Affaire Amadé – Adama Koné, sous-préfet de Bagohouo: « Au Mont Péko, l’Etat a failli »

Source: Fraternité Matin

Par Doua Gouly Grand Reporter chez Fraternité Matin

Il a voulu, à tout prix, parler à la place du principal mis en cause dans la destruction du Parc du Mont Péko. Adama Touré, le sous-préfet de Bagohouo, dit ce qu’il sait de l’occupation de ce domaine de l’État par les hommes d’Amadé Ouérimi qui y règnent en maîtres.

M. le sous-préfet, le Parc du Mont Péko n’existerait plus que de nom. Comment expliquez-vous cela ?

Comme partout en Côte d’Ivoire, la forêt du Mont Péko n’est classée que de nom. Des gens dont des Guéré s’y trouvent. Pas plus tard qu’hier, nous y étions encore. Ici, les gens parlent beaucoup d’un homme, Amadé Ouérémi. Mais, lui-même n’est pas dans la forêt du Parc du Mont Péko. Il est à la limite. Cependant, il a des éléments qui y sont comme tout le monde. Nous même, nous nous sommes rendu sur place.

On peut admettre qu’en Côte d’Ivoire la forêt n’est classée que de nom. Mais ici, la spécificité est que ceux qui occupent le Mont Péko sont organisés et armés.

Ils ne sont plus armés. Ils ne sont pas armés. Ce sont des gens qui racontent que Amadé Ouérémi est dans la forêt avec des hommes armés. Qu’ils sont plus de 300. Dans l’administration, nous ne gérons pas les rumeurs. Nous regardons ce qui existe. Quand on a désarmé les hommes d’Amadé Ouérémi, ils sont combien ? 87 et 25, c’est tout. Comme le préfet l’a dit, il y a des femmes et des enfants. Quand les combats sont finis, tout ce qu’ils avaient comme armes est parti à Man. Ils ont donné ce qu’ils avaient gardé. Maintenant, il revient à l’Oipr de reprendre main. C’est ce que nous avons dit après le désarmement. Nous sommes venus sur le terrain avec le préfet pour faire le point de ce qui reste encore du Mont Péko et voir combien de personnes y sont installées. Puisque les hommes d’Amadé Ouérémi ont demandé qu’on leur donne les papiers. Avant de le faire, il faut savoir combien ils sont. Cela fait aussi partie des conditions pour qu’ils déposent les armes. Et c’est ce qu’ils ont fait.

Ils veulent des papiers, c’est-à-dire ?

A l’Ouest, le plus grand problème que nous avons concerne le foncier. Une seule personne peut vendre le même terrain à cinq personnes. Les populations qui sont venues d’ailleurs étaient des manœuvres. Mais aujourd’hui, ils sont propriétaires terriens et même acheteurs de produits.

Mais au Mont Péko, les terres n’ont pas été acquises auprès des populations locales puisqu’il s’agit d’un parc protégé qui appartient à l’Etat.

Cette affaire de Mont Péko, il faut l’oublier.

Nous sommes là justement pour le Mont Péko, parlons-en.

Ceux qui sont au Mont Péko n’y sont pas allés d’eux-mêmes. On leur a donné l’ordre. S’ils sont installés dans cette forêt, c’est qu’il y a eu quelqu’un qui les a aidés à le faire.

Voulez-vous dire que des gens ont vendu cette forêt qui ne leur appartient pas ?

Enfin, quelqu’un a vendu quelque chose qui ne lui appartient pas. Mais qu’il croit lui appartenir.

Soyez explicite.

Les autochtones Guéré disent que cette forêt leur appartient. Nous leur avons dit que cela ne leur donne pas le droit de la vendre. En outre, il y a eu des complicités. Personne ne peut s’y installer comme ça. Il n’y a pas de cadastre qui puisse permettre de connaître la superficie exploitée dans les plantations. Des gens se lèvent parfois pour revendiquer des portions sous prétexte qu’ils les ont laissées avant d’aller en basse-côte. Et que leurs parents ont vendu les terres à leur insu.

Est-ce à dire que ceux qui réclament ces portions du Mont Péko l’avaient avant que le parc ne soit classé ?

Nous ne saurions le savoir. Seulement, nous savons que tout ce qui est parcs et aires protégés datent de l’époque coloniale. L’Etat est venu entériner cela. Mais est-ce que l’Etat a mis les moyens pour pouvoir surveiller ces parcs ? Est-ce que ceux qui étaient là ont joué pleinement leur rôle ? Nous le disons parce que si nous sommes le directeur de l’Oipr, nous devons savoir comment les gens entrent dans les parcs. Et au besoin, saisir les forces de l’ordre pour les en empêcher. Rien n’a été fait.

Justement, les forces de l’ordre se sont heurtées par le passé à plusieurs reprises à la résistance des hommes d’Amadé Ouérémi. Comment voulez-vous que cette surveillance puisse se faire correctement ?

Nous ne pouvons entrer dans les détails.

Pourquoi ?

Ces faits ne se sont pas passés sous notre autorité. Nous n’étions pas encore ici.

Oui, mais l’administration est une continuité.

Sachez que la période qui vient de passer n’est pas la même que celle que nous vivons maintenant. Mais aussi, les faits ont été grossis. Parce que chaque fois qu’on est allé attaquer arbitrairement, cela s’est soldé par des tueries. La première fois, des gendarmes sont partis, ils ont été désarmés. Récemment, ils y ont envoyé une mission.

Qui désignez-vous par « on » ?

Nous voulons parler des militaires partis d’ici. Qui leur a donné l’ordre ? Nous ne savons pas. Mais ils ont dit qu’ils étaient en mission pour libérer tout ça. En fait, ce n’était pas pour libérer la forêt. Tout le monde n’était pas concerné. La seule personne qui était concernée est Amadé Ouérémi.

Pourquoi lui seul ? Que lui reproche-t-on ?

C’est le plus grand planteur d’ici. C’est lui qui a la plus grande parcelle. Ici, c’est un système de troc. A son arrivée en 1986, il était manœuvre. Et ce sont les Guéré qui l’ont envoyé là-bas.

Etes-vous sûr que toutes ses plantations sont à la lisière du parc ?

Il a une seule plantation. Certains de ses éléments ont des plantations dans la forêt du parc. Mais ceux-ci n’y sont pas entrés sans l’accord des autres.

Sans l’accord de qui ?

Dans cette affaire, tout le monde est impliqué. Y compris même des ministres. Il s’agit d’une affaire aussi complexe que vous ne pouvez élucider entièrement aujourd’hui. Beaucoup d’intérêts y sont en jeu. Nous dirons même de gros intérêts. Donc, il faut aller doucement. Il faut aller « molo molo ». Les Burkinabè dont on parle tant, ce sont les Guéré qui leur donnent des terres.

Nous insistons pour dire qu’ici, il s’agit d’un patrimoine de l’Etat

L’Etat a beaucoup de choses mais que lui reste-t-il ? Récemment on nous a parlé du parc de la Marahoué, à Bouaflé. Il ne reste plus rien. Ces jours-ci, ils ont essayé de chasser les clandestins. Mais les agents eux-mêmes là, ce n’est pas possible…. (il marque une pose)

Allez-y !

(Il hausse le ton) L’Etat est complice de tout ce qui se passe. L’Etat, à travers ses structures décentralisées surtout.

Y compris les sous-préfectures aussi ?

Non. Nous ne sommes pas concernés du tout. Nous constatons et rendons compte. C’est tout. On dit que cette forêt est classée. L’Etat aurait dû donner les moyens de sa surveillance. Personne ne peut y pénétrer sans la complicité des gars de l’Oipr. Personne. Vous savez, les agents des Eaux et forêts ne sont pas sérieux. Enfin, il ne faut pas accuser tout le monde. Il y a des bons et des mauvais. Mais, nous pensons qu’on doit faire beaucoup attention.

Confirmez-vous qu’il ne reste plus rien au Mont Péko ?

Il parait que partout il n’y a que des caféiers et des cacaoyers. Mais nous répétons que les gens ne peuvent pas y aller comme ça. Il ne faut pas attendre que ça soit trop tard pour envoyer des expéditions. Cette méthode ne marche pas. Il faudrait que le ministre de l’Environnement prenne des mesures idoines. Les gens pensent que c’est Amandé Ourémi seul qui s’y trouve. Il y a aussi les autochtones.

Le drame de Duékoué après la crise post-électorale n’est-il pas lié à la tension qui existe entre les hommes de Amandé Ourémi et les populations autochtones ?

Duékoué est une terre fertile. Les jeunes autochtones donnent les terres et ne travaillent pas. Quand ils voient les autres gagner beaucoup d’argent, ils se sentent frustrés. Alors, ils préfèrent être miliciens ou braqueurs. Eux-mêmes ne travaillent pas la terre. Quand ils voient les réalisations des autres, ils s’énervent. Même Amadé Ourémi dont on parle a pris les armes pour se défendre quand on a voulu lui créer des problèmes.

Comment concevez-vous qu’un étranger prenne des armes dans un pays pour se défendre alors que l’Etat existe ?

(Il s’énerve) Mais si l’Etat n’est pas capable de jouer son rôle ? C’est parce que l’Etat n’a pas joué son rôle. Sinon ça ne devait pas arriver. Il faut le dire. On dit que c’est classé, mais si ce n’est pas protégé, les gens y entreront.

Selon votre logique, la loi interdit à un groupe d’individus de s’armer. Trouvez-vous normal que des gens s’arment pour se protéger.

Amadé Ouérémi ne s’est pas armé. Il y a eu la guerre ici depuis 2002. Pendant cette guerre ses éléments et lui ont récupéré les armes de ceux qui sont venus les attaquer. Il l’a dit lui-même. Mais nous lui avons dit qu’il ne doit pas garder ses armes. C’est pourquoi nous avons organisé la cérémonie de désarmement de ses éléments.

A Bagohouo, il se raconte que tout le monde est soumis à Amadé Ouérémi, y compris vous-même à cause de son argent. Qu’en dites-vous ?

Ils peuvent dire ce qu’ils veulent. Nous savons qu’ils le disent. Hier, ils sont allés à Bagohouo pour une histoire de chefferie. Quand ça a tourné au vinaigre, ils ont accusé le corps préfectoral.

N’est-ce pas parce que la population recuse justement le chef soutenu par Amandé Ourémi que la cérémonie n’a pas eu lieu ?

Il y avait un chef de village, il est décédé. On n’a pas encore fait ses obsèques. La coutume veut que les Guéré, chefs de terre, doivent désigner leur chef. Nous ne nous mêlons pas de ça. S’ils ne s’entendent pas, on organise des élections.

En entendant, vous collaborez avec celui que Amandé Ourémi a désigné ?

Amandé Ourémi ne peut pas nommer un chef de village. Il l’a dit publiquement au cours d’une cérémonie.

Pensez-vous qu’il puisse le dire en sachant qu’il n’a pas les prérogatives ?

Ce n’est pas possible. Il ne peut pas nommer un chef de village. C’est ce que les autres disent. Ils sont venus voir le préfet pour cette affaire de chef de village. Nous avons dit au préfet que nous n’allons pas nous immiscer dans cette affaire. De toute façon, celui qui est pris comme tel, n’est pas chef. Il est intérimaire. Il n’y a même pas de papier d’intérim.

Combien de temps faut-il encore pour ce provisoire ?

Il faut aller doucement. Nous sortons d’une situation difficile. Nous leur expliquons que c’est eux d’abord et l’administration après. Nous n’avons pas à leur imposer un chef de village. Mais, s’ils ne peuvent pas, ils nous écrivent. En fonction de ce qu’ils vont dire, nous allons les mettre sur le terrain. Dans notre circonscription, il y a un collectif des chefs de village. C’est ce collectif qui est chargé de régler les litiges des villages. Nous ne pouvons pas contourner ce collectif.

Amadé Ourémi serait tellement puissant qu’il aurait tabassé des policiers au corridor de Carrefour quand l’une de ses femmes y a été retardée pour un contrôle.

Nous n’avons pas cette information. Personne ne nous en a parlé. Même pas au cours de nos réunions de sécurité. Sinon si nous avions l’information, il sait lui-même ce que nous lui aurions fait. Il nous connait assez bien.

Confirmez-vous qu’il n’y a plus d’éléments armés au Mont Péko ?

Nous le confirmons. Il n’y a plus un seul élément armé dans le Mont Péko. Nous sommes en train de redéployer les forces de l’ordre sur place. Les gendarmes et les Frci y sont déjà.

Interview réalisée par

DOUA GOULY

Envoyé spécial à Duékoué

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Encadré 1 – OIPR – « Il faut déloger Amandé du parc »

« Le désarmement du groupe d’Amandé Ouérémi n’est que de façade. Il détient encore des armes. Mais il a posé un acte qui l’engage et nous rassure. Parce que si demain les armes crépitent là-bas, on lui demandera où il les a trouvées ? » Ces propos sont d’un agent de l’Office ivoirien des parcs et réserves (Oipr) en poste à Duékoué. Cet agent soutient qu’Amandé Ouérémi est à l’intérieur du parc. «Nous avons fait une mission avec les représentants de la Banque mondiale sur place. Bagohouo a introduit la tête des clandestins qu’est Amandé Ouérémi. Le reste des transactions s’est effectué entre les infiltrés. Nous avons les preuves et les copies des conventions que Amandé Ouriémi a signées avec les acquéreurs», ajoute-t-il.

Pour les responsables de l’Oipr de Duékoué, l’Etat doit prendre ses responsabilités assez rapidement pour déloger « cette bande armée » du parc. Car l’activité agricole n’est pas compatible avec celles d’une aire protégée.

Surtout que le Péko bénéficiait d’un grand projet de recherche avant la crise. En effet, une espèce rare de sa faune très variée, a permis au Péko de bénéficier d’un projet transitoire financé par la structure BIRA life. Il s’agit du Picatharté chauve de Guinée (oiseau chauve de montagne qui fabrique son nid avec la boue). Si le milieu naturel de cet oiseau est menacé, il va migrer ailleurs.

Aux accusations du sous-préfet de Bagohouo, les agents de l’Oipr répondent en chœur : «Quand l’autorité joue contre l’autorité, c’est déplorable. Nous ne nous reconnaissons pas dans ses propos. L’Oipr est constitué d’éléments d’élite des Eaux et forêts. Attendons de voir si Amandé Ouérémi n’est pas dans le parc ».

D. G.

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Encadré 2  Que cache-t-on dans le Mont Péko ?

Après l’entretien avec M. Adama Touré dans ses bureaux de Duékoué, celui-ci a appelé séance tenante le chef du village de Bagohouo. « Simplice, arrangez un rendez-vous pour eux avec Amandé. Mais il faut que la rencontre ait lieu au carrefour à Bagohouo ».

Le mardi 23 août, nous sommes revenu à Bagohouo. Et le chef du village qui s’attendait à notre arrivée nous a lancé sèchement : « Le vieux est malade. Il ne peut pas sortir aujourd’hui. D’ailleurs, il dit n’avoir rien à dire à la presse. Désolé, retournez d’où vous êtes venu». Le sous-préfet était subitement injoignable sur tous ses numéros y compris celui que le préfet de Duékoué nous a communiqué.

Lorsque nous avons émis le vœu d’aller rencontrer Ourémi là ou il réside, Simplice Doh nous en a dissuadé : « Vous ne pouvez par traverser les deux corridors du chemin qui y mène. Les enfants du Vieux ne vont pas vous laisser passer ». Curieuse tout de même l’attitude du sous-préfet et son chef du village qui semblent, dans leurs actions et réactions, protéger Amandé Ourémi en cachant des choses. Sinon comment comprendre que le lundi Amandé Ouérémi soit sorti de la brousse pour nous rencontrer et qu’après son coup de fil au sous-préfet, il se rétracte ? Est-ce dans la forêt qu’on soigne un malade ? Doit-on donner raison à ceux qui disent que Amandé Ourémi et ses hommes sont encore armés ? Dans quel état se trouve le Mont Péko ?

Autant de questions qui nous trottaient l’esprit en quittant Duékoué. Le sous-préfet Adama Touré a-t-il raison de dire : « Le Péko renferme de gros enjeux ».

D. G.

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