui avions perdu, nos têtes seraient brandies devant le palais comme des trophées de guerre, nos bras à Yopougon, nos pieds à Koumassi. C’est clair ! Là où on nous aurait donné la mort, nous, on leur a donné la vie. Donc un peu d’humilité, faites de la repentance. Dites aux Ivoiriens, ce que vous avez fait contre eux. Le ministre Paul Koffi est là. On a fait les enquêtes et, aujourd’hui, tout le monde sait qu’on prenait les gens pour les découper comme le feraient des bouchers. On les mettait dans des sachets et on les jetait dans la lagune. C’est bien ce que nous avons vécu.
Mais nous, qu’est-ce que nous avons fait ? Dogbo Blé est là, à Korhogo. Il sait bien que nous lui avons sauvé la vie. Tous les chefs militaires ont été responsables. Qui a été tué par nous ? Dites-le moi !
Quand nous rentrions à Abidjan, nous nous sommes arrêtés à la lisière de la ville. J’ai appelé le général Dogbo Blé. J’ai dit ‘’mon général, nous avons encerclé la ville d’Abidjan. Je ne veux pas de bain de sang dans la ville d’Abidjan. Je vous demande en tant que patron de la garde républicaine, d’aller voir le président Gbagbo et de lui dire de déposer les armes. S’il n’a pas confiance en nous, qu’il aille à la résidence de l’ambassadeur de France ou à l’Onuci. Nous allons rentrer dans la ville d’Abidjan sans qu’il y ait combat. Je m’engage à négocier avec le président élu Alassane Ouattara pour qu’on négocie avec l’Union Africaine pour lui trouver un poste, comme on en a trouvé au général Sékouba Konaté en Guinée’’. Je me rappelle encore très clairement ce que le général Dogbo Blé m’a dit. Il m’a dit ‘‘monsieur le Premier ministre, je suis militaire et je sais me battre et j’ai les moyens de me battre’’. Voilà la réponse qu’il m’a donnée. J’ai dit merci mon général.
Moi, je ne suis pas militaire, je ne sais pas ce que cela veut dire, mais le civil que j’étais, j’ai compris qu’il n’était pas très disposé à faire la paix. Quand nous sommes entrés à Abidjan, le président m’a encore demandé d’appeler tous les généraux pour leur demander de venir faire allégeance. J’ai appelé tout le monde. Mangou est venu, Kassaraté est venu. Guiai Bi Poin est venu. Impossible de joindre Dogbo Blé. Et on apprend qu’il veut se déguiser pour sortir. Il a été pris. Lorsqu’il a été pris, Dieu seul sait et lui aussi le sait, il peut témoigner qu’on a dû donner de nos dos et de nos bras pour le protéger afin qu’il soit en vie. Et il est en vie. Il aura droit à un procès équitable.
Donc, je le dis publiquement pour que les gens le sachent. Vagba Faussignaux était dans le bunker, il s’est battu, il a été blessé. Mais c’est bien nous qui l’avons envoyé à la Pisam pour le soigner. Mais je sais très bien que si l’un d’entre nous était blessé, ce n’est pas à la Pisam qu’on l’aurait envoyé. Le premier acte de réconciliation, c’est de donner la vie et nous avons donné la vie à Dogbo Blé, à Faussignaux et à tous les officiers qui ne rêvaient de faire de nous qu’une bouchée. Quand on a fini cela, le reste, c’est une question de procédure.
C’est pourquoi, je voudrais m’adresser aux militaires parce que la fâcheuse tendance des politiques, c’est de manipuler l’armée. Il faut que l’armée reste et demeure apolitique au service de l’Etat parce que si on avait eu des généraux courageux, capables d’aller s’asseoir comme je l’ai fait le 30 novembre devant Gbagbo pour lui dire ‘‘Monsieur le président, nous sommes militaires, certainement que vous avez gagné mais la situation militaire sur le terrain est difficile’’. Peut-être qu’on n’aurait pas eu 3000 morts. De la même façon que le préfet de Bouaké s’est levé pour dire qu’il n’y a pas eu de fraude à Bouaké. (…)’’
L’armée n’est pas là pour se retourner contre sa population. L’armée est là pour la protéger contre tout danger, pour la sécuriser, pour sécuriser les biens de cette population.
Le jeu démocratique est simple, celui qui a gagné, c’est lui qui dirige. Tu as perdu, tu passes la main. Si tu veux revenir, le peuple est là, convainc-le, parle-lui, séduit-le, drague-le. Mais si on compte sur l’armée parce qu’on a nommé son cousin du village général, c’est terminé.
On est en 2011, ce qui a été possible en 1960 ne peut pas être possible en 2011. 2011, il y a facebook, twitter, rien ne peut se cacher. On est en 2011, la démocratie est partout. Qui aurait pu penser qu’en Tunisie, en Egypte, ces choses-là allaient se produire ?
Maintenant, la politique est moderne, c’est sur internet ; je me demande dans les années à venir, si les mêmes outils traditionnels d’appareils politiques vont survivre aux nouvelles technologiques de l’information et de la communication. Maintenant, les gens font leur campagne sur internet et ils gagnent.
Il faut que l’armée joue son rôle. Vous êtes-là, je sais que beaucoup sont allés en exil. Nous avons demandé à tout le monde de revenir. Mais nous ne pouvons pas obliger quelqu’un qui est allé en exil à revenir. Tous ceux qui sont revenus sont là, vivent tranquillement, il n’y a aucun problème. Moi-même, j’ai été un exilé et je sais ce qu’est que la vie d’exil. Au début quand tu vas, tu es tout courageux, tu es tout feu, tout flamme. Tous les matins, quand tu te réveilles, non seulement tu espères que le régime tombe mais dans tes rêves, tu vois que le régime est tombé. Tes rêves peuvent prendre dix ans, c’est-à-dire pendant dix ans, tu peux rêver. Arrêtez de rêver, venez en Côte d’Ivoire pour qu’on travaille pour construire le pays. Ce qui mérite d’être fait, c’est le travail, il faut qu’on travaille. Il faut rebâtir la Côte d’Ivoire. Il faut faire de la Côte d’Ivoire un Etat moderne, un Etat-leader qui tire les pays de la sous-région. C’est pourquoi, je voudrais insister auprès des chefs militaires pour qu’ils soient auprès de leurs hommes pour leur inculquer la discipline, leur inculquer l’amour du travail.
Les policiers reviennent ici, il faut que la population les accompagne. Mais il ne faudrait pas qu’on nous appelle après pour dire qu’il y a des rackets, ce n’est pas bon. Il faut que les populations accueillent les gendarmes mais, il faut bannir les aspérités du métier, les rackets et autres. Cela doit cesser. Concernant les douaniers, ce n’est pas la peine d’aller dédouaner jusque dans la chambre des gens. Je demande aux eaux et forêts de protéger nos forêts. Le gouvernement veut compter sur des hommes de valeur, compétents, rigoureux et disciplinés. Et cela, je suis convaincu que c’est possible de le réussir.
Je vous invite à accueillir ici à Bouaké le dernier pilier de notre nation, de l’Etat de Côte d’Ivoire. De votre accueil, dépendra le futur. Je veux qu’il y ait une symbiose avec la population de Bouaké.
Vive la ville pour que vive la Côte d’Ivoire. Je vous remercie ! »
Nord-Sud
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