Sabine Cessou – Source: blog.slateafrique.com
Francis Akindès, professeur de sociologie à l’Université de Bouaké, s’intéresse notamment aux dynamiques de la violence politique en Côte d’Ivoire. Auteur de plusieurs ouvrages, dont «Les mirages de la démocratie en Afrique subsaharienne francophone» (Codesria, Dakar, 1996), il avait mis en garde dès septembre 2010 sur le risque de voir le verdict des urnes non respecté en Côte d’Ivoire Il revient pour Slate Afrique sur les processus judiciaires en cours et l’enjeu de la réconciliation nationale.
Slate Afrique: Que faut-il penser de la Commission vérité dialogue et réconciliation (CVDR), annoncée en mai par les nouvelles autorités?
Francis Akindes: Dans l’histoire politique récente de la Côte d’Ivoire, la surenchère de violence est étroitement liée à l’impunité. Cette dernière doit cesser.Une approche pénale est essentielle pour rompre le cycle meurtrier d’actions-réactions violentes. On ne peut, après cette crise, mettre tout au compte du seul pardon. Il faut punir dans les deux camps. C’est une chose de le dire. Avoir la stratégie politique qui correspond en est une autre. Ouattara, prudent, a confié la gestion de la dimension pénale des crimes de sang à la Cour pénale internationale (CPI), et la dimension aussi bien des crimes économiques que des atteintes à la sécurité de l’Etat à la justice ivoirienne. Ainsi, la CPI peut frapper indistinctement et en toute équité dans les deux camps. Dans ce cas, les seules preuves de partialité du pouvoir en Côte d’Ivoire porteraient sur les éventuelles obstructions à la poursuite de certaines personnes proches de Ouattara et soupçonnées d’être des auteurs de crimes.
Slate Afrique: N’est-ce pas embarrassant qu’il n’y ait eu aucune arrestation dans le camp Ouattara?
F.A.: Si Alassane Ouattara s’était immédiatement lancé dans cette aventure, en pénalisant des gens qui ont aussi contribué à le porter au pouvoir, il aurait choisi de déstabiliser le pays. Or, ceci n’est guère souhaitable dans la situation de fragilité dans laquelle se trouve la Côte d’Ivoire en ce moment. En septembre, la CPI devrait préciser quelle sera son approche, ce qui devrait rééquilibrer les choses.
Slate Afrique: La CVDR vous paraît-elle relever d’une volonté politique sérieuse?
F.A.: La gestion de l’après-crise appelle cette Commission. L’initiative en est fort heureuse, car on ne peut pas tout régler par la voie pénale. Pour aller à la réconciliation, il faut aussi donner à une pluralité d’acteurs la possibilité de se repentir, donner aux victimes et à la population l’opportunité de comprendre ce qui s’est passé, de manière à aller vers le postulat: «Plus jamais ça». L’organisation d’un pardon d’Etat est certes un appel à la réconciliation. Cependant, elle ne gère pas toutes les dimensions de la crise. On ne mesure pas la profondeur des blessures intimes laissées sur certaines victimes. Ces personnes ont besoin que justice leur soit rendue. D’où l’importance du châtiment de certains responsables à un certain niveau, de certains crimes de sang, quel que soit leur camp.
Slate Afrique: Le fait que la CVDR ait été confiée à Konan Banny, un poids lourd de la politique ivoirienne, ancien Premier ministre sous Gbagbo, vous semble-t-il être un mauvais départ?
F.A.: Tout dépendra de la façon dont il va gérer la machine qu’on lui a mise entre les mains. Konan Banny a son charisme. Il a son caractère. Mais au-delà de tout cela, tout dépendra de la clarté et de la justesse de son approche méthodologique. A travers l’exécution de son cahier des charges, on jugera sa capacité ou non à favoriser la réconciliation.
Slate Afrique: Ne faut-il pas désarmer urgemment, et démanteler des instances telles que la Fédération des étudiants et scolaires de Côte d’Ivoire (Fesci), qui a agi comme une milice sous Laurent Gbagbo?
F.A.: La Fesci n’est pas officiellement une milice. C’est d’abord et avant tout un syndicat qui s’est fortement politisé. Il y a eu des miliciens issus des rangs de la Fesci. Je découvre au détour de la lecture des résultats de recherche d’un de mes étudiants qui fait une thèse sur ce syndicat qu’il n’aurait pas d’existence légale. En clair, pour sa formation, les règles pour constituer une association n’ont pas été respectées. C’est donc pain béni pour le pouvoir en place. Mais il ne serait guère salutaire d’interdire la dynamique syndicale estudiantine. Les ministères de l’Intérieur et de l’Enseignement supérieur doivent redéfinir les conditions d’autorisation des mouvements associatifs, notamment sur les campus. Un important travail de réflexion s’impose. Il faut redéfinir les règles du jeu, pour que les syndicats ne deviennent pas une force nuisible pour l’espace universitaire. Quant aux miliciens, pour la plupart issus des rangs du mouvement des Jeunes Patriotes, et surtout les anciens combattants des Forces Nouvelles, il est question pour l’instant de démobilisation, mais pas encore de désarmement. Beaucoup de déclarations sont faites, mais concrètement, aucun acte n’a encore été posé.
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