Source: Le Mandat
Neuf ans après l’avènement de la rébellion en Côte d’Ivoire, les Ivoiriens continuent de s’interroger sur le mystère qui l’entoure.
Dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, la Côte d’ivoire s’est réveillée avec des crépitements d’armes lourdes sur presque toute l’étendue du territoire national. Abidjan, la capitale économique, est la plus secouée, quand Bouaké et Korhogo , plus au nord du pays sont aux mains des forces jusque-là non identifiées, avant d’être reconnues comme des éléments de l’armée nationale, connus sous l’appellation de « Baéhéfouè et Zinzin ». Le régime d’Abidjan, alors sous la conduite de Laurent Gbagbo, tente de ramener la paix, mais la Côte d’ivoire finit par être scindée en deux. La partie septentrionale aux mains des désormais Forces nouvelles(Fn), avec plus de 60% du territoire national, et la partie sud (40%) dénommée zone gouvernementale. Neuf (9) ans après cette nuit mouvementée, les Ivoiriens se souviennent et nombre d’entre eux ne cessent de s’interroger sur la paternité de la rébellion, la première du genre dans l’histoire de la Côte d’Ivoire indépendante. Des négociations et tractations en cours depuis ont abouti à la conclusion de l’Accord politique de Ouagadougou, en mars 2007. Mais, elles n’ont pu donner plus d’éclairages sur cette nouvelle donne dans la politique du pays. Encore moins l’émission télévisée qui a permis le débat entre le candidat de La majorité présidentielle (Lmp) Laurent Gbagbo et celui du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix(Rhdp), le Dr Alassane Ouattara. Aucun des deux hommes politiques en vue sur l’échiquier national n’a pu situer l’opinion nationale et internationale sur le déclenchement de la rébellion en Côte d’Ivoire, chacun restant muet sur l’affaire, peut-être jugée délicate. Et pourtant, les projecteurs étaient braqués sur cette entrevue, bien qu’à dessein électoraliste. Elle a d’ailleurs été un tournant dans la présidentielle qui a abouti à la crise que le pays a connue. Une crise postélectorale sans précédent qui a fait au moins 3000 victimes. Cinq mois après la chute de l’ancien régime, le silence enveloppe toujours la question de la patrie « divisée et frappée », dans une Côte d’Ivoire qui a décidé d’amorcer inéluctablement la voie de la reconstruction en faisant table-rase du passé. Au grand dam de la Convention de la société civile(Csci) qui demande que les enquêtes sur la crise ivoirienne prennent en compte les événements du 19 septembre 2002, pour dissiper le mythe et le mystère tant entretenus.
BORIS N’GOTTA
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Crise ivoirienne/Des chefs de guerre de l’ex-rébellion témoignent ; Le rôle joué par la France ; La guerre de leadership qui a failli tout gâter
L’Inter
Neuf (09) ans après la crise militaro-politique que la Côte d’Ivoire a traversée, les langues continuent de se délier et les confidences, devenir de plus en plus publiques sur l’origine de l’ex-rébellion, ses acteurs majeurs et les péripéties en interne qu’elle a connues, et dont les incidences se sont prolongées jusqu’à la récente crise post-électorale. Dans un CD datant de décembre 2003 et qui circule encore sous cap, des responsables des Forces nouvelles font d’importantes révélations sur la constitution de la rébellion de septembre 2002, mais également la guéguerre qui a opposé ses deux leaders, en l’occurrence Ibrahim Coulibaly alias IB tué récemment à Abidjan lors d’une confrontation entre ses éléments et les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) et Guillaume Soro, secrétaire général des Forces nouvelles et actuel Premier ministre. Ce CD, dont nous avons eu copie, présente plusieurs chefs de guerre faisant des témoignages juste après la guéguerre qui les a opposés aux hommes de IB. Il s’agit de Abou Fama, le mythique chef de guerre de Man à l’époque, connu dans le rang de l’ex-rébellion comme un dur, de Chérif Ousmane, ex-com-zone à Bouaké, dirigeant de la célèbre compagnie militaire »Guépard » et aujourd’hui commandant en second du Groupement de la sécurité présidentielle. Dans les témoignages compilés dans le CD, l’assaut du groupe armé qui a attaqué le régime Gbagbo était prévu pour durer trois jours à l’issue desquels, une fois l’ancien président chassé du pouvoir en 2002, un comité ministériel dirigé par IB devait être mis en place avec comme porte-parole, Guillaume Soro. Malheureusement, ayant échoué dans leur entreprise, le groupe armé va se muer en rébellion avec des fortunes diverses. Contrairement à ce qui a été véhiculé, les révélations contenues dans le CD indiquent clairement que la France n’a pas soutenu la rébellion. Bien au contraire, compte tenu des accords de défense qui la liaient à la Côte d’Ivoire, la France a intimé l’ordre à ses soldats sur place de traquer les »barbus » d’alors, présentés par le régime précédent comme des étrangers. Les soldats français n’ont pas ménagé Chérif Ousmane et ses hommes sur les fronts, comme en témoigne dans l’élément filmé et sonore, Abou Fama. «Le vendredi 20 septembre 2002, quand nous sommes sortis de l’embuscade de Tiébissou la veille et que nous sommes rentrés à Bouaké, j’ai appelé encore Ibrahim Coulibaly( IB) et je lui ai dit de faire la déclaration parce que nous sommes dans le feu. Il m’a répondu en disant que ce n’était pas encore le moment. Alors j’ai demandé quand ce serait opportun. Au même moment, on m’a appelé pour dire qu’il y a une attaque à Tiébissou. Alors j’ai pris ma voiture et foncé avec mes éléments. Pendant ce temps, Laurent Gbagbo, qui était revenu de son voyage, annonce sur les chaînes nationales et internationales qu’il est venu pour reprendre son pays. C’était dur en ce moment. Les militaires français nous traquaient durement sur le terrain. Pendant que les hélicos vous bombardent en l’air, les chars vous poursuivent en bas. Parce que comme vous le savez, il y a un accord de défense entre la Côte d’Ivoire et la France. Donc si la Côte d’ivoire est attaquée de l’extérieur qu’elle demande de l’aide à la France, celle-ci doit l’aider à libérer le pays. Laurent Gbagbo disait que c’était les burkinabé qui attaquaient son régime», a longuement argumenté Abou Fama au cours d’une rencontre avec des populations quand la rébellion a été divisée entre les pro-Soro et pro-IB.
«Il fallait se dévoiler sinon…»
«Quand je suis retourné à la base, j’ai informé Fofié et Chérif de ce que »IB » ne voulait pas faire de déclaration (pour reconnaître la paternité de la rébellion). Ensuite, j’ai appelé Soro qui m’a dit de nous dévoiler. Et c’est que nous avons fait en donnant nos vraies identités. Malgré cela, on disait toujours que nous étions des étrangers à cause de nos barbes. Nous nous sommes rasés et c’est ainsi que nos amis nous ont reconnus pour dire que nous sommes effectivement des soldats ivoiriens. C’est comme cela que les Français nous ont laissé tranquilles un peu. Mais la communauté internationale nous demandait par la suite un chef, parce qu’avec un tel mouvement sans chef, si on nous laissait progresser sur Abidjan, ça allait être grave. Et comme IB a refusé d’assumer, notre groupe n’avait donc pas de chef. C’est ainsi que les Français ont bloqué notre progression à partir de Tiébissou et sur les autres fronts à l’ouest et au nord-est. Nous avons été freinés net dans notre progression vers la capitale pour chasser Laurent Gbagbo», a révélé Abou Fama. Le désistement de IB, selon les récits compilés dans le CD non encore public, aurait créé une grande fissure au sein de la rébellion. Il s’y était installé une très grande méfiance car chaque chef ayant son groupe et ses hommes, voulait passer par tous les moyens pour prendre les commandes. Revenu à Bouaké, IB voulait tenter alors de récupérer les Forces nouvelles après son faux bond. «On a constaté que notre jeune frère est toujours obsédé par l’idée d’être dirigeant des Forces nouvelles alors que quand on lui avait demandé de se déclarer pour être chef du Mouvement patriotique de la Côte d’Ivoire (MPCI ex-rébellion), il avait refusé. Il avait même dit sur les antennes des chaînes internationales qu’il n’est mêlé ni de près ni de loin au mouvement, ensuite qu’il n’a signé aucun document. Et puis quand on créait les Forces nouvelles, on n’a pas envisagé d’être président», a fait savoir un certain Fofana dans le CD.
Guerre fratricide entre les soldats de l’ex-rébellion
Selon Chérif Ousmane, la guerre des clans faisait rage au sein de la rébellion avec d’un côté Kass, l’homme de main du sergent IB et de l’autre ses soldats et lui. «Nous étions là un jour, on voit Kass passer à la télévision pour dire que IB est désormais le chef des Forces nouvelles. Deux jours après, ce sont quatre personnes qui viennent faire la déclaration. Et j’apprends ensuite que Kass est à l’état-major avec ses hommes. Et quand je suis arrivé là-bas, ils avaient encerclé les lieux en recrutant des enfants qui avaient des bois et des Rpg7. Mais il ne leur a pas dit la vérité. J’ai demandé à ces enfants d’abandonner leur position de guerre. J’ai mis le colonel Bakayoko et Soro Guillaume en lieu sûr. Et j’ai appelé IB pour lui dire de faire rentrer ses hommes. Il a répondu qu’il a demandé à Kass d’arrêter le colonel Bakayoko et de le mettre en prison pour 48 h. Comme ça, il saurait que lui, IB, est garçon et que si je veux que ses hommes abandonnent, il faut aussi que Soro et le colonel Bakayoko aillent déclarer que désormais, c’est lui le chef des Forces nouvelles. Mais on n’a pas réagi pour ne pas faire plein de morts», a révélé à son tour Chérif Ousmane. Et Abou Fama de poursuivre pour dire que même au front, la situation était difficile dans la mesure où, outre l’adversaire, on pouvait craindre des balles dans le dos. «Quand tu es au front, il y a des gens qui tirent dans ton dos. Tu penses qu’il ne sait pas tirer alors qu’on les avait envoyés pour te tuer et on sait qui faisait ça. A un moment, on ne faisait confiance à personne. Je ne faisais pas confiance à mes amis, même les plus proches. Nos têtes étaient mises à prix et il fallait nous éliminer au profit de IB. On a vécu tout cela pendant que Laurent Gbagbo était assis chez lui à Abidjan».
Entre traîtrise et souffrance des combattants
Les jeunes combattants enrôlés dès les premières heures ont vécu des situations difficiles, selon des révélations faites par des chefs de guerre. Abou Fama en témoigne. «Il y a un petit qui me suivait toujours, le jour où il est tombé, il m’a dit: chef, j’ai pris une balle. Je lui ai dit qu’on allait le transporter à Bouaké pour le soigner. Le petit m’a dit: non chef, continuez le combat sans moi, mais que la vérité et la justice triomphent. Il est mort». Pour ce chef de guerre, ceux qui étaient vivants et dans les camps étaient misérables. «On a des soldats avec nous depuis seize mois à qui on n’a pas pu payer un seul morceau de savon. Pour manger, c’est un problème. J’étais obligé de prendre des bennes pour aller chercher à manger pour mes soldats. Quand nous sommes allés à Korhogo, après que le colonel a fini de parler, il y a un soldat qui s’est levé pour dire »nous sommes tous des menteurs », et qu’ils ne désarmeront pas tant que leur chef n’est pas là. On lui a demandé, c’est qui. Il a répondu IB. Alors je lui ai dit: toi tu es garde du corps d’un ministre et tu as de quoi manger. Si tes problèmes sont résolus, laisse-nous nous occuper de tes amis qui n’ont rien. Il y a aussi les problèmes des enfants des soldats qui sont morts», a-t-il soutenu.
«Ce qui se faisait avec l’argent du cacao, du diamant etc.»
Dans une séquence de la vidéo, nous apercevons Chérif Ousmane décliner les raisons qui ont poussé des soldats à prendre les armes contre l’ordre établi. «Chacun est venu dans la rébellion à cause de quelque chose, mais sa raison est dans son cœur. IB m’a envoyé pour aller combattre à l’ouest et prendre Zouan-Hounien afin d’exploiter l’or et le diamant. Mais moi, je ne suis pas venu dans la rébellion pour cela. Il a envoyé ses gars pour prendre le cacao, le café de nos parents pour aller les vendre en Guinée et lui envoyer l’argent sous prétexte qu’il va nous acheter des armes, mais jusqu’aujourd’hui, rien. Ses hommes volent les biens de nos parents, les vendent et lui expédient l’argent via Western Union en France. L’argent que lui, IB, a, si ce n’est pas de l’argent volé, peut-il l’avoir ? Il y a aussi des gens qui sont venus pour braquer les parents. Au nord, l’engrais et la société sucrière SUCAF ont été pillés et les produits vendus à l’extérieur de la Côte d’Ivoire. Ils ont vidé la GESTOCI et tout cela pour envoyer l’argent en France à IB», a révélé Chérif Ousmane, avant de déclarer, à l’époque, qu’«ils ne lâcheraient pas les armes tant que Laurent Gbagbo serait au pouvoir». Aujourd’hui, après le scrutin présidentiel et le refus de l’ancien chef d’Etat de céder le pouvoir perdu dans les urnes, les durs de l’ex-rébellion ont fini par atteindre leur objectif. Et ce CD, qui circule encore sous cape, n’est qu’une page de leur histoire qui se révèle peu à peu au public.
Gnandé TIA (Correspondant à Toumodi)
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