Source: lexpress.fr
Par Vincent Hugeux
Au lendemain de l’inculpation de l’ex-président ivoirien pour « crimes économiques », son porte-parole Justin Koné Katinan répond à LEXPRESS.fr
Seul porte-parole mandaté -fin mai- par l’ex-président ivoirien, Justin Koné Katinan fut ministre délégué au Budget au sein du dernier gouvernement de l’ère Laurent Gbagbo. Pour LEXPRESS.fr, cet ancien cadre de l’administration fiscale réagit à l’inculpation de son mentor et dépeint l’état d’esprit du reclus de Korhogo (nord).
Laurent Gbagbo, a annoncé hier jeudi le procureur d’Abidjan, vient d’être inculpé de » crimes économiques « . Que vous inspire cette décision ?
Je l’ai apprise par voie de presse. Attaché à la légalité, j’attends qu’elle soit signifiée à l’intéressé et à ses avocats. Cela posé, je suis déçu et inquiet. Je me rends compte que le président [Alassane] Ouattara, en dépit des conditions dans lesquelles il est parvenu au pouvoir, ne mesure pas la responsabilité qui lui revient en matière de reconstruction de la cohésion sociale et de réconciliation. La crise électorale qui a secoué la Côte d’Ivoire résulte de frustrations qui lui sont en grande partie imputables, qu’elle soient nées du putsch de 1999, de la tentative de coup d’Etat de 2002 ou des violences qui ont suivi. Et je tiens à rappeler à cette occasion que, au regard de la résolution 1975 du Conseil de sécurité, ni la France ni l’Onu n’avaient mandat d’arrêter et de remettre Laurent Gbagbo aux autorités actuelles. Autant dire que j’ai peur pour la suite.
Les conseils de l’ancien chef de l’Etat et vous-même avez maintes fois dénoncé le flou de son statut juridique Cette inculpation a au moins le mérite de clarifier la donne.
De fait, elle la modifie. Jusqu’alors, le président Gbagbo était en résidence surveillée, régime relevant d’une mesure administrative ; le voilà désormais inculpé, donc sous contrôle judiciaire. Mais l’inquiétude mentionnée précédemment demeure : Laurent Gbagbo a été arrêté dans ses fonctions de chef d’Etat. Il jouit donc en Côte d’Ivoire d’une immunité. Aucun magistrat ne détient la compétence de l’inculper en quoi que ce soit. Chez nous, un chef d’Etat, en exercice ou pas, ne peut être jugé par une juridiction de droit commun.
Reconnaissez-vous en revanche la compétence de la Cour pénale internationale (CPI), dont le procureur devrait indiquer le mois prochain s’il y a lieu ou non de poursuivre Laurent Gbagbo et plusieurs membres de son entourage ?
Je ne dispose d’aucune information confirmée quant à cette échéance. Mais qu’il soit ivoirien ou international, un tribunal qui prétendrait juger Laurent Gbagbo jouerait un jeu dangereux pour le pays. Gare à la justice sélective. Comment passer sous silence les milliers de morts recensés depuis 2002, y compris les civils victimes d’exactions commises après le 11 avril [date de l’arrestation de l’ex-président]. J’ai ainsi donné instruction à nos avocats d’insister sur la nécessité de faire la lumière sur les tueries commises dans le quartier d’Abobo et imputées aux Forces de défense et de sécurité [pro-Gbagbo]. Si après cela, on décrète qu’un seul camp est fautif, c’est à désespérer du droit.
Appelez-vous de vos voeux l’implication d’une CPI qui enquêterait sur l’ensemble des crimes commis depuis sa création ?
A titre personnel, je n’ai jamais été favorable à cette juridiction, qui pâtit d’ailleurs en Afrique d’une très mauvaise image. En tant qu’intellectuel panafricaniste, je la perçois comme l’instrument d’une justice orientée, d’une justice de Blancs dominée par les ex-puissances coloniales. Car beaucoup de dirigeants non-africains mériteraient d’être déférés devant cette Cour. S’agissant du dossier ivoirien, si le but recherché est bien l’établissement de la vérité, on ne peut s’en tenir aux effets et aux conséquences d’un conflit ancien dans lequel la responsabilité de l’actuel président est lourdement engagée.
Certains partisans de Laurent Gbagbo ont dénoncé ses conditions de détention, qualifiées de spartiates, voire de dégradantes. Souscrivez-vous à un tel jugement ?
La place d’un chef d’Etat n’est pas dans un lieu de détention, fut-il logé dans un hôtel 5-étoiles. Mais il s’agit là d’un épiphénomène au regard du fondement -juridique- de notre combat. En outre, il ne faut rien exagérer. Le président lui-même, qui est toujours resté digne, ne se plaint pas de ses conditions de détention. Même si, contrairement à ce que prétendent les autorités actuelles, il n’est pas hébergé dans l’ancienne résidence de feu Félix Houphouët-Boigny. Reste que lui n’en fait pas une affaire.
Des rumeurs contradictoires ont également circulé quant à son état de santé et à son moral. Qu’en est-il ?
Celui qui pense que Laurent Gbagbo pourrait s’effondrer le connaît mal. Bien sûr, il a été moralement touché par les violences subies au milieu des siens. Recevoir 15 jours durant des bombes sur sa maison, voilà qui n’a rien d’un dîner de gala. Mais ce qui l’a blessé le plus, c’est l’attitude de la France. Car le président est tout sauf francophobe. Il était même le plus francophile des candidats à la présidence, et a toujours rêvé de bâtir en Côte d’Ivoire une démocratie à la française. Il ne comprend pas que l’armée d’un pays dont il chérit les valeurs ait pu le pilonner du fait d’un contentieux électoral que les Ivoiriens auraient pu régler entre eux. Voilà qui l’affecte bien plus que son arrestation, d’autant qu’il en est à son cinquième emprisonnement. Une certitude : Laurent Gbagbo ne marchandera ni ne monnayera jamais sa reddition. Il reste debout.
Au cours de cet entretien, vous avez à plusieurs reprises mentionné le » président Gbagbo « . Est-ce à dire que vous le considérer toujours comme le chef de l’Etat légitime ?
Soyons clairs. Laurent Gbabgo ne détient pas l’effectivité du pouvoir. Il ne peut donc poser les actes d’un chef d’Etat en exercice. Mais il reste en droit de revendiquer ce statut.
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