L’atelier sur les matrices d’actions des Forces armées, organisé par le ministère de la Défense les 1er et 2 septembre 2011, à Abidjan, a recommandé la dénomination Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci) en remplacement des Frci (Forces républicaines de Côte d’Ivoire). La question que l’on se pose aujourd’hui est de savoir pourquoi doit-on opérer cette mutation lexicale? Quelles en sont les motivations fondamentales?
C’est la loi n° 60-209 du 27 juillet 1960 portant création des Forces armées Nationales (Fan) qui donnera par la suite les initiales de Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci). La question qui se pose est : quand l’Armée a-t-elle cessé de se faire appeler Fanci, alors qu’il n’y a pas eu une décision officielle dans ce sens?
En effet, dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, une tentative de coup d’Etat muée en rébellion armée a coupé le pays en deux. Le président Laurent Gbagbo qui faisait face à cette attaque d’une grande envergure décide en ce moment de regrouper l’ensemble des Forces sous son contrôle. Le chef d’état-major des Armées en pareille situation est chargé de coordonner l’ensemble des forces, d’où l’appellation Fds (Forces de défense et de sécurité), composées de la Gendarmerie, la Police nationale, les agents des Eaux et Forêts, les miliaires et les Douaniers. De l’autre côté, les insurgés mettront en place les Forces nouvelles (Fn) avec une Armée dénommée Fafn (Forces armées des Forces nouvelles). L’appellation Fds est donc apparue à la faveur de la crise militaro-politique en Côte d’Ivoire. Aussi, le centre de commandement des opérations de sécurité (Cecos) sera créé lui aussi, par décret N°2005-245 du samedi 2 juillet 2005. Le Cecos a traduit ainsi, le mouvement de liaison de mise en commun des différentes forces. Les opposants à Laurent Gbagbo la présenteront d’ailleurs comme étant une force »privée » de Gbagbo pour se maintenir au pouvoir. A la faveur de la crise post-électorale, les Fafn tentent de faire appliquer les résultats des élections présidentielles de novembre 2010, proclamés par le président de la Commission électorale indépendante (Cei) et qui donnait Alassane Ouattara vainqueur, alors que le Conseil constitutionnel indiquait que Laurent Gbagbo avait remporté les élections. Au plus fort de cette crise, le président Alassane Ouattara a pris l’ordonnance n°2011-002 du 17 mars 2011, portant unification des Forces armées nationales et des Forces armées des Forces nouvelles, d’où la création des Frci (Forces républicaines de Côte d’Ivoire). Il s’agissait donc pour les Frci de déloger Laurent Gbagbo. Une bataille a opposé des éléments des Fds restés fidèles à Laurent Gbagbo aux Frci, constituées des soldats Fafn, ex-Fds et certains civils qui se sont fait enrôler à Abidjan. Appuyées par les Forces de Licorne et de l’Onuci, les Frci réussiront à mettre aux arrêts Laurent Gbagbo, le 11 avril 2011.
Question psychologique
Après pratiquement 4 mois d’exercice de pouvoir d’Alassane Ouattara, l’appellation Frci semble ne pas être conforme aux pratiques éthiques. Une frange de la population développe des préjugés à l’égard des Frci en les présentant comme une Armée avec une forte homogénéité régionale et ethnique. Il est reproché aux Frci de regorger de nombreux civils de tout acabit qui se sont enrôlés à la faveur de la bataille d’Abidjan et qui n’ont pas la culture militaire. Cette situation a créé un sentiment d’incertitude de sorte que les Fds, restées fidèles à Laurent Gbagbo, ont aujourd’hui du mal à se reconnaître dans les Frci. C’est d’ailleurs la raison principale de leur hésitation à réintégrer l’Armée nouvelle. Psychologiquement, l’acceptation pour un élément des Fds qu’il est devenu un élément des Frci est difficile. Le colonel Kouassi Patrice, président de la Commission »matrices d’actions des Forces armées » a confié, le 2 septembre 2011, à la fin de l’atelier, qu’il est reproché au terme Frci de ne pas contenir le mot »Armée ». Il faut faire remarquer que la différence entre Fanci d’une part et Fds et Frci d’autre part, c’est l’absence du terme ‘’Armée’’. Certes dans la dénomination Fds, l’on aperçoit clairement les termes ‘’défense et sécurité’’ qui ne renvoient pas forcément à une Armée nationale. Il en est de même pour la dénomination Frci dans laquelle il n’y a ni ‘’défense’’, ni ‘’sécurité’’ encore moins ‘’Armée’’. Le terme ‘’Forces’’ ne renvoie pas nécessairement à une Armée. Une Armée se caractérise par sa structuration et sa rigoureuse chaîne de commandement. De plus, la notion de ‘’Forces républicaines’’ donnent toujours l’impression d’une différence entre d’une part, les forces qui combattent les Institutions de la République et celles attachées à celles-ci, d’autre part. Les Fanci introduisent par contre, l’idée de paix. Le projet originel des Fanci était le développement de la nation, une Armée qui n’est pas un obstacle au développement.
Les Fanci étaient certes une jeune Armée dans les années 60, sous-équipée avec un effectif limité, mais elles étaient fortes, aimée et respectée parce qu’elle avait une base solide: la discipline. Houphouët-Boigny avait parfaitement compris ce rapport entre société civile et société militaire (Cf. Armée ivoirienne: le refus du déclassement, de Guy André Kieffer). Ainsi, dès 1968, dans un discours que les militaires ivoiriens ne manquent jamais de rappeler, le Président a choisi de préciser le rôle de l’Armée au sein de la nation ivoirienne: »L’Armée et ses officiers ont vocation à participer à l’administration de la Nation et à assumer des postes civils de responsabilité ». Au total, le retour à l’appellation Fanci qui a connu des lexiques différentes en fonction des luttes politiques en Côte d’Ivoire, vise à redonner confiance à l’ensemble des Ivoiriens. Il s’agit surtout pour le Rassemblement des houphouetistes pour la démocratie et la paix (Rhdp), la coalition des partis politiques dont est issu le président de la République, de retourner à l’idée de Félix Houphouet-Boigny qui a prôné une Armée au service du développement. La dénomination Fanci avait été recouverte, il s’agit de la faire apparaître dans toute sa réalité.
K.A.Parfait
kaparfait@yahoo.fr
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