S’il y a deux expressions qui, aujourd’hui, taraudent aussi bien les nouveaux dirigeants politiques de la Côte d’Ivoire que ses différentes populations, ce sont : « la reconstruction postcrise » et « la réconciliation nationale ». Et cela non seulement en raison de la grave crise postélectorale qu’a connue ce pays ; laquelle a duré quatre mois environ et a causé ipso facto tant de dégâts matériels qu’humains (près de 3000 morts selon diverses sources), mais aussi en raison de ce que leur réalisation effective reste décisive pour la stabilité politique postcrise de celui-ci.
Dans cette perspective, la reconstruction et la réconciliation apparaissent donc comme deux éléments essentiels pour tout pays qui sort d’une crise et qui, dorénavant, est soucieux de se remettre sur les rails. On comprend alors parfaitement le Président Alassane Dramane Ouattara lorsqu’il signifiait dans son adresse solennelle à la nation, lors de son investiture à la Fondation Félix Houphouët Boigny pour la Recherche de la paix de Yamoussoukro, que la reconstruction postcrise et la réconciliation nationale sont « les deux chantiers prioritaires de son mandat ».
Généralement, une chose est dite prioritaire lorsqu’elle doit passer avant les autres. Ce qui implique qu’elle soit faite dans l’urgence. Sans doute, la chose prioritaire nous oblige-t-elle à agir promptement. Du fait de sa priorité, voire de son importance, l’action à laquelle elle nous conduit doit se faire avec beaucoup plus d’efficacité. Il est alors patent, à cet égard, que la reconstruction postcrise en côte d’Ivoire et la réconciliation nationale sont de vastes chantiers qui méritent d’être réalisés dans l’urgence : ce sont des chantiers que l’on doit réaliser dans l’immédiat.
Dans un tel contexte, ils doivent passer avant les autres plans d’actions des nouvelles autorités politiques du pays, dans la mesure où l’avenir de ce dernier reste incontestablement tributaire de leur achèvement. Paradoxalement, l’achèvement de tels chantiers, quoiqu’indispensable et même nécessaire pour un retour à la normalité, demeure un défi difficile à relever. Vu que la reconstruction postcrise et la réconciliation nationale sont, qu’on le veuille ou non pour tout pays qui sort d’une crise, des processus si complexes et si difficiles à réaliser, comment les nouveaux « hommes forts» de la Côte d’Ivoire comptent-ils y parvenir ? Mieux, sur quoi ceux-ci doivent-ils mettre l’accent, s’ils veulent redonner à ce pays son lustre d’antan ? Sur la reconstruction postcrise ou sur la réconciliation nationale ? Ou au contraire sur les deux en même temps ?
Le problème de la reconstruction postcrise en Côte d’Ivoire est, nous semble-t-il, plus aisé à aborder par les nouveaux « hommes forts » du pays que celui de la réconciliation nationale. Alors que le premier implique la forte mobilisation d’avoirs financiers ainsi que des moyens techniques, le second, quant à lui, demande moins l’acquisition de ces matériels que la volonté réelle des différents acteurs eux-mêmes concernés par ce processus.
En réalité, la reconstruction postcrise peut se faire assez rapidement d’abord, grâce aux importantes ressources naturelles (agricoles, minières, énergétiques, etc.) et humaines dont dispose la Côte d’Ivoire. Ensuite, elle peut se concrétiser également grâce à des accords véritablement négociés et signés entre elle et ses différents partenaires nationaux comme internationaux sur des projets notamment d’ordre socio-économique (l’insertion professionnelle des jeunes, l’éducation, la santé, etc.) et sécuritaire (problème des ex-combattants pro-Gbagbo et pro-Ouattara, démantèlement des barrages anarchiques, etc.).
Comme ce fut déjà le cas du rôle déterminant de ses accords internationaux avec l’ONU, la France, l’U.A, etc., dans la résolution de la crise postélectorale. Ce qui n’exclut pas, bien entendu, une volonté réelle des gouvernants eux-mêmes pour la mise en œuvre effective des projets visés par ces accords. Ainsi, « 8 milliards de FCFA sont prévus par l’Onuci pour la réhabilitation des préfectures, des sous-préfectures et enfin pour la construction de neuf camps militaires dont huit à l’ouest du pays et un à l’est de celui-ci », a-t-il instruit son représentant Choi le 30 juin 2011 (Onuci. Fm). Sans oublier les nombreuses réformes prévues dans d’autres secteurs : éducatif, économique, agricole, etc.
La mise en œuvre de ces différents projets aura pour conséquence de minimiser les effets de la crise sur les populations. Partant, elle permettra de restaurer les institutions étatiques et les structures privées. Chaque citoyen sera dès lors rétabli dans sa dignité et dans ses divers droits, étant donné qu’il aura regagné désormais son lieu d’habitation ou son lieu de travail- comme nous le constatons depuis quelques temps dans la ville de Duékoué où des milliers de déplacés, alors logés à la mission catholique, regagnent progressivement leurs différentes habitations grâce aux actions menées par la Croix rouge, l’Onuci, etc.
Elle aura aussi pour conséquence de résoudre efficacement le problème de la réconciliation nationale. Tout simplement parce que la reconstruction accélérée de ce qui a été détruit voire plus- renforcée par la mise au point d’une politique de bonne gouvernance- contribuera au retour de l’harmonie au sein des populations ivoiriennes. Sans toutefois faire disparaître totalement les meurtrissures des ivoiriens, la reconstruction postcrise- suivie de cette politique- pourra tout de même les alléger. Ce qui donnera à chaque ivoirien donc, l’envie de vouloir revivre avec son prochain.
Certes, la reconstruction postcrise ne favorisera pas immédiatement la réconciliation des ivoiriens, mais elle donnera tout de même un coup d’accélérateur à ce processus. Surtout, quand on sait que la réconciliation reste, contrairement à la reconstruction, un processus difficile à réaliser, d’autant qu’elle ne peut se faire par un simple décret présidentiel. De cette façon, la mise sur pied par le Président de la République le 13 mai 2011 d’une commission dialogue-vérité-réconciliation, bien qu’elle soit louable de par sa conception, présente déjà des insuffisances.
Il suffit simplement de constater les nombreuses controverses qui ont eu lieu et qui continuent d’avoir lieu autour du choix à la tête de cette commission d’un homme politique, l’ex-premier ministre Charles Konan Banny- ce qui semble être aux antipodes de la commission vérité et réconciliation en Afrique du sud dont la présidence était assurée par Monseigneur Desmond Tutu qui n’était ni homme politique ni juge professionnel- et aussi de celles autour de la période de référence des enquêtes judiciaires en cours dans le pays.
Ces controverses, si elles ne sont pas prises au sérieux et si elles ne sont pas soigneusement traitées, risquent fort bien de décrédibiliser ladite commission, et partant de mettre en péril le processus de la réconciliation nationale. Dans le même temps, les campagnes de sensibilisation des ivoiriens à la paix et à la réconciliation et les concerts qui sont faits dans ce sens, si ils ne visent pas d’actions concrètes en faveur des personnes durablement éprouvées par la crise postélectorale, ne profiteront qu’à leurs initiateurs. Ce qui est un véritable danger !
Les premières nous rappellent, par des mots d’amour, de tolérance, etc., que le vivre ensemble reste une nécessité vitale pour tous les peuples du monde et, en particulier pour les peuples ivoiriens. Et qu’avant tout « l’avenir de l’homme, c’est l’homme », pour reprendre l’expression de Nelson Mandela (Discours prononcé devant la jeunesse sud-africaine le 17 mars 1993 à Soweto). Les seconds sont censés nous faire oublier les moments tumultueux de la crise postélectorale, afin de nous redonner goût à la vie. Mais, une personne qui est sans abri, par extension qui a tout perdu du fait de la crise postélectorale peut-elle réellement intégrer la notion du vivre ensemble, c’est-à-dire de réconciliation nationale ? Peut-elle répartir en joie après avoir assisté à un concert gratuit de réconciliation, quand elle sait qu’elle dormira à la belle étoile ?
Faisons donc attention ! Et tirons des leçons de l’échec du Forum pour la réconciliation nationale de 2001 mis en place par M. Laurent Gbagbo qui n’a pas empêché que neuf mois plus tard une crise politico-militaire éclate dans le pays. Pour qu’il y ait réconciliation, il faut que les parties concernées aient l’envie de se réconcilier. Cela suppose que celles-ci soient au préalable rétablies dans leur dignité pour que soit ravivée enfin cette envie de se remettre ensemble.
Que nos dirigeants politiques mettent fortement l’accent sur la reconstruction postcrise, elle-même axée sur une politique de bonne gouvernance, voilà, à notre sens, la meilleure façon de ramener, aussi rapidement et aussi efficacement que possible, l’harmonie au sein des populations ivoiriennes. Aussi ne cesserons-nous jamais de réitérer avec force que la Côte d’Ivoire pourra espérer une réconciliation nationale véritable si et seulement si la reconstruction postcrise précède la réconciliation nationale. Car celle-là permet d’accélérer celle-ci.
Pancrace AKA
E-mail : Pancraceaka@yahoo.fr.
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