Quel est le véritable poids économique de la France en Côte d’Ivoire? Au-delà des discours et des a priori, il est bon d’apprécier avec sérénité, la contribution des entreprises françaises dans l’économie ivoirienne.
Les entreprises françaises en Côte d’Ivoire c’est, selon le Medef (le patronat français), un peu plus de 30% du Pib ivoirien, 50% des recettes fiscales et un quart des investissements réalisés sur le sol ivoirien. C’est surtout 600 entreprises auxquelles il faut ajouter 140 filiales des grands groupes français qui exercent dans presque tous les domaines. Notamment dans la téléphonie (fixe et mobile avec Côte d’Ivoire Telecom et Orange Côte d’Ivoire, Alcatel), l’eau (la Sodeci), l’électricité (la Cie), les banques (la Bicici et la Sgbci), l’industrie (Castel, Cemoi, SAGA, SDV, SITAB, SITARAIL, SOGB (caoutchouc) DAFCI), les hydrocarbures (Total), l’hôtellerie (Accor, Ibis, Novotel, Abidjan Catering), Bâtiments et travaux publics (Bouygues, Colas, Jean Lefebvre), Transport (Bolloré, Air France), la grande distribution et les services (Cfao) etc.. Les grands groupes français ont renforcé leur présence dans le secteur privé ivoirien à la faveur de la politique de privatisation des années 1993-1994, sous le Premier ministre Alassane Ouattara. Cette position a été maintenue à l’avènement de Henri Konan Bédié (qui a fait fort en offrant le téléphone à la France au détriment des Américains qui présentaient pourtant les meilleures offres techniques).
De nombreuses statistiques indiquent que la France se présente de loin comme le premier partenaire commercial de la Côte d’Ivoire. Selon les données de la Chambre de commerce et d’industrie française en Côte d’Ivoire (CCIF-CI), les échanges commerciaux avec la Côte d’Ivoire fin 2009, avoisinaient les 12% loin devant les Pays-Bas (9%), les Etats unis (6%) et l’Allemagne (5%). En 2010, les échanges ont pris un plomb dans l’aile dû à l’attentisme observé par les opérateurs économiques du fait de l’année électorale. La France a totalisé alors 9,8% des échanges commerciaux, juste devant les Pays Bas (9,6%), l’Allemagne (4%) et la Chine (3,75%).
Ces données, on les retrouve, sans variation, sur tous les sites économiques français (Medef, Mission économique etc.) Ces données, c’est comme la production cacaoyère ivoirienne : elle est toujours à 1,2 million de tonnes. L’été n’est pourtant pas toujours chaud en France !
La France a perdu du terrain
La vérité, c’est que ces chiffres se sont considérablement dégradés du fait des crises politiques successives que ce pays a vécues.
C’est à partir de 1999 que la domination française va commencer à prendre un coup. Par exemple, selon des fiches techniques françaises, de 1999 à 2002, les échanges commerciaux entre ces deux pays ont connu une légère contraction de 1,8% pour s’établir à un total de 1 407 millions d’€ contre 1 433 en 2001.
En effet, les exportations françaises ont régressé assez sensiblement de 5,2% (671 millions d’€ contre 707 en 2001) alors qu’en parallèle les importations de l’hexagone se maintenaient sensiblement au niveau de 2001 avec 736 millions d’€.
Le solde de la balance commerciale de la France avec la Côte d’Ivoire se creuse quant à lui un peu plus à 66 millions d’€ et le taux de couverture avoisine 91%.
En 2002, la Côte d’Ivoire restait le troisième partenaire commercial de la France en Afrique sub-saharienne après l’Afrique du sud et le Nigeria et son troisième fournisseur, et se situait au 37è rang des déficits commerciaux de la France.
Il est donc établi que ces crises ont porté un bémol à l’expansion du business français. Notamment, la crise de novembre 2004 qui a laissé d’énormes séquelles dans la domination hexagonale.
Les renseignements fournis par la Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire (CCI-CI) indiquent que les actes de vandalisme ont provoqué la destruction totale ou partielle de 120 entreprises dont, notamment, les intérêts français. Les PME sont particulièrement pénalisées : «Nous avons des difficultés pour obtenir des devises. Les banques n’accordent plus de crédits, rejettent les chèques au moindre découvert. Nous n’avons plus aucune souplesse», déplorait Daniel Brechard, président du Mouvement des petites et moyennes entreprises (MPME). L’avenir de plusieurs PME, dont l’activité a baissé de 30% à 50%, a été compromis. Sur 147 filiales de grandes entreprises françaises recensées en Côte d’Ivoire, une soixantaine a purement et simplement fermé, le reste fonctionnant au ralenti après le départ de 75% des 350 expatriés employés par ces grandes entreprises. «Il n’est pas question de revenir tant que les conditions de sécurité ne sont pas satisfaisantes», avait indiqué Michel Tizon, président de la Chambre de commerce française en Côte d’Ivoire. «Si la France s’en va, la Côte d’Ivoire n’a plus d’économie, mais Paris risque aussi de perdre 1.200 entreprises», avait déclaré Patrick Lucas, président Medef international. Une bonne partie de la France est partie et la Côte d’Ivoire a gardé son économie.
On a vite pensé, du côté de Paris, que ces trois jours de pillages qui ont marqué les manifestations anti-françaises, suivis du départ massif de Français, risquaient de nuire à tous les secteurs d’activité et de peser gravement et durablement sur l’économie ivoirienne. Les entreprises hexagonales, rappelons-le, contribuant statistiquement à plus de 51% aux recettes fiscales du pays.
La nature ayant horreur du vide, certains pays se sont empressés de s’engouffrer dans la brèche ouverte par le départ de nombreux chefs d’entreprise. Notamment la Chine. Qui a mis en pratique les recommandations de son ancien mentor, Jiang Zemin, faites en 1995: «Ne vous mettez pas en avant, mais ne restez pas en arrière. Sortez, devenez des entrepreneurs mondiaux».
A peine arrivé que Pékin fait, fin novembre 2004, plus d’1 milliard FCFA de dons à la Côte d’Ivoire pour le financement de projets qui restent à déterminer. La contrepartie de cette offre restera un mystère. C’est aussi cela les affaires. Et les appuis se multiplient grâce aussi à la politique d’ouverture du régime Gbagbo. De nombreux navires battant pavillon «étranger» (dans le sens de hors France) accostent au quotidien aux ports d’Abidjan et de San Pedro. Et l’économie ivoirienne se remet à flot.
La véritable offensive chinoise commence en mai 2009. Une quarantaine d’officiels et de dirigeants d’entreprises (Anare, Gestoci, Petroci, Port autonome d’Abidjan, Sodemi, etc.) effectuent le voyage de Shanghai, à l’occasion du 2ème forum de promotion des matières premières et de l’industrialisation, avec pour objectif d’attirer les grandes entreprises publiques chinoises en Côte d’Ivoire. La manifestation la plus réussie de cette invitation reste le vaste chantier de Yamoussoukro confié aux entrepreneurs chinois. Ils s’implantent dans le petit commerce comme dans la construction ou la fourniture de biens industriels.
Au plus fort de la crise post-électorale (le 8 mars 2011), la Chine offre des produits agricoles et de matériels mécaniques pour la relance de la riziculture ivoirienne. Un geste qui est perçu par le gouvernement comme un soutien au régime démocratique de Laurent Gbagbo. «A ce moment précis où notre pays traverse l’une des plus grandes crises de son histoire, ce don est un signe fort qui témoigne du soutien indéfectible de la Chine, grand producteur de riz au peuple souverain de Côte d’Ivoire», indiquait le ministre de l’Agriculture, Issa Malick. Toujours fin mars, il y a eu la décision (même si elle est controversée) de Noble Group (groupe chinois) de s’acquitter des impôts exigés par le régime de Laurent Gbagbo, suite à l’ordonnance du 7 mars 2011 prescrivant la saisie et la vente de près de 400.000 tonnes de stocks de cacao entreposés.
La France perd du terrain. Elle ne contribue plus qu’à environ 20% du Pib ivoirien, 30% des recettes fiscales et peu d’investissements depuis lors. Les pays «étrangers» conduits par la Chine ont compensé largement le déficit. Depuis 2004, la Côte d’Ivoire enregistre des taux de croissance réelle positifs (+1,6% en 2004, +1,8% en 2005 et 1,2% en 2006, 1,2% en 2007, 2,3% en 2008, 3,8% en 2009, 3% en 2010. Autrement dit sans la France, l’économie évolue. Et le président de la CCIF-CI, Michel Tizon, de s’écrier : «La France a tort de se mêler de la crise ivoirienne. C’est une affaire ivoiro-ivoirienne». Lui qui a vu le danger d’un départ de la Côte d’Ivoire des entrepreneurs français, échaudé par l’expérience de novembre 2004, de dire avec force : «Les chefs de Pme ont tous leurs avoirs ici. On ne va pas partir, on vit ici».
La France veut revenir
A ce stade, la France a perdu de sa superbe. Elle doit lutter d’égale à égale avec des concurrents sérieux dans le cadre d’appels d’offres. Dans le domaine de l’extraction pétrolière, par exemple, elle ne peut lutter contre les compagnies arabes, voire américaines ou canadiennes. Elle est même obligée de céder une partie de ses acquis à la Côte d’Ivoire lors de la renégociation de certains contrats. Tels que la gestion de l’électricité.
La menace est réelle. La Chambre de commerce française en Côte d’Ivoire ameute la troupe. Signe que la France est peu désireuse de laisser le champ libre à la Chine. Les ambassadeurs André Janier et Jean-Marc Simon, font passer le message. Quelques entrepreneurs français tentent de revenir. Mais le terrain est miné. Le marché est occupé et ouvert à la concurrence. On mange chinois, on s’habille chinois, on conduit japonais, chinois ou coréen, on se soigne chinois etc.
Comment faire revenir le monopole français sur l’économie nationale ? La réponse a guidé le choix de la France dans la crise post-électorale.
Si la France fait des pieds et des mains pour revenir au premier plan, c’est qu’elle a perdu beaucoup de terrain en Côte d’Ivoire.
J-S Lia
Notre Voie
Commentaires Facebook