Maurice Bandaman, Ecrivain
Notre pays a vécu des moments de grande tragédie ces derniers jours : le vendredi 5 août avec la plongée dans la lagune depuis le Pont Félix Houphouët Boigny d’un bus de la Sotra, et le mardi 9 avec la collision d’un camion avec un mini car de transport. Plus de 70 morts en quelques jours. Puis le même mardi 9, une pinasse manque de déverser – heureusement- ses passagers dans la même lagune qui continue de confisquer des corps de l’accident du vendredi 5.
On est en droit de se laisser gagner par le désarroi, le pessimisme, de se sentir abandonné par les Dieux, surtout en ces temps de prolifération de prophéties où orales, pasteurs et autres prophètes des temps nouveaux prospèrent, annonçant apocalypse et retour d’anciens dirigeants, portés par la sagaie de Dieu. On est en droit de se laisser traverser par le fatalisme et de souscrire aux thèses spiritistes de la punition de Dieu en colère, décidé à purifier la terre de Côte d’Ivoire en la rougissant encore et encore de sang. Et des prophéties de plus grandes catastrophes sont faites, relayées par une presse qui semble se délecter de tels cataclysmes, rêvant sans doute d’en tirer des gains politiques. Puisque pour elle, ces catastrophes condamnent les nouvelles autorités à qui Dieu adresserait ainsi un message très net, leur signifiant son antipathie.
Dans un pays où domine encore la pensée primitive, où tous nos malheurs sont sensées provenir d’un Dieu en colère, dans un pays où comme au moyen âge, on croit encore à la force des ombres, ces accidents viennent renforcer des croyances surannées malheureusement réchauffées depuis ces derniers années, en raison d’un système qui croyait trouver dans les forces de la surnature des moyens matériels et politiques pour s’imposer ad vitam aeternam à un peuple, le dominer, l’assujettir.
Bien sûr qu’on a des raisons de se laisser guider par l’irrationnel, quand on voit la trajectoire du bus, depuis la droite de la chaussée, traversant toute la route, pour briser les rangées de garde fou, et se projeter dans la lagune. Erreur mécanique, erreur humaine ou main de Dieu en colère ?
Comme pour garder le mystère du secret, le corps du chauffeur de l’autobus est introuvable, jalousement gardé par les esprits de la lagune, on eut dit en complicité avec ce Dieu en colère, pour empêcher la vérité d’éclore. On ne saura jamais ce qui s’était réellement passé, au moins on sait que l’accident n’est pas dû à l’éclatement d’un pneu ; alors que s’était-il réellement passé pour que de tout son poids et tout son contenu le mastodonte plonge, tête en bas, dans l’immensité de cette lagune gourmande ?
Si on ne sait pas grand-chose des circonstances de l’accident du pont Félix Houphouët Boigny, on sait par contre que le carambolage du même jour sur le boulevard de l’Indénié, face au Groupement des Sapeurs pompiers, que l’accident sur l’autoroute du Nord et le chavirage de la pinasse surchargée sont d’origine humaine et tirent leur source de l’indiscipline.
On peut imaginer qu’en voulant éviter de cogner un véhicule qui lui aurait fait une queue de poisson comme le signalent certaines sources non encore officielles, le bus du Pont Houphouët Boigny ait tenté de se déporter sur sa gauche sans maîtriser ni le volant, ni la vitesse de son mastodonte.
Sur le boulevard de l’Indénié, on le sait, des conducteurs trop pressés, ne voulant céder le passage, ont provoqué un carambolage heureusement sans trop graves conséquences.
L’accident sur l’autoroute du Nord serait dû à plusieurs facteurs humains. Le rétrécissement de la chaussée lié à des travaux, l’absence de signalisation, la vitesse.
Quant à la pinasse, c’est courant que ces embarcations de fortune soient toujours pleines à craquer, dépassant ainsi leurs capacités physiques et motrices, jetant régulièrement leurs passagers dans la lagune avec des conséquences toujours tragiques.
C’est bien facile d’accabler un Dieu coléreux, de chercher à régler nos comptes sur son dos, alors qu’il est bien tranquille dans son coin, notre Dieu, nous regardant nous débattre dans notre désordre.
Le nouvel état ivoirien a besoin de montrer la voie, d’indiquer l’ordre et la discipline et mettre fin aux wouya-wouya qui prospèrent dans le pays.
Déjà, le pays a commencé, sous la houlette des bulldozers dits « Ouloto » à dégager les emprises de nos chaussées et les voies publiques. Les conséquences immédiates sont de priver de leurs sources de vie, nombreux de nos concitoyens. Mais un pays ne peut prospérer dans le désordre et les autorités n’ont pas à s’en tirer à si bon compte en laissant le peuple se « débrouiller » dans l’informel des chaussées. Il nous faut créer des structures et des infrastructures qui répondent aux normes et permettent aux opérateurs de travailler en toute sécurité et de prospérer dans la durée.
Pour revenir aux accidents, je clame que Dieu n’a rien à y voir ! Aucun esprit n’a de compte à régler avec le régime Ouattara. Mais ce régime a de l’ordre à mettre dans les bureaux, dans les rues, sur les routes qui précisément parce qu’elles sont en très mauvais état sont des facteurs multiplicateurs des accidents mortels.
Les routes et la lagune tuent parce que des Ivoiriens leurs en donnent l’occasion. En ne limitant pas les vitesses, en ne posant pas des panneaux pour signaler un danger sur la route, et les policiers, en préférant racketter. Ailleurs, on ne badine pas avec la sécurité des voyageurs. Sur les autoroutes, les vitesses sont limitées à 100 km/h et les tous les voyageurs, dans les cars comme dans les voitures familiales sont tenus de porter les ceintures de sécurité. Le Kenya l’a réussi. Malgré plusieurs mois de grève des chauffeurs et propriétaires de véhicules de transport qui voyaient dans les limitations de vitesse d’énormes manques à gagner, le gouvernement a maintenu sa décision et a réussi à les faire fléchir. J’imagine le boucan que feront ici nos tout puissants transporteurs si on leur imposait des limitateurs de vitesse.
Et pourtant nous devons militer pour obtenir l’ordre et la discipline sur nos routes.
Les Ivoiriens sont fatigués des larmes inutiles, des morts qu’on peut éviter, des vies qu’on peut sauver.
L’ordre est un bien, la discipline est une valeur. C’est pourquoi la discipline figure dans notre devise. Il nous faut la défendre, partout, car son contraire, l’indiscipline, tue !
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