SITUATION SOCIO-POLITIQUE
Source: L’Inter par Assane NIADA
Vous avez créé récemment la Fopadia. Qu’est-ce que c’est exactement?
La Fopadia ( Fondation politique pour la paix, la démocratie et l’intégration en Afrique) a pour rôle de mener les réflexions stratégiques. Ce n’est pas un parti politique, c’est une association. C’est une association qui a pour rôle de mener des réflexions sur la politique, la démocratie, l’intégration et la paix en Afrique. Mais après la réflexion, nous passons à l’action. Nous avons déjà organisé récemment une conférence publique sur la bonne gouvernance à la Maison de la presse et nous entendons organiser un pré-colloque à Paris, puis un colloque à Abidjan après la cérémonie de lancement officiel. Nous comptons boucler tout cela avant la fin de l’année.
Pourquoi créez-vous une telle association maintenant ?
Simple! C’est parce que c’est maintenant que je suis disponible; ce n’est pas lié au contexte actuel. Même s’il n’y avait eu ce changement, j’aurais lancé cette association maintenant parce que que je me sens disponible.
Les associations se disent généralement apolitiques, or la vôtre se veut politique. Que cache cet intérêt pour la politique ?
Je vous le répète, la Fondation n’est pas un parti politique. Elle ne cherche pas à prendre le pouvoir d’Etat. Elle ne présentera pas de candidat à l’élection présidentielle, législative, municipale ni aux conseils généraux. Si donner son avis sur la démocratie, l’intégration en Afrique, sur l’état de droit et la gouvernance, c’est une manière de faire la politique, alors oui, nous faisons la politique. Mais que cela soit clair, nous ne visons aucun poste électif via la fondation. Notre seul objectif, c’est d’éclairer l’opinion sur des enjeux démocratiques tout en interpellant les politiques sur ce qui ne va pas. Il y a à notre avis une pauvreté au niveau de la réflexion prospective visant à interpeler les politiques Nous avons remarqué que la réflexion stratégique et prospective sur des questions politiques, de démocratie et d’intégration manquent en Afrique et particulièrement en Côte d’Ivoire. En l’absence de structures indépendantes et crédibles qui puissent interpeller les politiques, nous avons dû créer la Fopadia.
Qui sont les membres de cette Fondation ?
Dans la Fopadia, on trouve aussi bien des médecins, des juristes, des journalistes que des chercheurs, des enseignants et biens d’autres spécialistes. Nous allons formaliser tout cela par la création, dans les mois à venir, d’un institut, qui va réunir ces spécialistes qui mèneront les réflexions sur les différents axes indiqués plus haut.
Vous avez aussi en projet de vous lancer dans l’audio-visuel ?
Oui, mais pas dans le cadre de la Fopadia, c’est un projet personnel et en ma qualite d’operateur econmique. J’ai des partenaires en affaire avec lesquels nous envisageons de créer un groupe audio-visuel avec une télévision, une radio. Mais nous sommes encore au stade préparatoire. Avec la libéralisation de l’espace audio-visuel, nous comptons réaliser ce projet. Je sais que ce ne sera pas facile,car tout le monde veut faire la tele. Les professionnels, comme les non professionnels notamment des politiques veulent tous faire la tele. Ce ne sera pas facile mais je compte m’y lancer. En esperant que dans l’audiovisuel,on evitera les erreurs de la presse ecrite.
Quel regard le président de la Fopadia porte sur la démocratie en Côte d’Ivoire, quatre mois après l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara ?
Je note qu’il y a une bonne volonté, des signaux positifs qu’il faut renforcer. La crise a laissé des séquelles que chacun de nous continue de subir. Et la démocratie aussi en pâtit. Si l’alternance s’était faite tranquillement, on n’en serait pas là. On avait des acquis que la crise est venue remettre en cause de sorte qu’on est pratiquement contraint de repartir à zéro aujourd’hui. Il y a eu des avancées en quatre mois, mais il faut reconnaître que beaucoup reste encore à faire. Neanmoins je suis optimiste et je fais partie de ceux qui sont patients. Il faut que rapidement les conditions soient réunies pour que nous allions aux élections législatives et que l’Assemblée nationale soit mise en place. C’est seulement après qu’on pourra jauger l’état de la démocratie. Sans la mise en place d’une assemblée nationale qui va jouer pleinement son rôle, il sera difficile de dire que la démocratie est pleinement rétablie. Pour moi, le critère essentiel, ce sont les élections législatives qui s’annoncent.
Des Ong internationales dénoncent des dérives, notamment des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci). Que dit la Fopadia ?
Il y a des dérives, oui. Cependant si le changement de régime s’était fait dans les règles, je ne vois pas comment des éléments des Frci se promeneraient dans les rues, kalachnikov à la main pour imposer leurs lois. Je ne prends pas le raccourci de la crise parce que la crise a le dos large. Mais je dis que le désordre que nous constatons là est dû à la crise. Des commissariats ont été fermés, est-ce la faute du président Ouattara ? Les commissariats ont été attaqués parce qu’ils étaient des instruments de sauvegarde du régime précédent dans son refus de reconnaître la victoire de Ouattara. Les commissariats devraient être desormais comme l’école, les mosquées et églises, c’est-à-dire des secteurs a ne pas toucher ou rendre partisans malgre la crise. Durant la crise, pratiquement tous les secteurs d’activité sont devenus des enjeux de pouvoir, y compris la presse. Qui en Côte d’Ivoire, quelle structure était au-dessus de la mêlée ? Tout était mélangé. Même l’église et les mosquees! Il faut tirer les leçons de tout cela. En un mot, la crise a déstabilisé les fondements du pays. Quand aujourd’hui on constate des dérives ça et là, il faut le déplorer et mettre cela au compte de cet effondrement des piliers du pays. Il faut que nous nous mobilisions pour que cessent ces dérives, mais en même temps, nous devons tirer les leçons pour que cette situation ne se répète pas. Cela dit je suis inquiet parce que j’ai a l’impression que les gens veulent une normalisation rapide sans engager la réflexion pour tirer les leçons. On n’est pas à l’abri d’une crise identique dans les 5, 10 ou 15 ans à venir.
Etes-vous en train de dire qu’il faut craindre une rechute ?
Si par rechute, vous entendez violence armée, je ne crois pas que ça puisse arriver. Quand on voit comment cette crise s’est terminée, je ne crois pas que cela soit possible. Il faut pour cela que ceux qui veulent attaquer le pouvoir Ouattara aient les mêmes moyens que ceux de la Licorne et de l’Onuci. C’est vrai que ces forces internationales n’ont pas vocation à rester éternellement
ici, mais pendant qu’elles sont là, celui qui veut agresser le régime Ouattara devra avoir des moyens identiques, ce qui n’est pas évident. Par contre ceux qui contestent le régime Ouattara, peuvent recourir aux urnes. Avant les armes, ce sont les urnes qui avaient d’abord fait partir Gbagbo. Que ceux qui seraient tentés d’attaquer le régime Ouattara attendent de le battre dans les urnes. Je souhaite qu’ils se calment malgré leur douleur. Evitons de reproduire les mêmes erreurs. Il faut mettre fin aux alertes aux coups d’Etat, à la violence et cela dans l’intérêt de tous, du pouvoir comme de l’opposition. Parce que tant qu’il y aura des rumeurs de coups d’Etat, les Frci seront toujours sur les dents, ce qui va entraîner la tension et ainsi plomber le jeu politique. Les partisans de Laurent Gbagbo gagnent a laisser tomber les préalables et a s’engager dans le processus démocratique et la réconciliation.
La réconciliation est-elle possible après tout ce que nous avons vécu ?
La réconciliation ne doit pas etre que possible. Elle est nécessaire. Mais encore faut-il identifier qui on réconcilie. C’est vrai qu’il y a un souci de vérité, donc un besoin de justice sous-tendu par un refus de l’impunité afin que cela serve de leçon à tous. Vérité, justice, refus de l’impunité sont donc les préalables. Mais la réconciliation n’est pas que vérité, justice et refus de l’impunité. La réconciliation, c’est aussi le pardon et la tolérance. Aujourd’hui, on a le sentiment que l’accent est uniquement mis sur la vérité, la justice et le refus de l’impunité; ce qui induit la sanction. De sorte qu’on ne perçoit pas le lien entre le pardon et la sanction. L’accent semble davantage mis sur la sanction que sur le pardon. Entre la sanction et le pardon, que choisir ? Telle est la question.
D’aucuns parlent d’impunité sélective. Qu’en pensez-vous ?
Il est utile d’établir la nomenclature des crimes pour tous et la liste des personnes à inculper. Jusque-là, on a le sentiment que c’est fait à la tête du client. Il y a un sentiment d’ absence de coherence. Nous interpellons les autorités pour que soit menee une réflexion stratégique globale permettant de voir comment nous allons faire la réconciliation.
Charles Konan Banny peut-il, selon vous, réconcilier les Ivoiriens ?
Aucun choix ne fait l’unanimité, observons-le, faisons lui confiance. Mais en même temps, le choix de Banny relance le débat sur le fait qu’il n’y a pas d’Ivoirien qui ne soit pas marqué. Existe-il en Côte d’Ivoire une personnalité qui peut aller parler en toute confiance avec Laurent Gbagbo et les dignitaires de Lmp exilés au Ghana et revenir parler en toute confiance et serenite avec le président Ouattara ? Ça n’existe pas et pourtant il doit y avoir dans ce pays deux ou trois personnes de ce genre. Si nous ne pouvons pas en trouver dans le pays, il faut être inquiet. C’est l’une des raisons pour lesquelles la crise post-électorale a duré. Les médiateurs se succédaient sans pouvoir trouver de solution. Quel est l’Ivoirien crédible qui pouvait aller regarder Gbagbo dans les yeux et lui dire: je suis avec toi mais tu as perdu ces élections, tu ne peux pas gagner ce combat que tu mènes. Arrête ça. ». Et aller voir Ouattara pour lui dire, c’est vrai que tu as gagné, mais Laurent Gbagbo a besoin de gage,et non de menaces. Qui pouvait faire en sorte que les deux personnalités se parlent. Donc, s’agissant du choix de Banny, je dis qu’aucun choix ne fait l’unanimité, mais on peut trouver des Ivoiriens pour qui les partisans de Lmp ont de l’estime et en même temps, en qui Ouattara a confiance. Il n’y en a certes pas beaucoup, ces hommes honnêtes, crédibles, à l’abri des besoins et qui ne sont pas compromis par des engagements politiques partisans. Des hommes qui n’attendront pas de pendre 100 millions avec Laurent Gbagbo pour dire qu’il a gagné et dire après que c’est Ouattara qui a gagné après avoir reçu de lui le double de ce que Gbagbo leur a remis. C’est souvent à cela que nous avons assisté dans ce pays. L’argent, les ambitions politiques et la course aux postes ministériels étaient privilégiés au détriment de la vérité. Il faut qu’on sorte de ce cycle. C’est pourquoi j’applaudis la charte d’éthique que le président de la République a fait signer aux ministres, mais il faut aller plus loin : arriver à la déclaration des biens afin que personne ne soit tenté de puiser dans l’argent public pour s’enrichir.
Mamadou Koulibaly vient de créer Lider. Est-il une alternative crédible ?
Pourquoi pas ? Il est le premier citoyen ivoirien de l’après-Gbagbo et de l’ère Ouattara à dire qu’il veut être président de la République, pas par les armes ou par un coup d’Etat. Il a annoncé vouloir affronter le président Ouattara en 2015. Il se positionne du coup comme Laurent Gbagbo en 1990 face à Houphouët Boigny. 2015, c’est encore loin, mais il y travaille un peu comme l’a fait Nicolas Sakozy en France. Chaque fois qu’il se rase le matin, il y pense. A-t-il les moyens de ses ambitions ? Est-il idéaliste ? Peut-être. Il faut avoir une dose de rêve, de folie même pour prétendre diriger des peuples. Prenez l’exemple de Nicolas Sarkozy qui a dit qu’il allait être président en France et qui a été élu contre vents et marrées. Même contre la volonté de Jacques Chirac, qui a fini par s’y plier. Pareil pour Obama. Dans une Amérique difficile, il a porté le rêve de vouloir être président des Etats-Unis et il l’a été. Mamadou Koulibaly est peut-être idéaliste, mais c’est ce qui fonde les grandes ambitions.
D’aucuns estiment qu’il ferait un bon idéologue, un agitateur d’idées plutôt qu’homme politique de terrain.
On peut penser qu’il aura le destin du Pr Francis Wodié avec son parti d’intellectuels. Mais Mamadou Koulibaly a pour lui l’avantage d’avoir milité au Fpi où il a défendu des positions qui lui valent aujourd’hui des soutiens. Contrairement à ce que vous dites, il n’est pas qu’idéologue, il sait aussi être opportuniste et démagogue.Un bon politique, c’est quelqu’un qui est opportuniste et démagogue. Mamadou Koulibaly est un peu démagogue et opportuniste. Quand il choisit la date du 11août pour annoncer la création de son parti, par allusion au 11 avril ( date de l’arrestation de Gbagbo, ndlr), ce n’est pas fortuit. C’est de l’opportunisme, son but inavoué étant de rester dans les mémoires, en référence au 11 avril, puisque chaque fois qu’on évoquera l’arrestation de Gbagbo, on aura également en mémoire la naissance de Lider (dénomination du parti politique de Mamadou Koulibaly, ndlr). Il est aussi démagogue parce que les discours qu’il tient vis-à-vis de la France et concernant la rupture d’avec le Franc cfa me paraissent démagogiques et anachronique. On se souvient par ailleurs que contre l’idéologie dominante au Fpi, il avait fait un plaidoyer pour les étrangers vivant en Côte d’Ivoire. Pendant que la polémique sur la liste électorale battait son plein, il avait demandé que toutes les personnes inscrites sur cette liste y soient maintenus et bénéficient de la carte nationale d’identité. Il soutient également que l’étranger est une chance pour la Côte d’Ivoire. De quel étranger parle-t-il quand dans le même temps il combat l’étranger français ou américain ? Pourquoi cet étrangera-la, non noir,non africain ne serait pas une chance pour la Côte d’Ivoire ? Je trouve cela démagogique. D’autre part, dans un monde où des pays comme les Etats-Unis, la France, la Grèce ont des problèmes avec leurs économies, pourquoi lui continue-t-il de plaider pour qu’on sorte du F cfa au nom d’une souverainete monetaire que meme Gbagbo n’a pas ose? C’est des discours qu’on tient pour flatter l’orgueil des populations. Quand Mamadou Koulibaly tient ce type de discours, il y a beaucoup de souverainistes ivoiriens et africains qui se retrouvent en lui. Or, ce n’est rien d’autre que de l’opportunisme, pas forcement rentable comme on le voit avec la . Il semble savoir où il va.
Interview réalisée par Assane NIADA
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