LETTRE OUVERTE au Président de l’Assemblée nationale
Honorable Président,
Dans une contribution récente, je m’interrogeais sur le silence des députés de la 9e législature, face à l’imposture qui consiste pour M. Ouattara à empêcher le fonctionnement de l’Assemblée nationale. C’est vous dire que vous me comblez de joie et vous m’honorez de réagir pour la deuxième fois, la première comme Président de LIDER et la seconde comme Président de l’Assemblée nationale, à l’occasion de votre rencontre avec le Représentant Spécial Adjoint du Secrétaire général des Nations Unies pour la Côte d’Ivoire.
Vous déclariez devant cette personnalité que «l’Assemblée Nationale… qui existe de façon légale de par la Constitution, n’est pas reconnue par le Chef de l’Etat qui n’a pourtant pas pris d’acte pour signifier sa dissolution et refuse de façon informelle de payer les indemnités des députés et des travailleurs … Je ne sais pas si politiquement le Gouvernement mesure la portée de ce type d’acte, mais sur le plan humanitaire c’est un scandale. Les députés sortants ont droit à leur mandat jusqu’au jour où la nouvelle assemblée s’installe. Refuser de les payer aujourd’hui, refuser de les subventionner, c’est les affaiblir et s’il y a les législatives, ces députés qui n’ont pas été payés ne pourront pas faire campagne ».
Cette seconde réaction me donne l’occasion de m’adresser à vous, en tant que chef de l’institution parlementaire.
Honorable Président,
Nous nous associons à la dénonciation de ce « scandale humanitaire » de non paiement des indemnités des honorables députés et du salaire du personnel de l’Assemblée nationale depuis plusieurs mois. Vos collaborateurs et vos collègues se plaisent à souligner les avancées que vous avez fait réaliser à cette institution sur le plan matériel et financier. Votre réaction s’inscrit dans la droite ligne de votre action.
Mais ce problème a beau émouvoir et indigner plus d’un, le fonctionnement de l’Assemblée nationale ne saurait s’y limiter. Il est loisible à cet effet de vous rétorquer que plusieurs institutions de l’Etat ont connu des retards de salaires sur une longue période sans qu’elles ne cessent de fonctionner. C’est pourquoi la question de l’Assemblée nationale doit nous préoccuper au-delà du problème salarial.
En vous lisant, je crois comprendre que le non fonctionnement de l’Assemblée nationale imputé à M. Ouattara n’est pas soutenu par un écrit. Nous serons bien curieux de savoir comment il l’a exprimé pour vous dissuader de faire fonctionner l’institution jusqu’à ce jour. Quelle reconnaissance attendez-vous de M. Ouattara ? Sous quelle forme cette reconnaissance s’est-elle présentée avant lui ? C’est l’occasion de rappeler que l’Assemblée nationale a des activités en dehors de l’examen des projets de loi et du contrôle de l’activité gouvernementale à travers les questions orales aux ministres du gouvernement.
Sauf à me méprendre sur les dispositions pertinentes de notre Constitution, je n’ai lu nulle part que la convocation des instances de l’Assemblée nationale exigeait une autorisation de M. Ouattara. L’article 62 de la Constitution est précise sur ce point : « Chaque année, l’Assemblée nationale se réunit de plein droit en deux sessions ordinaires ». Quant à la Conférence des Présidents et le bureau de l’Assemblée nationale, ils sont aussi convoqués par le Président de l’Assemblée nationale, comme en dispose le règlement de l’institution. Les seules obligations qui pèsent sur vous sont d’aviser le Président de la République « du jour et de l’heure de la Conférence » et d’informer le Gouvernement de « l’ordre du jour des travaux de l’Assemblée nationale ». Vous n’avez nul besoin d’une autorisation de M. Ouattara.
D’ailleurs pourquoi devrait-il le faire ? Avoir été porté à bout de bras par une rébellion pendant une dizaine d’années et être arrivé enfin au pouvoir dans les chars français et grâce aux bombes de l’armée française ne lui confère pas plus de légitimité qu’à vous. Les membres de l’institution que vous présidez ont l’avantage sur lui non seulement d’avoir été régulièrement élus, mais aussi d’avoir été oints selon les règles et procédures en vigueur dans votre pays.
Du reste, la Constitution de la Côte d’Ivoire instaure un régime politique qui consacre la séparation rigide dans lequel les pouvoirs ne peuvent se révoquer mutuellement. Elle n’organise pas une responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale et n’accorde pas au Président de la République le droit de dissoudre l’Assemblée nationale.
Je voudrais en conséquence vous suggérer d’agir en conformité avec les termes de notre Constitution et du règlement de l’Assemblée nationale. Fort heureusement, le cours des évènements vous fournit un bon agenda, pour convoquer vos instances.
Honorable Président,
S’il est vrai que certains de vos collègues ont pu être arrêtés sans votre autorisation, vous pouvez au moins obtenir leur libération, conformément aux dispositions de l’article 68 alinéa 3 de la loi fondamentale de la Côte d’Ivoire, qui prescrivent que « la détention ou la poursuite d’un député est suspendue si l’Assemblée nationale le requiert ».
L’honorable Simone Gbagbo, député, président d’un groupe parlementaire est détenue sans votre autorisation. D’autres députés (Sokouri Bohui, Kata Kété, ) sont aussi incarcérés au mépris des procédures. Le moment n’est-il pas venu de faire votre part de boulot ? En l’occurrence, il s’agit simplement de convoquer le bureau de l’Assemblée nationale, lui soumettre la question et saisir M. Ouattara par écrit en lui rappelant les exigences de la loi.
Vous avez jusqu’ici défendu l’image d’un homme qui a le courage de ses idées. Vous avez même le courage de vos actes, puisque, envers l’opinion de plusieurs de vos ex camarades du FPI, vous avez cautionné la scandaleuse prestation de serment de M. Ouattara. C’est un autre acte, un devoir de votre charge, qu’il vous est demandé aujourd’hui de poser en convoquant les instances de l’Assemblée nationale et en les réunissant comme vous l’avez toujours fait sous la Présidence Laurent Gbagbo, sans son autorisation.
Honorable président,
Le destin vous a placé à la tête de l’Assemblée nationale en ce moment important de l’histoire de notre pays. Votre institution n’est pas un simple organe, mais bien un pouvoir dans l’Etat. Il vous appartient de la défendre et d’empêcher les empiètements sur son fonctionnement et à terme, sa soumission au pouvoir exécutif. Ce combat pour l’indépendance de l’Assemblée nationale passe aussi par la défense des droits de ses membres piétinés, bafoués dans leur dignité. Ce combat fait partie de ceux qui grandissent un homme et lui dressent des lauriers. Ce combat, vous devez le mener si vous voulez que l’histoire retienne votre nom.
D’ailleurs, pouvez-vous vous y dérober ? Vos convictions politiques en tant que Président de LIDER vous prédisposent à lutter contre les régimes présidentialistes qui consacrent les « présidents-rois ». Vos ambitions présidentielles vous imposent de faire vos preuves. Vous êtes en effet déjà déclaré candidat à la prochaine élection présidentielle. Et le mandat du président Laurent Gbagbo vous a suffisamment édifié sur le fait qu’un Président de la République peut avoir à défendre, durant tout un mandat, la souveraineté de son pays envers et contre tous. Les ivoiriens vous accorderaient-ils leur suffrage si vous ne pouvez pas défendre l’existence d’un pouvoir dans l’Etat ou son indépendance vis-à-vis d’un autre . Je ne doute pas un seul instant que vous saurez relever ce défi.
Honorable Président, Haut les cœurs ! …
Kouakou Edmond
Docteur en droit, Consultant
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