Eugène Allou Wanyou aux pro-Gbagbo: « L’arrogance et le mépris nous ont fait perdre le pouvoir, Gbagbo a perdu l’élection »

Dans cet entretien, l’ex-directeur du protocole d’Etat sous Laurent Gbagbo, de 2002 à 2008, et membre de la direction du Fpi, rappelle à ses camarades que la main qui demande est toujours en dessous de celle qui donne.

Vos analyses sur les récentes sorties du Fpi semblent déranger. Le confrère Notre Voie proche du parti les a même qualifiées de « dérapages ». Quels commentaires ?
Premièrement, mes propos ne sont pas adressés à Notre Voie. Deuxièmement, j’ai un grand respect pour les employés de ce quotidien. Donc, je n’ai pas de commentaires à faire sur leurs analyses, chacun étant libre de faire ce qu’il a envie. Cependant, s’il y a des gens qui peuvent m’interpeller sur mes propos, je pense que c’est la direction ou le comité central du Fpi. Le jour que le comité central m’en donnera l’occasion, je m’exprimerai librement sur mes propos, ma vision et mes critiques.

Il vous est reproché de « cracher dans le verre où vous avez bu », comment avez-vous compris cette expression ?
Ce verre dans lequel j’ai bu a pris un coup de poussière. Nous devons le nettoyer ensemble pour que nous continuions d’y boire ensemble. Et puis, ce qu’ils ne savent pas, c’est que je n’ai pas trouvé ce verre tout fait. J’ai contribué à sa conception.

Que voulez-vous dire ?
Je pense que celui qui a parlé de verre va comprendre. Moi, je dis qu’effectivement, j’ai bu dans le verre. Mais comme il commence à prendre un coup de poussière, il faut le laver. Il faut qu’il soit propre.

Vous seriez aussi devenu subitement modéré alors que vous étiez un dur parmi les ‘’frontistes‘’ caciques.
Il faut qu’on arrête de croire que lorsqu’on critique les mauvaises actions du Fpi, alors on est passé forcément de l’autre côté. Ce temps est révolu. Pendant longtemps, des gens n’ont pas critiqué de peur qu’on leur dise qu’ils sont passés de l’autre côté.

Que diriez-vous alors au Fpi sur sa gestion actuelle de l’après- crise ?
Je le dis, et je le répète. Nous avons perdu la guerre et ce n’est pas ce comportement que nous devons avoir. Le reste, je le dirai devant la direction du parti. On ne peut pas être à des milliers de kilomètres et demander la libération de Laurent Gbagbo.

Justement, le Fpi dit qu’avant qu’il n’aille aux élections, il faut la « libération » de Laurent Gbagbo et des détenus LMP. Vous ne dites pas la même chose ?
Je ne parle même pas des élections. Je dis tout simplement que leur démarche ne me plaît pas. Est-ce que les conditions sont réunies pour aller aux élections ? Est-ce qu’ils disposent de moyens pour aller aux élections ? Il y a des propos que nous ne devons pas tenir, si nous aimons ceux qui sont en prison.

Que leur avez-vous recommandé ?
Je leur ai simplement dit qu’il faut aller à la réconciliation, parce qu’elle ne concerne pas que les membres de la direction du Fpi. J’ai été dans mon village où les populations apeurées ont passé un mois dans la brousse, parce que Laurent Gbagbo étant originaire de cette région. Donc quand on parle de réconciliation, il faut que nous pensions aussi à ces villageois qui ont abandonné villages et plantations pour trouver refuge ailleurs. Il faut qu’ils soient au même niveau d’information que nous, à Abidjan. Autrement dit, il n’y a pas que ceux qui sont en prison et ceux qui sont réfugiés au Ghana ou ailleurs qui sont concernés par la réconciliation.

Le Fpi devrait aller sensibiliser, remobiliser…
Je l’ai dit à Miaka Oureto. Je lui ai dit qu’il faut aller vers nos militants, dans les villages. Car, il ne faut pas que d’autres personnes croient encore que nous sommes en guerre. Parce qu’en vérité, la guerre est finie et nous l’avons perdue. Quand tu as perdu la guerre, il faut penser au nouveau comportement à avoir. Il faut aller sensibiliser d’abord nos parents.

Et que vous a-t-il répondu ?
C’était une suggestion. Je lui avais proposé qu’avant d’aller au Ghana, il aurait fallu rencontrer nos parents des villages. Il y a des cadres du Fpi qui n’ont pas encore mis les pieds au village depuis que la crise post-électorale a éclaté. Est-ce que ceux-là s’interrogent sur la vie de leurs parents ? J’ai dit à un responsable du parti qu’on dit que la guerre est terminée, c’est bien, mais les populations ne comprennent rien quand des Frci en armes sillonnent encore leurs villages. Elles pensent que nous sommes toujours en guerre.

La direction du parti ne vous a donc pas écouté ?
Non, parce qu’on ne m’a pas écouté. J’avais tout simplement répondu à des articles venant de nos camarades qui posaient des conditions. Il n’y a pas eu de congrès. Donc je suis toujours membre de la direction du Fpi. J’aurai l’occasion de parler. Sinon, nous n’avons pas encore eu d’échanges avec la direction, pour dire qu’elle ne m’a pas écouté. Les gens, à travers leurs propos, ignorent complètement la situation qui prévaut. Et comme ils sont loin, ce n’est pas bien qu’ils interviennent de cette façon. Un journal a, par exemple, écrit que le 15 octobre la jeunesse du Fpi va libérer la Côte d’Ivoire. De quelle Côte d’Ivoire s’agit-il? Pensez-vous que celui qui a écrit cela rend service à ceux qui sont en prison? Ce que tous les patriotes regroupés n’ont pas pu faire, ce n’est pas la seule jeunesse du Fpi qui va le réussir.

Pour vous, le Fpi doit être modéré et négocier…
Bien sûr ! Il faut de la sagesse et de la modération dans nos propos. Car, le sort de ceux qui sont en prison et en exil dépend du gouvernement. S’ils pensent qu’il n’est pas légitime, à qui allons-nous nous adresser et par quel miracle vont-ils rentrer au pays ? Il n’y a pas de honte à reconnaître qu’on a perdu la guerre. Il est question à présent de se demander comment allons-nous nous organiser pour nous inscrire dans la dynamique de la réconciliation.

Cette direction intérimaire a-t-elle manqué de convaincre sa coordination présente au Ghana quant aux exigences de cette dernière ?
Ils (les membres de la délégation conduite par Miaka Oureto, Ndlr) sont partis, on ne sait pas de quoi ils ont parlé exactement. C’est à travers la presse que j’ai lu des comptes-rendus. Je n’ai pas encore la version de la direction, alors je ne veux pas m‘engager dans des commentaires.

Mais selon tous les articles de presse, la tendance d’Accra et celle d’Abidjan ont «harmonisé» leurs vues autour des conditions que pose le parti avant d’aller aux élections. Il n’y a quand-même pas de fumée sans feu.
De quelles élections parle-t-on ? Demain, des militants peuvent dire qu’ils sont candidats indépendants. Ce n’est donc pas les élections qui sont le problème. Quand on n’est pas dans les conditions pour aller à des élections, on n’y va pas ! Il faut qu’on accepte d’abord notre défaite aux présidentielles ; ainsi, nous pouvons mieux nous organiser pour les autres élections (législatives, municipales…)

Donc, La Majorité présidentielle avait perdu les élections ?
Enfin, cela va de pair. Est-ce qu’aujourd’hui quelqu’un peut dire le contraire ?

Pour le Fpi, il a gagné les élections mais…
Si tu as gagné les élections et qu’il y a un mais, c’est que tu as perdu. Nous avons perdu la guerre, c’est un ensemble de choses. C’est parce que nous avons dit que nous avons gagné les élections qu’il y a eu la guerre. Donc si tu as perdu la guerre, c’est dire que tu as perdu en même temps les élections que tu dis avoir gagnées. Là n’est pas mon problème…

Qu’est-ce qui vous préoccupe alors ?
Avant les élections, il y a des gens qui disaient qu’Alassane Ouattara ne peut jamais devenir le président de la République de Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, il l’est ; qu’est-ce qu’ils disent ? « Comme ils sont nés avant la honte », qu’ils se taisent définitivement. On ne peut pas aller aux élections avec un adversaire au 2ème tour et penser qu’il ne gagnerait jamais ; c’est une erreur d’analyse. Il faut être modeste. Ils ont dit que Ouattara n’allait jamais gagner, ils sont donc restés dans une position figée et obstinée qui les dépasse aujourd’hui.

LMP aurait-elle sous-estimé l’adversaire ?
Ils se sont exprimés avec arrogance et mépris ! L’arrogance n’avait pas sa raison d’être dans la compétition électorale. L’arrogance et le mépris nous ont conduits là où nous sommes aujourd’hui. Nous avons fait des erreurs. Par humilité, nous devons nous demander comment réorienter le combat politique après notre autocritique.

La Majorité présidentielle a fait une campagne électorale médiocre, selon une opinion nationale ; partagez-vous cet avis?
(Pas de commentaire)

Pour revenir à la réunion d’Accra, qu’est-ce que vous en attendiez concrètement ?
Rien.

Pourquoi ?
Eh bien, parce que, pour moi, Miaka, le président intérimaire, en allant à Accra, partait dire aux camarades exilés de faire moins de bruits. Et que tout peut se faire souterrainement, sans exposer les uns et les autres. Au début, ils ont beaucoup parlé. Etant au Cameroun, j’ai lu des propos désobligeants de certains camarades.

Qu’aurait du faire le Fpi?
Pour que nous puissions faire face à la nouvelle situation, il faut d’abord vérifier l’existence des structures de base du parti. Parce que depuis lors il y a des zones où aucun membre du Fpi n’a encore mis les pieds. Il faut donc un recensement de l’existence de toutes les structures à l’intérieur du pays. Et le reste viendra avec le temps. Nous avons même besoin de faire un bilan.

Vous voulez dire un mea culpa ?
Oui. Notre autocritique. Il faut dire ce qui s’est passé avant et après les élections. Il faut dire ce que nous nous reprochons. Où avons-nous manqué de tact ? Il faut une analyse globale. Et en plus, je répète qu’il faut qu’on arrête de croire que dès qu’on critique les mauvaises actions de notre parti, c’est parce qu’on est passé de l’autre côté. Et puis, parmi ceux qui parlent, nombreux sont ceux qui ont quitté d’autres partis pour nous rejoindre au Fpi. Il ne faut pas croire que c’est toujours bien de voir les autres adhérer à notre parti et que c’est mauvais quand les nôtres partent ailleurs. On peut critiquer les actions du Fpi et demeurer militant de ce parti.

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Interview réalisée par Bidi Ignace

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