La liste des pays africains qui ont introduit, songe à introduire ou ont renoncé à introduire une taxe sur les appels internationaux entrants s’allonge de jour en jour. Cette liste non exhaustive comprend le Congo-Brazzaville, la Guinée, le Niger, la Côte d’Ivoire, le Gabon, la Mauritanie, le Ghana, Madagascar, le Sénégal et le Libéria. Balancing Act a suivi cette affaire depuis la tentative avortée en Côte d’Ivoire en août 2009. Isabelle Gross résume les derniers rebondissements dans cette affaire au Sénégal et revient sur le projet de réglementation de l’Autorité des Télécommunications du Libéria d’introduire une taxe similaire dans l’un des pays les plus pauvres du continent africain.
Le 24 août 2011 marque le retour de la taxe sur les appels internationaux entrants au Sénégal suite à la signature du décret présidentiel No 2011-127. Un bien triste jour pour le secteur des télécommunications au Sénégal et la diaspora sénégalaise ! Selon la presse sénégalaise, les prises de position des partisans et des opposants au décret réintroduisant une taxe sur les appels internationaux entrant ont été comme suit durant les derniers dix jours (il s’agit d’une sélection):
– Seneweb rapporte le 7 septembre que l’intersyndicale de la Sonatel s’est réunie pour discuter d’un plan d’action pour faire reculer l’Etat. Selon Ndèye Founé Niang, secrétaire générale du Sntp, l’intersyndicale a décidé de lancer « les mercredis de la honte », qui se feront toutes les semaines. – dans son édition du 6 septembre, Sud Quotidien publie que l’Entente nationale des associations de consommateurs (Enac) n’est pas d’accord avec l’attitude de Momar Ndao, président de l’Ascosen (Association des consommateurs du Sénégal) qui défend l’introduction de cette taxe.
– dans une interview accordée à Rewmi, le Ministre chargé des télécommunications, M Moustapha Guirassy répond aux propos de la Directrice de la Communication de la Sonatel (dont toute l’argumentation est bien sur en défaveur de la taxe)
– le 6 septembre encore, Dakaractu annonce être en possession d’un document de 33 pages qui développe un argumentaire détaillé en faveur de la surtaxe des appels internationaux entrants.
– le 30 août, le journal local le Soleil publie que le ministre de la Communication, des Télécommunications et des Tic, porte-parole du Gouvernement, Moustapha Guirassy, a annoncé la mise en place imminente d’une commission nationale de surveillance des appels téléphoniques entrants au Sénégal. Le ministre, qui a d’abord confirmé la signature du décret instituant un système de contrôle et de tarification des appels entrants par le chef de l’Etat, a indiqué que le contrôle sera assuré par l’Agence de régulation des télécommunications et des postes (Artp). La mise en place de cette commission nationale, a dit le ministre Guirassy, prouve la volonté de l’Etat d’assurer « la transparence ».
– Le 24 août dernier, l’Organisation des professionnels des technologies de l’information et de la communication (Optic), évoquant la question de la surtaxe sur les appels internationaux, invitait à une concertation nationale regroupant tous les professionnels du secteur. Une démarche qui, selon cette organisation, semble être indispensable pour trouver une solution qui agrée toute les parties. Cette invite de l’Optic part du fait que les différents acteurs du secteur sont loin d’avoir un avis favorable sur le sujet qui concerne la surtaxe des appels entrants.
Alors que la pression continue au Sénégal en faveur du retrait de ce nouveau décret introduisant une taxe sur les appels internationaux entrants, la société Global Voice Group (GVG), le leader dans le domaine des systèmes de contrôle n’est plus la seule société offrant de tels services. N’importe quel ingénieur télécoms vous dira qu’il n’y a pas besoin de chercher de « midi à quatorze heures » pour développer un système de contrôle des appels internationaux entrants. Les autres sociétés qui offrent aujourd’hui un service similaire à celui de GVG ont compris qu’il y a de l’argent à faire dans ce créneau et qui plus est c’est de l’argent facile.
Suivant les traces du Sénégal, du Ghana ou encore de la Guinée, le Libéria s’est décidé à s’engager dans la même voie. Au début du mois d’août, l’Autorité des Télécommunications du Libéria (Liberia Telecommunications Authority (LTA)) a sorti un projet de réglementation sur le trafic international. Ce document de quatre pages a du être écrit à toute vitesse parce qu’il manque de clarté quant au type de trafic qui sera contrôlé et taxé. Dans son projet de réglementation, LTA fait parfois référence « aux appels internationaux entrants et sortants » tantôt à « tous les appels routés vers le code pays +231 » ou encore « la mise en place d’un système de contrôle et de rétention pour le trafic domestique et le trafic international entrant ». Le moins que l’on puisse dire c’est que ce projet de réglementation reste bien confus à l’exception de l’article dans lequel LTA prescrit que « tous les appels internationaux entrants terminant sur des numéros d’abonnés avec le code pays +231 sont assujettis à une taxe réglementaire minimum de 0.15 dollars US par minute (en supplément du prix en gros qui est aux alentours de 0.12 dollars US par minute) qui sera collecter par l’opérateur de terminaison pour le compte de LTA ».
Tandis que les opérateurs télécoms du Libéria vont être transformés en collecteurs d’impôts, il reste toujours d’actualité de rappeler à LTA que cette taxe réglementaire est en contravention avec la Convention de Melbourne de l’Union Internationale des Télécommunications (UIT) de 1988 et l’accord sur le commerce des services de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) de 1998.
La convention de Melbourne qui a été signée par une majorité de pays africains comprend un Règlement des Télécommunications Internationales (RTI) qui stipule dans son article 6 intitulé « Taxation et comptabilité » à l’alinéa .1.3 « Quand la législation nationale d’un pays prévoit l’application d’une taxe fiscale sur la taxe de perception pour les services internationaux de télécommunication, cette taxe fiscale n’est normalement perçue que pour les services internationaux facturés aux clients de ce pays, à moins que d’autres arrangements soient conclus pour faire face à des circonstances spéciales. » Il ressort clairement que cette nouvelle taxe sur les appels entrants sera payée par l’appelant à l’étranger et par conséquent elle est en violation directe avec les règles définies par le Règlement des Télécommunications Internationales qui s’appliquent à tous les pays signataires de la convention de Melbourne.
Par ailleurs l’annexe du quatrième protocole d’Accord sur le Commerce des Services (AGCS), Accord sur les télécommunications de base, négocié sous les auspices de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en février 1997, entré en vigueur le 1er janvier 1998, indique que les taxes de répartition telles que les tarifs d’interconnexion nationaux doivent tendre vers les coûts. En d’autres termes, les taxes de répartition ne doivent pas être plus élevées que les tarifs d’interconnexion locaux (sauf prise en compte du coût additionnel minimal du segment international). Au vue de ces deux articles, il apparaît clairement qu’aucune taxe ne doit être appliquée au trafic international entrant.
Il convient aussi de rappeler la Déclaration de Dakar de novembre dernier dans laquelle les opérateurs télécoms de l’Afrique de l’Ouest réitèrent leur opposition à un tel système de taxation. En parallèle aux violations légales, le Libéria devrait aussi considérer les conséquences économiques de l’introduction d’une taxe sur les appels internationaux entrants: elle aura un impact négatif sur la compétitivité du pays en accroissant le coût de faire des affaires durant une période de récession mondiale; l’augmentation du prix de terminaison des appels internationaux entrants aura un effet négatif sur les entreprises de Libéria tourné vers l’import/export; pour les familles au Libéria avec des membres vivant à l’étranger, l’augmentation du prix d’appel vers le pays se traduira par des appels plus courts et moins d’argent disponible pour envoyer au Libéria.
J’ai récemment échangé par mail avec un Libérien résidant aux USA et sa réponse quant à l’introduction d’une taxe sur les appels internationaux entrants a été comme suit « la taxe réglementaire de LTA n’est pas progressive dans mon opinion ». Le point principal s’est l’aspect progressif. Il s’agit bien de développer un cadre réglementaire qui soutient le développement des TICs et non pas une réglementation qui prend les opérateurs télécoms et les consommateurs pour des vaches à lait !
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