Michel Amani N’Guessan a été ministre de la Défense sous Laurent Gbagbo, pendant plusieurs années. Il est Secrétaire général adjoint chargé des questions sécuritaires au Front populaire ivoirien (Fpi, opposition). Dans cette interview, il parle de la perte du pouvoir par Gbagbo, de Koulibaly Mamadou, des 100 jours de gouvernance du président Alassane Ouattara. Il aborde également la question de la nouvelle Armée et l’emprisonnement aux Etats-Unis du Colonel Yao N`Guessan, suite à une mission d’achat d’armes dans ce pays qu`il a cautionnée en tant que ministre de la Défense.
Comment avez-vous vécu le départ de Laurent Gbagbo du pouvoir, le 11 avril 2011?
Michel Amani N`Guessan: Je voudrais vous remercier. Comme tout bon fidèle du Front populaire ivoirien, je suis peiné, non pas parce que le président Laurent Gbagbo a perdu le pouvoir, mais parce que le mode de changement du pouvoir a été véritablement anti-démocratique. C`est un véritable assassinat de toutes les valeurs auxquelles nous croyons. Le président Gbagbo est arrivé au pouvoir pour cultiver la démocratie et nous avons cru en lui. Les élections de 2010 ont été l`occasion pour la France et l`Onu d`assassiner la démocratie en Côte d`Ivoire. C`est pourquoi je suis peiné. Autrement dit, perdre le pouvoir c`est dans la logique de la vie politique. On prend le pouvoir, on le perd. Tout est une question de volonté du peuple. Mais là, je me rends compte que l’on n’a pas tenu compte de la voix du peuple. C’est plutôt la loi des armes qui s`est imposée.
Mais la communauté internationale affirme n`avoir fait qu’appliquer les décisions de la Cei…
M.A.N: Vous voulez parler des résultats provisoires de la Cei? Oui, tout le problème est parti de là. Suite à la forfaiture de la Cei (Commission électorale indépendante, Ndlr) le Conseil constitutionnel, autorité constitutionnelle chargée de proclamer les résultats définitifs des élections présidentielles, a donné le candidat Laurent Gbagbo vainqueur alors que la Cei avait proclamé le candidat Ouattara vainqueur. Le problème est né de ces proclamations contradictoires. La communauté internationale, arbitre impartial, devrait trancher de façon juste et équitable. Par respect de la constitution ivoirienne, il fallait reconnaître le caractère provisoire des résultats donnés par la Cei et douter du résultat donnés par le Conseil constitutionnel. Ce qui aurait permis soit de reprendre les élections ou de recompter les voix obtenues par chacun des candidats, sous le regard vigilant d’observateurs des deux camps. La démonstration aurait été faite de la défaite de l’un ou l’autre des deux candidats. Le recomptage des voix était le seul moyen de transparence pour convaincre tout acteur politique de la réalité du résultat électoral. La communauté internationale en choisissant d’endosser un résultat, celui de l’organe qui n’avait pas à donner de résultat définitif, a mis le feu dans notre pays et c’est dommage.
A cette période, justement, des informations indiquaient que vous aviez demandé au président Laurent Gbagbo de se retirer…
M.A.N: Je n’ai jamais demandé au président Laurent Gbagbo de se retirer. Je ne pouvais pas le lui demander. Car à la suite de la confusion créée par la Cei et le Conseil constitutionnel, il fallait rechercher la vérité. Sur quelle base aurais-je conseillé une attitude au Président Gbagbo ? Toute déclaration, à partir de ce moment, de tout Ivoirien était une déclaration partisane de nature à mettre l’huile sur le feu. C’est pourquoi, je me suis tu pour assister au règlement du contentieux électoral par ceux qui le pouvaient en toute impartialité. Hélàs! la communauté internationale a choisi de s’accrocher à l’un des résultats. Ce qui n’a pas été juste et équitable. La communauté internationale, au lieu de régler le contentieux électoral, a plutôt contribué à l’envenimer. Aujourd’hui, la question de savoir qui a gagné les élections présidentielles en Côte d’Ivoire n’a pas été tranchée. Les armes ont fait le reste. La démocratie a été dévoyée. L’autoritarisme fait place au consensus nécessaire pour rapprocher les Ivoiriens. Aujourd’hui, la question de fond est, comment retrouver la cohésion sociale si indispensable à la paix, préalable au développement. Quelle que soit la nature du pouvoir, nous devons renouer avec la lutte pour renverser la situation.
« L’exil a pour effet de former à la lutte«
C`est-à-dire?
M.A.N: C’est-à-dire que la démocratie sera réinstaurée en Côte d`Ivoire. Et qu`aucune élection ne donnera lieu à des prises d`armes. En tant que militant fervent du Fpi, nous avons appris à cultiver la transition pacifique à la démocratie, nous restons dans cette voie. Nous allons nous battre pour réinstaurer la démocratie en Côte d`Ivoire, et avec des moyens démocratiques.
Certains de vos camarades sont en exil. Est-ce que cette situation n`a pas un impact sur votre parti ?
M.A.N:Aujourd`hui, la terreur qui s`installe dans le pays justifie que plusieurs de nos camarades, par crainte des exactions, soient sortis du pays. Mais, je voudrais vous dire qu’il y va de l`histoire des hommes et des sociétés. La terreur n`a jamais eu raison des idées progressistes. Nous sommes convaincus qu’à l`intérieur, la terreur sera suffisamment érodée et succombera. La démocratie triomphera. Souvenons-nous, le président Houphouët-Boigny avait réussi à installer en Côte d`Ivoire le parti unique et la pensée unique avec un seul parti, le Pdci-Rda. Il avait, à sa solde, toutes les Institutions du pays, il nommait les députés. Pourtant, la lutte a eu raison de lui. Le multipartisme a été arraché en 1990 et la démocratie était dès lors en construction. Les combattants n’étaient pas aussi nombreux qu’ils le sont aujourd’hui. C’est pourquoi, face à la tentative de retour au parti unique et à la pensée unique, je reste plein d’espoir. L’exil a pour effet de former à la lutte. Ensemble, avec des consciences forgées dans des moules différents, c’est la lutte qui gagnera en efficacité pour le triomphe des libertés démocratiques.
Mais le Fpi est déjà handicapé pour cette bataille, vu que l`ancien N°2 de votre régime, Koulibaly Mamadou, a quitté le navire.
M.A.N: Non ! La défense d’un idéal est une force inaltérable qui ne peut souffrir de la versatilité de l’homme.
Le départ de Koulibaly ne vous affecte donc pas?
M.A.N: Koulibaly quitte le Fpi. C’est un camarade qui s’en va. Nous avons eu des relations humaines des plus correctes. Il laisse forcément un vide regrettable. Mais la défense de notre idéal commun ne nous a jamais séparé. Koulibaly, comme tout militant du Fpi, aspire à la liberté. Koulibaly a changé de chambre, il n’a pas quitté la maison. Ensemble, nous continuons la lutte pour la restauration de la démocratie en Côte d’Ivoire. De ce point de vue, vous comprenez que nous ne sommes pas affectés par ce départ.
Justement, Koulibaly a affirmé que le Fpi a dévié de cet idéal démocratique.
M.A.N:Jusqu`à présent, de mon point de vue, le Fpi n`a pas dévié. Je lui concède cette appréciation des faits. Cela fait partie des libertés démocratiques. Mais, qu`il accepte aussi que je dise que de mon point de vue, le Fpi est resté fidèle à ses engagements initiaux. A savoir, instaurer la démocratie dans le pays et gouverner en s`appuyant sur le peuple. Le président Gbagbo Laurent ne s`est pas détaché du tout du peuple pendant ses dix ans au pouvoir. Les consultations populaires avaient pour but de gouverner par consensus. L`accord politique de Ouagadougou est né de ces consultations populaires. Du 7 au 21 novembre 2006, le président Gbagbo a procédé à une consultation ouverte en Côte d`Ivoire. C`est à la fin de ces consultations que l`accord politique de Ouaga a été signé. Je reste très attaché à Monsieur Gbagbo Laurent à cause de sa méthode de gestion des affaires politiques, son ouverture sur tous les partis, la tolérance et le pardon dont il a fait preuve pendant son mandat. Cela prouve que nous sommes restés fidèles aux principes du socialisme démocratique. On ne peut donc pas dire que Laurent Gbagbo et le Fpi ont dévié.
« Le Rdr développe un jeu extrêmement rugueux. Nous en prenons acte« .
Gbagbo est assigné à résidence à Korhogo, son épouse à Odienné, et certains de vos camarades sont en prison. Comment vivez-vous cette situation?
M.A.N:Je vis très mal cette situation que je trouve inadmissible et que je condamne. Cependant, nous sommes en politique. Un footballeur qui ne veut pas recevoir des tacles de ses adversaires doit arrêter de jouer au foot. Il en est de même en politique. Seulement, de toutes les équipes en compétition politique en Côte d’Ivoire, le Rdr développe un jeu extrêmement rugueux. Nous en prenons acte. Ce n’est pas pour autant que nous allons arrêter de faire de la politique. En tout cas, le président Gbagbo a dit ceci : ‘’Si je tombe, enjambez mon corps et continuez le combat’’. Nous sommes en plein jeu politique. Gbagbo n’est pas tombé, il est en prison. Ce n’est pas la première fois que cette situation se produit.
Souvenez-vous de 1992, lorsque le président actuel, Premier ministre d`alors, l`avait fait arrêter, son épouse, son fils et des collaborateurs. Nous nous retrouvons dans la même situation. La direction du parti était en prison, pourtant le Fpi a survécu. Dans les mêmes circonstances, le Fpi survivra parce que Gbagbo Laurent en prison, il a laissé une grande famille qui, bien qu`orpheline, continuera le combat. Le temps est venu pour nous qui sommes encore en liberté de nous battre pour relever les défis du changement démocratique.
Vous avez rappelé la situation de 1992, mais la différence aujourd`hui c`est que Gbagbo ira au Tpi…
M.A.N: Tout cela ne change rien aux vœux des gouvernants actuels. Le président Gbagbo est en prison. On veut le priver de liberté d`une manière ou d`une autre. Le fait qu`on ait recours au Tpi n`est qu’une question de norme juridique qui ne change rien à la volonté des gouvernants. C`est aussi une volonté de tuer la démocratie. La démocratie ne signifie pas qu’un pouvoir doit réduire son opposition au silence. Libérer l`opposition ivoirienne, c`est libérer celui qui l`incarne. Celui qui l`incarne en Côte d`Ivoire, c`est le président Gbagbo Laurent.
Vous avez animé votre premier meeting à Koumassi, récemment. Que fera le Fpi après?
M.A.N: Nous avons mis en place une direction intérimaire qui est très organisée. Ce directoire est composé de 6 personnalités. Je suis Secrétaire général adjoint chargé des questions sécuritaires. A ce titre, je peux vous dire que nous nous organisons pour rassurer les militants du Fpi par rapport à leur sécurité. Nous recherchons le dialogue politique avec les autorités actuelles. Nous leur avons demandé une rencontre et nous attendons depuis trois mois. Il faut que la discussion s`engage. Il faut que les échanges entre le pouvoir et son opposition s`engagent. Si ce n`est pas le cas, Monsieur Ouattara ne fait que confirmer le caractère anti-démocratique de son pouvoir.
Si cela perdure, que fera le Fpi?
M.A.N: Nous allons continuer à demander le dialogue jusqu’à l’obtenir. C`est pourquoi nous nous mobilisons. Nous allons exiger que la démocratie se développe dans ce pays avec des moyens démocratiques.
Quels sont vos moyens pour exiger la démocratie?
M.A.N:Il y a les marches, il y a les meetings. Après le meeting de Koumassi, nous avons prévu un ensemble de meetings sur l`ensemble du territoire national. Et bientôt, nous allons envoyer plusieurs délégations à l`intérieur du pays pour parler de la situation nationale et engager la lutte pour la restauration de la démocratie.
Croyez-vous que la réconciliation est possible ?
M.A.N: La démocratie favorise la réconciliation. S`il n’y a pas de démocratie, il n’y a pas de réconciliation. Je suis heureux que les autorités actuelles parlent de réconciliation. Mais en même temps, elles doivent faire de cette condition une exigence. Le bon sens commande que si la démocratie est bien menée dans un pays, il y ait la réconciliation. Nous encourageons les autorités à parler, mais surtout à agir pour que la réconciliation soit effective.
« Devant le Tpi, il n’y aura pas que Monsieur Laurent Gbagbo« .
Devons-nous entendre par là libérer Gbagbo et vos camarades ou les juger?
M.A.N: Nous sommes dans un contexte politique, il faut le savoir. Cela suppose un traitement différent des problèmes. Ne soyons pas amnésiques. Le 19 septembre 2002, il y a eu le coup d’Etat avorté qui s’est mué en rébellion armée. Des crimes ont été commis. Saura-t-on un jour le ou les commanditaires de ce coup d’Etat ? L’enquête est-elle ouverte ? Depuis que la rébellion s`est installée, jusqu`au renversement du président Gbagbo, il y a eu des crimes graves de toutes natures. La partition du pays a donné lieu à des exactions graves. Parlant de charniers, rappelons que des gendarmes de Bouaké, des danseuses d’Adjanou (danse rituelle exécutée pour conjurer le mauvais sort, Ndlr) de Sakassou ont été assassinés en groupe et enterrés certainement dans des fosses communes.
Aujourd’hui, on parle des femmes d`Abobo, sans parler de ces femmes de Sakassou.
Depuis le 19 septembre 2002, il y a des crimes économiques. Le pays est divisé en deux, avec deux caisses parallèles. Il n`y a pas crimes plus graves que d`amputer un pays de toute une partie de ses biens. Le bois, le cacao, le café, l`Or, le coton, le diamant ont été pillés dans les zones Centre, nord et ouest (Cno). Rappelons nous le casse de la Bceao. A combien de milliards de francs Cfa estime-t-on tout cela? Ce sont des crimes graves. Aujourd`hui, on veut juger Gbagbo Laurent, soit! La responsabilité est certes individuelle, mais alors il faut situer toutes les responsabilités et juger tout le monde. Vous voyez que devant le Tpi, il n’y aura pas que Monsieur Laurent Gbagbo. N’allons donc pas dans ce sens. Pour ma part, je considère que, dès l’instant où les Ivoiriens ont été incapables de dépassement et qu’ils sont allés à la guerre, tous les coups, mêmes les plus irréguliers, étaient permis. Dès lors, il nous faut sortir de l’imbroglio politique par la politique. Tous étant coupables, il faut amnistier tous les faits pendant la période de guerre et aller à une nouvelle fraternité nationale. La recherche de coupables suite à cette guerre éloignera les Ivoiriens les uns des autres, plus qu’elle ne les rassemblera. Il faut donner des chances à la réconciliation en empruntant la voie de l’honnêteté, de la justice morale, de la tolérance et du pardon. Faire porter le chapeau à un camp, c’est choisir de continuer la guerre en Côte d’Ivoire. Eloignons-nous de la justice sélective, de la justice des vainqueurs et choisissons la réconciliation vraie.
Que pensez-vous de la plainte de Laurent Gbagbo contre la France?
M.A.N: La Côte d`Ivoire a été attaquée le 19 septembre 2002. A partir de ce moment, il y a eu sur le territoire national deux armées ennemies. La force Licorne et l`Onu ont été invitées pour travailler au rapprochement de ces deux armées. Nous n`avons pas compris pourquoi ces deux forces dites impartiales ont pris le parti de la rébellion. Et l`on accompagnée dans sa mission jusqu`au bombardement de la résidence du président de la République, le l1 avril 2011. A partir de cette déviation de la mission des forces impartiales, nous étions en droit de les poursuivre pour avoir tronqué l`objet de leur mission. C`est pourquoi, aujourd`hui, nous soutenons fermement, en tant que parti politique, la plainte déposée par le président Laurent Gbagbo. C`est un assassinat de la démocratie. Le bombardement de la résidence présidentielle est une volonté affichée d`assassiner le président Laurent Gbagbo. La plainte se justifie pleinement et nous la soutenons.
Mais cette résidence a été bombardée, parce que Gbagbo refusait de reconnaître les résultats des élections…
M.A.N: Je viens de vous démontrer amplement qu`il n`avait pas à reconnaître ces résultats ou pas. Il était candidat et il attendait des organes attitrés la proclamation des résultats. C`est la confusion créée par la Cei et le Conseil constitutionnel qui a entraîné toute cette situation. Le président Laurent Gbagbo n`agissait pas de son propre fait, il appliquait le droit. Peut-on aujourd`hui, en tant que citoyen, reprocher à quelqu`un d`appliquer le droit de son pays? En l`occurrence ce qui est contenu dans la constitution? Je ne pense pas.
Cette plainte a-t-elle une chance d`aboutir?
M.A.N: Dans la logique de la communauté internationale, le choix est clair. Il y a une certaine Afrique qu`il faut combattre. Il y a une certaine Afrique dont la voix ne doit pas être entendue. Oui, de ce point de vue, la plainte peut ne même pas être enregistrée. Mais quant aux fondements de la plainte, je vous répète que le président Gbagbo a raison de déposer une plainte et elle est fondée. Il n`y a pas plus sourd que celui qui refuse d`entendre.
« Du 19 septembre 2002 à aujourd`hui, je crois que nous sommes toujours en guerre. C`est l`impression que me donne le pouvoir« .
19 septembre 2002-19 septembre 2011, cela fait 10 ans qu`une crise militaro-politique éclatait en Côte d`Ivoire, quel regard?
M.A.N: Nous allons de mal en pis parce que l`on n`emprunte pas les voies de règlement pacifique de la crise. On a imposé un pouvoir et dans la fébrilité, ce régime pense pouvoir s`imposer toujours par la force. Ce n`est pas ainsi que la paix va revenir en Côte d`Ivoire. Il faut mettre balle à terre, accepter de discuter avec les uns et les autres, en l`occurrence l`opposition, pour ramener la paix dans le pays. Or, je constate que ce n`est pas le cas. C`est pourquoi, du 19 septembre 2002 à aujourd`hui, je crois que nous sommes toujours en guerre. C`est l`impression que me donne le pouvoir.
Quel jugement portez-vous sur les 100 jours de gouvernance du président Alassane Ouattara?
M.A.N: En tant qu`homme politique, j`adore la pratique démocratique. Or, les voies dans lesquelles mon pays s`engage ne sont pas du tout démocratiques. Je suis peiné et je condamne les voies anti-démocratiques dans lesquelles mon pays s`est engagé. Regardez, aujourd`hui, l`Armée. Depuis l`attaque du 19 septembre 2002, elle est désorganisée. En principe, la sécurité intérieure est assurée dans ce pays par la police et la gendarmerie. La sécurité extérieure est assurée par les militaires. Mais à quoi assistons-nous? Aujourd`hui, il n`y a plus de distinction entre la sécurité intérieure et la sécurité extérieure. A l`intérieur, nous voyons une bande armée qui déambule dans les rues avec des armes de guerre. On ne fait pas la sécurité intérieure avec des armes de guerre. On nous dit que c`est un processus et qu’il faut de la patience. Le président lui-même nous a promis jusqu`à fin juin pour mettre de l`ordre. Mais jusqu`aujourd`hui, ils sont là. Cela inquiète les Ivoiriens. Vivement que l’ordre soit établi au plan sécuritaire.
S`agissant de la dénomination Frci, vous avez été ministre de la Défense pendant plusieurs années. Est-ce qu`il faut revenir à l`ancienne appellation Fanci?
M.A.N: Frci ou Fanci, cela n`est pas le débat. Aujourd`hui, ce n`est pas le contenant, c`est du contenu qu’il s’agit.
Pour notre pays en 2011, quel type d`armée voulons-nous ? A la suite de la guerre, évidemment que les Institutions que sont l`Armée, la Gendarmerie, la Police, les Eaux et Frêts, la Douane, ne peuvent demeurer en l’état. Il est question de partir d’une situation d`exception vers une situation normale. C`est une question de principe de base. Or, le consensus national est rompu depuis le 11 avril 2011. Les autorités actuelles refusent toute concertation en vue d’obtenir et d’agir sur la base d`un minimum de consensus. Sur quelle base mettent-elles en place l`armée nouvelle? C`est la rupture d`avec le consensus contenu dans l`accord politique de Ouaga qui fait que le débat ne se situe pas aujourd`hui au niveau de la dénomination de l`Armée. Le débat se situe au niveau de ce que nous mettons dans nos différentes institutions militaires.
Dans l’accord politique de Ouaga, par exemple, il est dit que les commandants de zone devaient faire valoir leurs droits à la retraite avec des conditions qui devraient être fixées dans une ordonnance présidentielle. Mais au contraire de cela, les commandants de zone sont maintenus dans l`armée et pis, ils sont nommés dans la chaîne de commandement de l`Armée. Une force spéciale avec une mission occulte est créée. Tout cela en dehors de tout consensus national. Cela n`est pas fait pour que l`armée soit acceptée. Je souhaite qu`aujourd`hui, le président Ouattara emprunte la voie du dialogue, de la discussion minimale pour qu`un consensus se dégage au niveau national, afin d`asseoir des institutions qui seront acceptées par tous et pour tous. Aujourd`hui, l’armée qui est en train d’être mise en place est celle des vainqueurs et elle inquiète.
Voulez-vous dire que cette nouvelle armée est mal partie?
M.A.N: Tant que les autorités penseront que ce qui doit se faire dans ce pays aujourd`hui n`est que l`affaire des vainqueurs et que les vaincus n`ont rien à y faire, la base est faussée.
Le Fpi va-t-il compétir lors des prochaines législatives, si oui, seriez-vous candidat?
M.A.N: Je suis dans le directoire du Fpi. Aujourd`hui, à l`analyse de l`environnement des élections, nous ne voyons pas du tout ce qui a changé par rapport à l`environnement des élections présidentielles. Les choses se sont aggravées. Voilà un président de la Cei qui est à la base du conflit qu`on appelle abusivement crise post-électorale qui est maintenu contre la volonté de tous ceux qui se reconnaissent en Laurent Gbagbo. On ne change pas les règles du jeu pendant un même match, dit-on. Pourtant, on a changé le président du Conseil constitutionnel, c’est difficile à comprendre. Ensuite, quand nous observons la composition de la Cei, 27 personnalités sur 31 sont favorables au pouvoir et 4 seulement sont favorables à l`opposition. C`est inacceptable. Et la situation sécuritaire est grave. Au nord, la Gendarmerie, la Police ne sont pas encore installées. Là elles sont installées, les Frci font encore la loi. Les militaires qui sont sortis des casernes depuis le 19 septembre 2002 sont encore dehors au nord comme au sud. Dans ce contexte d`imbroglio insécuritaire, comment voulez-vous organiser des élections véritablement démocratiques? Nous ne voulons pas répéter ce qui s`est passé à l’occasion des élections présidentielles. Le contexte n`est pas du tout propice à des élections libres, transparentes et justes. Nous voulons qu`on s`asseye et qu`on discute des conditions environnementales pour aller aux élections le cœur en paix.
En tant que parti, tant que ces conditions ne sont pas remplies, nous ne pouvons pas y aller. Personnellement, je ne compte pas. Je me retrouverai dans la décision du Fpi.
« Je demande aux autorités actuelles de défendre le colonel Yao N’Guessan«
Quelle est la situation du Colonel Yao N`Guessan que vous avez envoyé aux États-Unis pour acheter des armes?
M.A.N: C’est un cas singulier, tout aussi important que la situation nationale. Voilà un pays qui se gère, en principe avec une Police, une Gendarmerie et une Armée. L`Onu nous fait obligation de redéployer 8000 gendarmes et policiers dans le cadre de l`organisation des élections de 2010. Le ministre de la Défense de l`époque trouve que pour redéployer cet important personnel sur l`ensemble du territoire national, il fallait des armes légères pour le maintien de l`ordre. En toute responsabilité et au nom de l`Etat de Côte d`Ivoire, le ministre de la Défense que j`étais, envoie donc une délégation aux États-Unis après avoir pris le soin d`écrire au Conseil de sécurité, surtout au comité de sanction, mais rien n`y fit. La guerre contre la Côte d`Ivoire avait déjà été engagée. Le chef de cette délégation a été enlevé et garder dans les prisons américaines. A la date d`aujourd`hui, je plaide simplement, au nom de la Côte d`Ivoire, pas en tant qu`Amani, pour la libération du citoyen ivoirien en mission d’Etat aux Etats-Unis. J’ai agi en tant que ministre de la République et dans l`intérêt de la Côte d`Ivoire. Le Colonel Yao N`Guessan est détenu aujourd`hui, pas en tant que simple individu, mais en tant que citoyen ivoirien en mission d`Etat. C`est pourquoi l`Etat de Côte d`Ivoire se doit de le défendre. Je demande aux autorités actuelles de défendre le colonel Yao N`Guessan, pour qu`il recouvre la liberté totale qu’il a perdue depuis bientôt un an.
N’avez-vous pas été piégé?
M.A.N: On m`a toujours posé cette question. Je ne vois pas où est le piège, si ce n`est que les impérialistes avaient déjà décidé du sort de la Côte d`Ivoire et surtout du régime de Laurent Gbagbo. Il fallait traquer le régime Gbagbo partout dans le monde. Si telle est la volonté des impérialistes, moi, je pense que représentant de l`Etat de Côte d`Ivoire à l`époque, nous avons été simplement victime d`une politique internationale, qui traque des gens, non pas pour ce qu’ils font, mais pour leur appartenance à un régime. Nous sommes victimes de cette politique impérialiste. Aujourd`hui, c`est la Côte d`Ivoire qui est victime et l`un de ses fils croupit dans les géôles américaines, mais demain à qui le tour? J’interpelle les autorités ivoiriennes de savoir raison garder et d’agir pour faire libérer le citoyen fonctionnaire en mission d’Etat, j’insiste. Par ailleurs, compte tenu des besoins énormes en armes légères pour le maintien de l’ordre public, l’Etat de Côte d’Ivoire doit forcément acquérir les 4.000 pistolets et les 50.000 grenades lacrymogènes, objets de notre commande pour assurer la sécurité intérieure, selon les normes internationales. Cela nous éviterait de voir dans les rues des kalachnikov et des armes de guerre dans le cas du maintien de l’ordre public, ce qui est anormal.
Réalisée par
K.A.Parfait
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