Le Patriote
La ville de Duékoué renaît à la vie après les évènements douloureux qui l’ont secouée en mars 2011. Nous avons rencontré le préfet de région, Benjamin Effoly avec qui nous avons échangé sur la situation actuelle.
Le Patriote : Six mois après le drame de Duékoué, dans quel état d’esprit se trouve la population ?
Benjamin Effoli : Vous êtes mieux placé que moi pour jauger l’état d’esprit de la population de Duékoué. Vous revenez sur le terrain après votre passage ici au mois de mai dernier. Si vous sillonnez Duékoué sans aller aux quartiers Carrefour et To Guehi, il vous est difficile de croire qu’ici à Duékoué, il y a eu des évènements dramatiques. Cela veut dire que la vie reprend et la population reprend ses activités économiques. C’est vrai que des problèmes demeurent mais je pense que l’état d’esprit, vous conviendrez avec moi, est bon actuellement.
LP : C’est vrai que nous constatons un regain de vitalité mais cela n’occulte pas la réalité des déplacés qui restent toujours confinés à la mission Catholique et sur le site de Nihably. Il y a certainement des problèmes d’insertion de ces personnes ?
BE : Je ne crois pas que ce soit un problème d’insertion ou que le retour est contesté par ces populations. Ce qu’il faut savoir, c’est que des villages et des quartiers ont été détruits, qui sont assez peuplés. Beaucoup de ceux qui se trouvent à la mission sont originaires de ces quartiers. Et comme pour l’instant l’action des humanitaires consiste à apporter l’aide d’urgence et à relocaliser sur le nouveau site de Nihably ceux qui ne pouvaient pas retourner immédiatement parce que les villages ne sont pas encore réhabilités, alors vous comprendrez pourquoi il y a encore des déplacés confinés à la mission. Ces déplacés ne refusent pas de retourner dans leurs villages, ils attendent seulement un coup de pouce pour le faire. Ce coup de pousse, c’est peut-être une aide en matériau de reconstruction. Toujours est-il qu’il faut des habitats avant que les gens ne puissent retourner chez eux.
LP : On remarque que l’Etat a laissé la situation aux mains des humanitaires qui font ce qu’ils peuvent. A quand la reprise en main des choses par le gouvernement ?
BE : Mais l’Etat a les choses en main. Les humanitaires ne sont pas dans un no man’s land. Ils sont à Duékoué et le Moyen-Cavally a toutes ses autorités administratives en place, tous les services de la circonscription sont ouverts. Cela veut dire que l’Etat est présent ici. Mais c’est vrai que les humanitaires sont dans l’urgence et dans cette urgence, ils sont aux côtés de l’Etat. Ils nous assistent dans le travail de l’Etat. Ce que j’aurais pu dire c’est qu’est ce que l’Etat doit apporter concrètement pour résoudre ce problème ? Tous les préfets de la région reçoivent régulièrement la visite des membres du gouvernement. A Duékoué ici, j’ai reçu le ministre des Droits de l’homme, le ministre de la Famille, le ministre de l’Intérieur, le ministre de la Solidarité, et tous ces ministres sont venus faire le constat et rapporter au président de la République l’urgence de la situation de Duékoué. Je suis persuadé qu’après ces missions de terrain, beaucoup de choses sont en préparation à Abidjan. Mais nous posons également tous nos problèmes dans tous les rapports que nous faisons à notre hiérarchie. Pour décongestionner la mission catholique, il faut aider les gens qui y sont à retourner dans leurs villages d’origine et non sur le site de relocalisation de Nihably qui, à terme, ne peut recevoir plus de 8000 personnes.
LP : A propos du site de relocalisation des déplacés à Nihably par les Humanitaires, la chefferie traditionnelle s’y oppose. Quel est votre avis sur la question ?
BE : En tant que Préfet, et je le dis d’ailleurs à toutes les missions ministérielles qui passent, il serait intéressant que les populations se retrouvent dans leur village. Ce que les gens disent est une réalité. Mais les humanitaires ont leurs contraintes et leurs règles. Le HCR n’a pas pour vocation de prendre des déplacés pour les envoyer de force dans leur village. Ils les assistent pour un retour volontaire. Mais en attendant qu’il y ait un minimum de conditions d’accueil dans ce village pour que les déplacés puissent retourner chez eux, le HCR a cru bon de construire un nouveau site de relocalisation. Rappelez-vous qu’au moment où la mission accueillait les déplacés, il y avait 27.000 personnes sur un site d’à peine 3 hectares. Vous imaginez un peu les conditions de cohabitation sur ce site-là. Le HCR a donc donné un minimum d’humanité à ceux qu’on pouvait relocaliser étant entendu que la relocalisation ne concernait que ceux qui ne pouvaient pas retourner dans l’immédiat dans leur village d’origine. Mais aujourd’hui, il faut reconnaître qu’à Niambly, nous avons eu un premier retour de volontaires. Quand ceux-là sont retournés, le HCR les a soutenus en leur distribuant des bâches. C’est-à-dire que si la population prend la décision de retourner, il y aura des humanitaires qui vont les assister sur le terrain. Mais ces humanitaires n’ont pas pour vocation de prôner le retour parce que le retour selon leur principe doit être volontaire.
LP : Quels sont aujourd’hui les vrais problèmes de votre région ?
BE : Les premières communautés allogènes sont arrivées ici en 1930. Mais qu’est ce qui fait que les choses se passent assez mal actuellement à Duékoué. Alors que du temps de leurs aînés, la cohabitation a pu être harmonieuse. Quand on creuse la question on se rend compte que ce n’est pas un problème politique. On se rend plutôt compte qu’on a utilisé un problème politique pour résoudre un problème économique. Parce que les premiers problèmes de Duékoué ont commencé avec les litiges fonciers en 96. Ce sont ces problèmes fonciers qui n’ont pas trouvé une solution acceptable par tous qui fait que la crise a été aussi tragique ici. Des politiciens ont dû utiliser ces problèmes latents qu’ils connaissaient. Notre problème est économique. Il nous faut nous asseoir pour résoudre tous les problèmes fonciers que le pays connaît sinon, de façon cyclique, ces problèmes reviendront. 2011 n’est pas la première crise, puisqu’on m’a parlé de 96, de 98, et de 2004. Tout le monde connait le problème de Guitrozon et de Fingolo. On a fait un amalgame avec la crise sociopolitique mais nos problèmes viennent d’ailleurs. C’est de la solution aux problèmes fonciers que naîtra une vraie paix à Duékoué. On attend que les communautés s’accordent d’abord avant de poser les vrais problèmes.
LP : Beaucoup pensent que la réconciliation nationale devrait commencer ici à Duékoué. Qu’en pensez-vous ?
BE : On nous donne trop de responsabilités. Ce que je sais, c’est que la crise a été profondément grave ici à Duékoué. Si après la déchirure entre les communautés ici, les gens peuvent se remettre ensemble pour voir l’avenir de la même manière, c’est que toute la Côte d’Ivoire peut se réconcilier. A ce titre, je peux dire que la réconciliation en Côte d’Ivoire ne commence pas par Duékoué mais Duékoué peut servir d’exemple si ce département parvient à faire la paix.
Propos recueillis par ALI,
Envoyé spécial
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