Kadhafi et Gbagbo, des cousins pas si éloignés

(Courrier International 27/07/2011)

La fin de règne de Kadhafi ressemble étrangement à celle de Gbagbo, l’ancien président ivoirien. Ils ont accentué les divisions internes au sein de leur pays et ont fini par susciter des interventions militaires occidentales.

A l’issue de l’offensive fulgurante de l’opération baptisée “sirène”, les insurgés, mieux organisés, semble-t-il, et manifestement aidés de supplétifs pudiquement appelés ‘binationaux’ sont ainsi entrés dans Tripoli qu’ils avaient investie depuis quelques jours, la capture du tyrannosaure relevant à présent presque de l’anecdote. Et dans un scénario qui rappelle étrangement la bataille d’Abidjan, puisque, là aussi, les forces internationales, celles de l’OTAN en l’espèce, ont nettoyé la ville (pour protéger les populations civiles) et réduit presqu’à néant les capacités des troupes loyalistes avant que les éléments du Conseil national de transition (CNT) ne prennent possession des lieux…Il ne restait guère plus qu’à brandir le scalp du Bédouin de Syrte, bunkérisé, dit-on, dans sa forteresse de Bab Al-Aziziya, comme jadis Laurent Gbagbo dans la résidence présidentielle de Cocody, pour que le parallèle avec le précédent ivoirien soit parfait, à moins que le traqué, dans un dernier sursaut d’orgueil, ne décide de mourir en martyr. Là s’arrête cependant la comparaison, car en Côte d’Ivoire, il s’agissait de rétablir dans son droit un président démocratiquement élu, et là de dézinguer un autocrate qui se fichait de la démocratie et des élections comme de sa première barboteuse ; puisque lui n’était qu’un simple Guide de la Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste, le vrai pouvoir, prétendait-il, étant détenu par les masses. Une fumisterie en réalité qui cachait mal la férule dictatoriale d’un homme et de son clan.

On peut émettre de sérieuses réserves sur cet interventionnisme à tous crins et à géométrie variable des gendarmes du monde qui gagneraient aussi à prendre le chemin de Damas pour convertir Bachar-le-Boucher. Quand le jeune lieutenant Kadhafi dépose, à 27 ans, le roi Idriss 1er alors en Turquie pour raisons de santé, il est plein de promesses et suscite de nombreux espoirs, tant dans son pays natal que dans la galaxie tiers-mondiste toujours en quête de mascotte. Mais très vite, le régime va révéler sa vraie nature, une chape de plomb tout aussi oppressive remplaçant la féodalité. La révolution, tel Chronos qui dévorait sa progéniture au fur et à mesure qu’il les engendrait, ayant l’habitude de manger ses propres enfants, le despote commença par liquider ses compagnons de route à l’image d’Omar El-Mechri, extradé du Maroc et égorgé comme un mouton de la Tabaski [fête musulmane où un mouton est sacrifié] ; puis ce fut le tour des réactionnaires ennemis du peuple pour enfin s’attaquer carrément à l’impérialisme international par des actes terroristes : le petit village écossais de Lockerbie porte encore les stigmates de l’attentat contre l’avion de la PanAm, et le Ténéré nigérien a toujours, enfoui dans ses dunes de sable, les débris du DC10 d’UTA.

Ces dernières années pourtant, le trublion avait commencé par acheter une conduite pour être plus fréquentable, en livrant certains de ses compatriotes ; en dédommageant à coups de pétrodinars les ayants droit et en recevant sous sa tente, quand il n’allait pas les narguer chez eux, de nombreux responsables occidentaux, de Silvio Berlusconi à Nicolas Sarkozy en passant par Tony Blair, tous éblouis par les belles promesses d’affaires avec un émirat pétrolier qui renaissait après de longues et éprouvantes années d’embargo. On se souvient encore du célèbre et pitoyable baisemain de Berlusconi lors d’un sommet de la Ligue Arabe. Kadhafi voulait se refaire une virginité politique, manifestement la mayonnaise n’a pas eu le temps de prendre.

On a beau vouloir lui voter des circonstances atténuantes en se disant que lui, au moins, était le poil à gratter des puissants de ce monde (si fait qu’il reste populaire auprès d’une frange considérable des populations africaines) ; qu’il avait su contenir l’hydre islamiste (présente actuellement au sein du CNT) ; et que, sur le plan social et économique, la manne pétrolière aidant, il avait su bâtir un Etat providence, l’acte d’accusation du mis en cause est suffisamment épais.

Pour tout dire, le Guide, en fin de parcours, est victime de ses propres turpitudes. Sa chute sonne d’ailleurs comme un nouvel avertissement à tous les monarques des temps modernes.

Ousséni Ilboudo.L’Observateur Paalga

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