Relations diplomatiques Washington-Dakar: Pas facile de trouver le juste équilibre entre exigence « démocratique » et « partenariat stratégique » !
Jean-Pierre BEJOT – La Dépêche Diplomatique avec le faso.net
La rentrée, au Sénégal, risque d’être tendue. D’autant plus que la reprise coïncidera avec la fin du ramadan et l’échéance fixée par les autorités sénégalaises pour que cessent, enfin, les délestages. Les coupures d’électricité (« Karim arrive » dit-on alors à Dakar, faisant référence au fils du président de la République, en charge de ce dossier) ont été, incontestablement, un des dossiers les plus mal gérés du mandat de Wade. Et la situation ne va pas aller en s’améliorant compte tenu de l’évolution démographique annoncée du pays. Le Sénégal, c’était moins de 4 millions d’habitants il y a quarante ans, en 1970 (1 million d’habitants en 1900, 2,8 millions lors de l’indépendance) ; ce serait 29 millions d’habitants dans quarante ans, en 2050, soit plus qu’un doublement au cours des quatre prochaines décennies (12,8 millions d’habitants actuellement).
C’est dire que l’urbanisation (3 villes dépassent déjà le million d‘habitants : Dakar, bien sûr, Thiès et Kaolack ; Diourbel, Kolda, Saint-Louis devraient bientôt passer ce cap), l’évolution des modes de vie et la croissance économique vont peser, plus encore demain qu’aujourd’hui, sur la demande d’électricité.
La démographie, parent pauvre de la science économique et totalement absente de la science politique, est une donnée incontournable. Y compris en matière diplomatique. Impossible de faire l’impasse sur un pays à forte vitalité démographique qui, par son évolution politique, économique et social, va se trouver confronté à d’immenses défis et qui aura, plus que jamais, besoin de partenaires extérieurs « puissants ». Reste à savoir lesquels choisira Dakar. Le Sénégal n’est pas un quelconque pays d’Afrique de l’Ouest du fait de sa géographie d’abord, de son histoire ensuite, de son « actualité » enfin. Chacun sait pertinemment que les mois et les années qui viennent vont être ceux de « tous les dangers ». Le problème n’est pas tant que Abdoulaye Wade veuille se représenter ; ou qu’on lui prête l’ambition de faire de son fils, un jour, le président de la République. Le problème n’est pas, non plus, que Wade ait aujourd’hui plus de 85 ans.
Après tout, il y a eu, de par le monde, d’autres vieillards (et il n’y a rien d’injurieux dans ce mot, c’est juste la caractérisation d’une donnée incontournable : l’âge) qui ont ambitionné de rester au pouvoir et souhaité que leur progéniture leur succède. Le problème est, uniquement, que le père, le fils et l’âge du capitaine, rassemblés, cela pose… problème aux Sénégalais qui vivent les jours d’aujourd’hui comme un abus de pouvoir au mieux ; l’expression d’un pouvoir absolu au pire. Du coup, dans les capitales ouest-africaines et dans les capitales occidentales, on scrute avec attention ce qui se passe du côté de Dakar, chacun espérant que la réflexion l’emportera sur l’obstination. Ce qui, par ailleurs, ne saurait être un jugement sur le bilan du « Vieux » !
On peut penser que « le jeu n’en vaut pas la chandelle », autrement dit que Wade prend là un risque inutile qui peut se révéler dangereux ; si le Sénégal n’est pas un quelconque pays d’Afrique, Wade n’est pas non plus un quelconque leader africain et il n’est pas question de le traiter comme tel. Sauf que bien sûr, à moins d’appartenir à la nébuleuse présidentielle, personne ne peut penser que ce soit là l’expression d’une évolution « démocratique » sereine.
Si Paris, mobilisé sur d’autres fronts (Libye, Tunisie, Algérie, Maroc, Côte d’Ivoire…), ne prête pas à Dakar toute l’attention nécessaire, Washington est préoccupé par ce qui peut se passer dans un pays africain musulman jusqu’alors ancré dans la sphère « occidentale ». Mais les arguments avancés, voilà huit ans, lors de la visite de George W. Bush (8 juillet 2003), pour justifier la proximité Dakar-Washington, sont-ils toujours d’actualité ? « Nous pouvons nous targuer d’être une démocratie stable. Tous les pays qui nous entourent sont ou ont été dirigés par des militaires. Nous n’avons toujours pas subi de coup d’Etat.
Nous sommes également un pays composé à près de 95 % de musulmans mais notre islam est tolérant » (citation tirée d’un article de Frédéric Therin, publié dans Le Monde daté du 8 juillet 2003). On disait même, alors, que, comme aux Etats-Unis, on buvait un mauvais café chez le premier ministre, Idrissa Seck, par « américanophilie » ! Les choses, depuis, ont changé. Wade attendait plus de Washington que Washington n’était disposé à lui concéder ; et les « Amerloques » du gouvernement – à commencer par le patron de la diplomatie, Cheikh Tidiane Gadio – sont passés à la trappe et/ou ont rejoint les rangs des « opposants » à Wade.
Ambassadeur US sortant, Marcia Bernicat, lors de son départ de Dakar, a souligné que le Sénégal restait un partenaire stratégique des Etats-Unis tout en déclarant, l’air de rien (lundi 4 juillet 2011) : « Pendant trois ans, nous avons essayé de soutenir autant que possible le peuple sénégalais à travers des politiques de renforcement des institutions démocratiques ». Autrement dit, le bilan « démocratique » n’est pas aussi glorieux que Washington le souhaitait. Il est vrai que Bernicat – récemment nommée au Département d’Etat aux côté de Hillary Clinton qui entretient avec elle, dit-on, « les meilleurs rapports au monde » – était jugée comme ayant une « analyse très défavorable au régime de Wade ».
On se souvient de la riposte télévisée de Wade aux déclarations de Bernicat (20 mai 2010) qui avait déclaré : « les Etats-Unis investissent beaucoup dans la prospérité du Sénégal […] Cependant, ajoutait-elle, la corruption, voire même la perception de la corruption ainsi que les politiques exécutées de façon inefficace, peuvent facilement ruiner les efforts de développement », rappelant au passage que le Sénégal bénéficiait des fonds du Millenium Challenge Account (MCA). Bernicat vient d’être remplacée par Lewis Lukens (accrédité aussi pour la Guinée-Bissau), un diplomate de carrière qui a été en poste à Dublin, Sydney, Abidjan, Guangzhou, Vancouver, Bagdad et au Département d’Etat. Fils d’un ancien premier conseiller de l’ambassade US à Dakar, il y a vécu de 1967 à 1970.
Diplômé de Princeton University (histoire d’abord, politique publique ensuite), directeur exécutif du secrétariat exécutif du Département d’Etat avant d’être nommé à Dakar, il a débarqué dans la capitale sénégalaise le mardi 9 août 2011 et a présenté ses lettres de créance dès le jeudi 11 août 2011. Il va avoir à gérer le maintien d’un lien fort entre Dakar et Washington – « partenariat stratégique » oblige – sans, pour autant, donner l’impression que les Etats-Unis cautionnent l’évolution politique du pays – « démocratie » oblige – avec un élection obligatoire de Wade s’il se présente à la présidentielle et une situation post-présidentielle nécessairement chaotique (et c’est un euphémisme).
Sauf que la présidentielle sénégalaise aura lieu au printemps 2012 et que les Etats-Unis seront, eux, confrontés à une présidentielle – plus aléatoire quant au résultat – à l’automne suivant. Wade et Barack Obama réélus, le second sera bien en peine de rester vis-à-vis de Dakar dans les mêmes dispositions, lui qui, le 11 juillet 2009, à Accra (Ghana), avait affirmé que « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions », lui qui recevait, récemment, à la Maison-Blanche, les présidents Boni Yayi, Alpha Condé, Mahamadou Issoufou et Alassane Ouattara, parce qu’ils avaient été « élus lors d’élections libres et justes ». Si Wade est élu et Obama battu, Wade pourra cependant se targuer de n’avoir jamais eu à accueillir, à Dakar, le président US alors que son prédécesseur, George W. Bush, avait fait le déplacement (le 8 juillet 2003 et dans des conditions de temps et de sécurité qui avaient exaspéré les Sénégalais). Autres temps, autres mœurs.
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
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