Eugène Djué, Président national de l’union des patriotes pour la libération totale de la Côte d’Ivoire (UPLTCI) et médiateur entre les jeunes combattants patriotes de Yopougon et les Frci, aborde dans cet entretien divers problèmes liés à la situation sociopolitique ivoirienne.
Notre Voie : Comment avez-vous vécu le coup d’état de la France contre le régime Gbagbo ?
Eugène Djué : j’ai vécu ces évènements à double titre. En tant que militant du Front populaire ivoirien (Fpi) et proche du Président Laurent Gbagbo. Comme tout le monde, j’ai ressenti cela comme une attaque de la France contre la Côte d’Ivoire, et j’ai été très frustré. Ensuite en tant militant panafricaniste, j’ai ressenti cela comme un recul de l’Afrique. Car pour moi les africains auraient dû régler ce problème entre eux. Mais encore une fois notre incapacité nous laissé aux mains d’une communauté internationale qui connaît peu nos problèmes et ne maitrise pas nos procédures.
N.V. : Quelle a été votre réaction face au bombardement de la résidence de Laurent Gbagbo ?
E.D. : Le bombardement de la résidence de Laurent Gbagbo, mais surtout celui de la Côte d’Ivoire par les forces militaires de la France et de l’ONU. La gestion de la crise ne s’est pas faite comme l’ONU et la communauté internationale le clamaient. Le souverainiste que je suis, a été choqué par ces faits. Par ailleurs, cette crise a brisé en nous le rêve que nous avions en tant que jeune étudiant combattant pour la liberté et la souveraineté des Etats sur les grands principes des Droits de l’Homme et de l’égalité des peuples tirés de la déclaration universelle des Droits de l’Homme. Nous avons compris que l’Afrique n’est pas concernée par ces principes. Cela a raffermi la conviction en moi que nous devons nous battre pour régler nos problèmes par la voie pacifique.
N.V. : Que devient l’UPLTCI, votre mouvement ?
E.D. : l’Union des patriotes pour la libération totale de la Côte d’Ivoire (UPLTCI) a été créée pour lutter pour la souveraineté de la Côte d’Ivoire. Il est plus que jamais d’actualité. Nous avons eu cette idée, lorsque nous étions étudiants en France. Notre ambition est d’œuvrer pour la promotion de la démocratie en Afrique, et aider les africains à être autonomes. Ce qui se passe en Côte d’Ivoire, non seulement renforce nos convictions, mais doit amener les africains à comprendre, que leur destin se trouve entre leurs mains.
N.V. : Partagez-vous l’avis de ceux qui estiment que ce qui s’est passé est la conséquence de l’échec politique du FPI ?
E.D. : Ecoutez, un homme normal ne peut pas dire que nous n’avons pas commis d’erreurs, durant les dix années de pouvoir. Mais dire que c’est cela qui nous a conduits là, je pense que ce n’est pas juste. De toutes les façons, le moment du bilan arrivera. Pour l’heure, ce qu’il faut au Front populaire ivoirien, c’est la solidarité. Que les militants ne cèdent pas aux démons de la division, parce que, l’ennemi tentera tout pour nous diviser. A ce niveau-là, je voudrais vous rassurer que le Fpi ne mourra pas. Les épreuves, nous en avons connues. En 1992, nous avons connu une épreuve similaire, deux ans seulement après la création officielle du parti. Aujourd’hui, nous sommes mâtures. Les arrestations, les intimidations témoignent de ce que le FPI est un parti fort. Les militants doivent en être conscients. La violence n’est pas notre terrain. C’est pour cela que j’ai personnellement lancé, en avril dernier, un appel pour demander aux patriotes et aux démocrates, de s’inscrire dans la logique de la paix.
N.V. : Quel a été votre rôle dans le dénouement de la crise à Yopougon ?
E.D. : Je suis le fils politique de Laurent Gbagbo. Et Ce qui caractérise le président Gbagbo, c’est la force de ses idées. Le 12 avril, le chaos s’annonçait à l’horizon. J’ai donc pensé qu’il fallait d’abord sauver le pays, il fallait le maintenir debout. Le président Gbagbo n’a pas fui, donc, il n’était pas non plus question pour moi de fuir. Encore moins de croiser les bras, et regarder faire. Ce qu’il fallait faire, c’était de relayer le message de paix du président Gbagbo auprès de toux ceux qui se reconnaissent en lui. C’est ce qui m’a conduit à lancer un appel le 12 avril dernier. Puis je suis descendu sur le terrain, pour m’adresser aux jeunes de Yopougon. Nous avons instauré la discussion entre les combattants de Yopougon et les Frci (forces pro-Ouattara, ndlr). Nous nous sommes entendus sur deux points essentiels : la sécurité et le sort de ces jeunes, après la crise. En contrepartie, ils devaient déposer les armes. Aujourd’hui quand je vois que Yopougon grouille de monde, je me dis que le bilan est positif. Après ce premier acte, nous sommes allés sur le terrain avec tous ces acteurs pour sensibiliser les populations. A Yopougon, il y a sept villages. Nous avons parcouru ces villages, avec le jeune frère Bema Fofana, responsable de la jeunesse des Forces Nouvelles. Nous avons rencontré la chefferie traditionnelle et la jeunesse. Nous avons réussi à collecter toutes les armes des combattants. Après Yopougon, nous avons été appelés à Abobo, Treichville, Koumasi, Williamsville etc. Notre action a contribué à limiter les dégâts et à ramener le débat d’idées. La mission continue et bientôt nous serons à l’intérieur du pays où nos parents ont encore quelques difficultés avec nos frères des Frci.
N.V. : Comment avez-vous accueilli le départ de Mamadou Koulibaly du Fpi ?
E.D. : Je n’ai pas été surpris, parce que j’ai vu les choses venir. Je garde tous mes rapports avec le président Koulibaly. C’est un camarade de lutte. Je pense que son parti sera toujours proche du Fpi. De ce point de vue, je ne veux pas qu’il y ait des conflits entre son parti et le Fpi. Il doit savoir qu’il a fait 20 ans au Fpi, et que ses critiques contre le Fpi pourraient lui être préjudiciables. Koulibaly est parti, mais il y a une continuité. Une direction intérimaire est là pour encadrer les militants. Ce qui est important, c’est que le parti s’emploie à remobiliser les militants, seul gage, pour la libération de nos camarades incarcérés et la reconquête du pouvoir d’Etat. Nous devons regarder vers l’avenir. C’est nous qui avons lutté pour l’avènement de la démocratie. Le peuple ivoirien ne nous le pardonnerait pas, si nous occultons le vrai combat pour nous entredéchirer.
N.V. : Quel commentaire faites-vous de la chasse contre les militants du Fpi, quatre mois après la prise du pouvoir par Alassane Dramane Ouattara ?
E.D. : Effectivement, les militants du Fpi, et au-delà d’eux, les opposants au régime Ouattara continuent de faire l’objet d’exactions. Je crois que tout le monde devrait comprendre que la violence n’a pas suffi pour résoudre la crise dans notre pays. Revenons donc au dialogue et aux débats d’idées. Il y a un temps pour faire la guerre et un temps pour faire la paix. La guerre est terminée, place maintenant à la paix. C’est pourquoi le Fpi s’est inscrit dans une logique pacifique en saisissant la main tendue par le chef de l’Etat, Alassane Dramane Ouattara. Par notre comportement, nous devons ramener les autres sur le chemin du dialogue. Il y a quelques jours, nous sommes allés visiter le siège de Notre Voie à la Riviéra. Nous en avons été empêchés. Nous avons pris acte, et nous sommes retournés. Il faut que les nouvelles autorités comprennent que ce climat de terreur n’arrange pas les choses. Les Ivoiriens vivent dans la peur et dans la crainte. Cela n’est pas bien pour la cohésion sociale.
N.V : Alassane Dramane Ouattara a pris l’engagement de réconcilier les Ivoiriens. Pensez-vous que les actes du gouvernement concordent avec cette profession de foi ?
E.D. : Vous abordez là, la question de la vision de la réconciliation. La réalité en Côte d’Ivoire, c’est que la réconciliation n’est pas compatible avec les poursuites judiciaires. Les préjudices, c’est dans tous les camps ; les massacres et les violences, c’est dans tous les camps. Aujourd’hui, il faut que les gens comprennent que la solution pour redonner vie à la Côte d’Ivoire, c’est le pardon. Les poursuites judiciaires ne constituent pas une solution pour la réconciliation. Nous ne croyons pas non plus aux mandats d’arrêts comme moyens, pour régler la crise ivoirienne. Il y a eu des mandats d’arrêts contre les cadres LMP, depuis des mois, mais elles n’ont ramené personne. Mais la diplomatie a ramené, en quelques semaines, plusieurs militaires exilés au Ghana. La diplomatie, le dialogue, la tolérance dans la sincérité sont les potions qui sont susceptibles de nous ramener la paix. La guerre peut se gagner mais la paix s’obtient. Elle se négocie. Je suis frustré d’entendre des religieux dire réconciliation d’accord, mais justice d’abord. Nous croyons en la capacité des ivoiriens de se surpasser et de se tolérer quelques soit le préjudice subi. Il faut faire comprendre à tous les extrémistes de tout bord que seul le pardon peut remettre notre pays sur la voie du développement. Pour y arriver, il suffira d’une volonté politique clairement affichée des dirigeants de conduire le peuple dans son ensemble vers la cohésion et la réconciliation vraie. Cela passe nécessairement par la libération de tous les détenus et le retour de tous les exilés.
N.V. : Pensez-vous que la tenue prochaine des législatives peut régler la crise sociopolitique actuelle?
E.D. : Les nouvelles autorités veulent organiser les législatives pour renouveler le parlement. Mais une autre réalité s’oppose à cela. Il s’agit des conditions pour que ces élections ne créent pas un autre problème. A ce niveau, il faut reconnaître qu’il y a beaucoup à faire. Les problèmes liés à l’organisation et au fonctionnement de la Commission électorale indépendante (Cei). Les questions liées à la liste électorale, notamment avec les nouveaux majeurs et les personnes recalées qui n’ont pas pu prendre part aux présidentielles. Il y a aussi le découpage des circonscriptions qui changent à chaque élection. Toutes ces préoccupations ont été consignées dans un document. Nous en avons parlé avec l’ONU. La direction du Fpi est dans l’attente des réponses de toutes ces questions. Le Fpi est un parti d’élection. C’est par les élections que nous sommes arrivés au pouvoir. C’est par les élections que nous entendons revenir aux affaires. Au-delà de tous ces problèmes, il y a la question sécuritaire. Qui commande le retour des exilés. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation qui nous ramène un peu au début de la lutte, dans les années 1990. Il faut que tout le monde comprenne que nos acquis démocratiques sont menacés. Il faut que nous nous remobilisions, pour la restauration de la démocratie. La crise s’est soldée par un dénouement militaire violent qui a abouti à l’arrestation de Laurent Gbagbo. Mais le FPI n’est pas dissout. Les militants doivent vaincre la peur et refuser de vivre dans la clandestinité. Il faut reprendre nos activités par la restructuration de nos bases ; de nos fédérations et de toutes les autres structures du parti. Maintenant, nous devons nous remettre débout, pour reconquérir le pouvoir d’Etat. Cela se fera par la politique et non par la violence. Démocrates, patriotes, engageons-nous pour relever le défi. Celui de la sauvegarde de la démocratie et de l’Afrique digne.
Entretien réalisé par
Boga Sivori et César Ebrokié
Notre Voie
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