Source: Le Nouvel Observateur
Ainsi donc l’ex-président ivoirien Laurent Gabgbo remet au goût du jour son désir d’astreindre les militaires français en Côte d’Ivoire devant la justice : il a posé plainte contre l’armée de l’Hexagone pour « tentative d’assassinat » lors de l’assaut contre sa résidence en avril 2011. Une option normale, car l’illustre embastillé de Korhogo demeure un citoyen qui peut saisir la justice s’il se sent lésé. Mais Gabgbo n’est pas n’importe quel Ivoirien, et vu que ses relations avec la France confinaient au « je t’aime moi non plus » à la Serge « Gainsbarg », on ne peut que supputer sur cette plainte, qui vient sur le tard. Grosso modo, trois étapes ont ponctué ses rapports, sinusoïdaux, avec l’Hexagone
– La première étape a été marquée dans les années 80 par la consolidation des liens entre Gbagbo et certains éléphants du PS. Eloigné en France par Houphouët-Boigny dont il était devenu le poil à gratter, l’historien contestataire en a profité pour mieux se rapprocher de Guy Labertit, dont il partageait la chambre à Vitry-sur-Seine. Il n’oubliera pas Henri Emmanuelli, « son jumeau blanc », ou Jak Lang, qui prendront fait et cause pour lui jusqu’à son élection, chaotique, en 2000. Seul le « dieu » de Jarnac, François Mitterrand, le tenait en piètre estime.
De même qu’un autre François, Hollande, qui le trouvait infréquentable.
– La seconde phase est celle d’une cour assidue à Jacques Chirac jusqu’à l’offensive avortée des nordistes le 19 septembre 2002, qui instaura la glace entre les deux hommes, mais que tenta vainement de briser Roland Dumas en 2005. C’est qu’il y a des rancœurs qu’on ne saurait expurger au détour de simples coups de fils.
A partir de cette date d’ailleurs, surfant sur un nationalisme à fleur de peau, le président Gbagbo inocula le venin de la francophobie aux patriotes, avec à leur tête Blé Goudé, qui orchestreront une chasse aux Français. Non seulement il n’a pas digéré les Accords de Linas-Marcoussis, de janvier 2003, mais il pensait que la France jouait la carte ADO.
– La troisième et dernière étape va de novembre 2004 à avril 2011. Le 6 novembre 2004, des avions pro-Gbagbo attaquèrent à Bouaké le camp de soldats français : 9 marsoins furent tués et une trentaine blessée. La France réagit et tous les avions des FANCI sont détruits au sol. Le 11 avril 2011, sous mandat onusien, la Licorne extirpe Gbagbo de son bunker de Cocody et le livre au président démocratiquement élu, ADO. La venue de Sarkozy à l’Elysée en 2007 n’y aura rien changé.
En brandissant cet épouvantail judiciaire, « le christ de Mama » semble viser deux objectifs :
1) embarrasser la France, en se faisant défendre par deux personnalités rompues à ce genre de jeu (Jacques Vergès et Roland Dumas). Le premier, qui a défendu le FLN algérien, Moussa Traoré, le boucher Kmer rouge Kieu Shampeu, pour ne citer que ceux là, n’a pas de ligne rouge quand il défend un client, surtout s’il a des atomes crochus avec ce dernier (on n’est pas avocat du diable et de ses acolytes pour rien). Ça tombe bien, l’homme à l’éternel barreau de chaise aux lèvres tient là encore une occasion, si procès il devait y avoir, de montrer qu’il demeure le « salaud lumineux » des prétoires.
D’ailleurs, qui peut rester de marbre quand un ex-député, ancien ministre des Affaires étrangères et ex-président du Conseil constitutionnel devient le conseil voire le conseiller d’un président africain chassé du pouvoir par des soldats français ?
2) Créer un écran de fumée, censé faire diversion et rappeler aux Ivoiriens que lui, le nationaliste, a été détrôné par la France. Déjà en 2004, il avait voulu ester en justice contre la Licorne avant d’en être dissuadé par Roland Dumas (encore !). Reste qu’on peut aisément douter de l’aboutissement de cette plainte, car, pare-feu pour pare-feu, Gbagbo a été inculpé pour crimes économiques, et les autorités ivoiriennes appellent de tous leurs vœux la CPI à se pencher sur son cas, relativement aux crimes contre l’humanité de la période postélectorale.
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