« L’immunité parlementaire de Mme Gbagbo n’exclut pas qu’elle soit poursuivie »

Coulibaly GNÉNÉMA (Ministre des droits de l’Homme) “L’immunité parlementaire de Mme Gbagbo n’exclut pas qu’elle soit poursuivie”

Source: Le Patriote

Après la chute du régime FPI, certains barons dont M. et Mme Gbagbo ont été assignés à résidence. Que signifie cette notion? A quel moment l’applique-t-on? Pendant combien de temps peut-elle durer? Qu’est-ce que la personne assignée à résidence a-t-elle le droit de faire et qu’est-ce qu’elle n’a pas le droit de faire? Mme Gbagbo peut-elle se prévaloir de son immunité parlementaire pour y échapper? A toutes ces préoccupations, le Ministre des droits de l’Homme et des Libertés publiques, Coulibaly Gnénéma, par ailleurs juriste, apporte des éclairages. L’intégralité de son interview hier lundi, sur ONUCI FM dans le cadre de son émission, «l’Invité de la Rédaction.»
ONUCI FM: La résidence surveillée, c’est quoi?
Coulibaly Gnénéma: La résidence surveillée est une mesure administrative que prend l’autorité exécutive, que décrète le président de la République, pour mettre sous contrôle, des personnes jugées nuisibles par la loi de 1963 en Côte d’Ivoire, pour l’ordre social et la paix. En clair, on met en résidence surveillée, une personne qui peut présenter une dangerosité dans une période par rapport à l’ordre social et à la paix.

ONUCI FM: C’est simplement ça?
CG: C’est simplement ça. C’est la loi de 1963 qui dit, en son article 7: «Toute personne dont l’action s’avère préjudiciable à la promotion économique ou sociale de la Nation, peut être assignée à résidence par décret».

ONUCI FM: C’est donc en vertu de cette loi que Laurent Gbagbo est actuellement assigné à résidence?
CG: C’est bien en vertu de l’article 7 de cette loi du 17 janvier 1963 que M. Laurent Gbagbo est assigné à résidence.

ONUCI FM: Est-ce qu’il y a un temps pour cette assignation à résidence, M. Le ministre?
CG: La loi ne détermine pas un délai ou une durée de l’assignation à résidence.

ONUCI FM: Cette mesure peut-elle durer longtemps et très longtemps?
CG: Elle peut durer tant que la dangerosité demeure, tant que le caractère préjudiciable de la personne assignée à résidence demeure.

ONUCI FM: M. Le ministre Coulibaly Gnénéma, les défenseurs des droits de l’homme ont souvent l’habitude de qualifier cette loi de loi liberticide, particulièrement dangereuse. Alors est ce que ce serait votre point de vue?
CG: Non, nous ne pensons pas qu’une loi peut être dangereuse ou liberticide puisque toutes les lois sont soumises à l’appréciation du Conseil constitutionnel, et normalement le Conseil constitutionnel vérifie qu’une loi est en conformité avec les dispositions de la constitution. Dès lors qu’une loi ne porte pas préjudice à la constitution, nous ne pensons pas qu’elle puisse être jugée de dangereuse. Ce que les défenseurs des droits de l’homme soulignent-et c’est de bon gré- c’est qu’il est souhaitable que des personnes ne soient pas assignées à résidence pendant de longues périodes. Mais cette loi n’est pas propre à la Côte d’Ivoire. Elle existe dans d’autres Etats et dans d’autres pays. Donc nous pensons que ce sont les circonstances qui déterminent le recours à cette loi. S’agissant même de M. Gbagbo, c’est bien à cette loi qu’il a fait recours pour réquisitionner la BCEAO et pour poser certains actes au moment du conflit post-électoral.

ONUCI FM: La personne assignée à résidence, qu’est ce qu’elle a le droit de faire et qu’est-ce qu’elle n’a pas le droit de faire?
CG: Comme je le disais tantôt, les dispositions de la loi ne déterminent pas les modalités, les droits et les devoirs de la personne assignée à résidence. Mais il y a un décret qui a été pris pour l’exécution de cette loi-là, c’est le décret du 9 février 1963, qui porte application de la loi du 17 janvier 1963. Au terme de cette loi, l’obligation principale qui pèse sur la personne assignée à résidence, c’est la tenue à jour des carnets d’assignation à résidence, qui doit donc être gérée par l’autorité préfectorale.

ONUCI FM: Cela veut dire quoi?
CG: Il y a un certain carnet dans lesquels il est inscrit l’identité de la personne assignée à résidence, son domicile, et les activités que la personne mène. (…) Cette personne peut-être astreinte à des travaux d’intérêt publics, donc on a besoin de suivre ses activités au quotidien.

ONUCI FM: Et la personne peut-elle recevoir des visites?
CG: Cela dépend de la dangerosité ou du caractère préjudiciable de la personne. Dans le cas de l’application de cette loi pour la Côte d’Ivoire, il est clair que les conditions dans lesquelles les personnes ont été assignées à résidence, justifient qu’elles soient enclines à l’isolement. Parce que si vous vous inscrivez dans le sens de mettre à mal la cohésion sociale, de favoriser la guerre, on se dit qu’avec des visites, vous avez les moyens de continuer la nuisance. Si vous êtes isolés, vous êtes moins dangereux. Donc, c’est la dangerosité ou le caractère préjudiciable des actions que pose la personne assignée à résidence, qui détermine les commodités ou les facilités que l’on peut accorder à cette personne.

ONUCI FM: Est-il préférable selon vous en tant juriste, d’être dans la situation d’une personne assignée à résidence ou d’une personne détenue?
CG: Cela dépende de ce que l’on appelle  »préférable ». Il est préférable, il est mieux qu’une personne soit inculpée, détenue selon des faits déterminés par le code pénal, plutôt que d’être assignée à résidence. Parce que lorsque vous êtes poursuivis sur la base d’une qualification pénale, votre situation est réglée par le code de procédure pénale. On sait comment vous êtes détenus, on sait quels sont vos droits en tant que personne détenue, et donc cela est beaucoup plus lisible. Par contre, l’assignation à résidence qui, comme je l’ai dit, est du ressort du ministère de l’administration du territoire et en l’occurrence du ministère de l’Intérieur, ne détermine pas tout cela. Donc il y a un certain flou sur la situation de la personne ce qui n’est pas le cas de celle qui est poursuivie devant les juridictions.

ONUCI FM: De l’état de personne assignée à résidence, on peut rapidement glisser vers l’état de détenu?
CG: Tout à fait, parce que l’assignation à résidence, normalement, devra être poursuivie, ou continuée par des enquêtes dont l’objectif est de pouvoir traduire la personne assignée à résidence, devant le juge. Mais je précise bien que c’est la dangerosité initiale qui justifie l’assignation à résidence. Parce qu’on peut vous poursuivre en justice, sans pour autant vous assigner à résidence. Mais l’assignation est utilisée dans des contextes particuliers. Nous étions, en Côte d’Ivoire, à une période où les tribunaux étaient déjà non fonctionnels à cause des combats qui se déroulaient dans les différentes villes, où les prisons ont été ouvertes, par moment même détériorées. Il est clair que dans ces conditions, si vous voulez poursuivre quelqu’un selon les règles de l’art, ce sont des problèmes logistiques qui se posent. Où trouver les policiers pour faire l’enquête? Où trouver les maisons d’arrêt pour les détenir? Et c’est dans de telles circonstances malheureusement qu’interviennent les mesures d’assignation à résidence. C’était bien le cas de la Côte d’Ivoire au lendemain du 11 avril.

ONUCI FM: Et si les tribunaux avaient été fonctionnels?
CG: Il est clair que pour la majorité des personnes qui sont passées par la mesure d’assignation, dont je voudrais vous dire qu’aujourd’hui quasiment 95 % sont en procédure judiciaire en bonne et due forme comme ayant été inculpées, il est clair que si les tribunaux avaient été opérationnels et fonctionnels, il était plus aisé, si l’ordre républicain était établi que les personnes qui sont passées par cette mesure-là, aient été traduites devant les OPJ (Officiers de polices judiciaires NDLR) pour faire l’objet d’enquêtes précises et être traduites devant les procureurs et par la suite certainement devant les juridictions dont elles répondraient des qualifications.

ONUCI FM: Prenons le cas précis de Mme Laurent Gbagbo. Elle est parlementaire. Peut-elle brandir son immunité parlementaire pour contester son assignation à résidence?
CG: Non. A ma connaissance l’immunité parlementaire n’exclut pas la possibilité des poursuites. L’immunité parlementaire suppose simplement l’autorisation de l’Assemblée nationale pour poursuivre quelqu’un. Mais la condition dans laquelle la Côte d’Ivoire était au 11 avril 2011, on ne pouvait pas faire recours à une quelconque assemblée dont la légitimité d’ailleurs est contestée par ailleurs. Donc on ne peut pas se prévaloir de cette immunité-là pour dire que Mme Gbagbo ne pouvait pas être assignée à résidence. Dans tous les cas, sous le régime dont ils étaient les animateurs, on a bien vu que des parlementaires ont pu être poursuivis. Prenez le cas notamment du député Adjoumani, aujourd’hui ministre. Donc l’immunité ne lui fait pas obstacle à toute poursuite devant les juridictions. Le code de procédure pénale dit simplement qu’il faut avoir l’autorisation de l’Assemblée nationale lorsque les cas ne sont d’une flagrante effraction……

ONCI FM: Que pourrait répondre le juriste aux avocats du couple Gbagbo qui estiment que leurs clients sont arbitrairement assignés à résidence?
CG: Le juriste répondrait qu’il n’y a aucun critère qui permet de parler d’arbitraire. Nous disons bien que la loi qui permet l’assignation à résidence est un décret. Il est donc clair que cela dépend de l’appréciation de celui qui décrète. Or selon notre loi normative la Constitution, seul le président de la République signe les décrets. Donc c’est au président de la République d’apprécier si vous êtes dangereux pour lui, c’est-à-dire lui garant de l’ordre social ou garant du développement économique. Si vous paraissez dangereux pour lui, il décrète que vous êtes assignés à résidence. Maintenant, les faits peuvent démontrer que vous l’êtes ou que vous ne l’êtes pas. Il lui revient donc de relever sa mesure d’assignation à résidence. Les avocats, vous le savez très bien c’est leur rôle de dire que les faits qui sont reprochés à leurs clients sont vrais ou non. La plupart du temps, on a même dû prendre quelqu’un en flagrant délit, il reste qu’il bénéficie de l’assistance d’un avocat qui viendra certainement plaider la clémence ou toute autre chose. Donc ils sont dans leur rôle normal. Et cela ne peut pas faire l’objet de discussion particulière. Posture d’avocat oblige.

Propos retranscrits par Yves-M. ABIET

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