Par Macaire Dagry | Chroniqueur Politique à Fraternité Matin
La destitution du D.G. de la Radio Télévision Ivoirienne, Brou Aka Pascal, a provoqué un cataclysme dans l’opinion publique nationale et un sentiment de frayeur dans les administrations, les institutions et sociétés d’état ivoiriennes. Cela nous change des rumeurs nauséabondes et anxiogènes de déstabilisation qui se sont emparées des ivoiriens, traumatisés par cette violente crise post-électorale. Pendant plusieurs semaines, toutes les conversations ont tourné autour de cette diversion orchestrée par des illuminés qui ont vite compris l’intérêt qu’ils ont à maintenir cette psychose afin de sauvegarder leur crédibilité auprès de leurs adeptes d’une part. Et d’autre part, continuer à garder dans l’ignorance les va-t-en guerre de l’ancien régime, qui attendent toujours « l’armée céleste » qui doit descendre du ciel pour « l’assaut final » afin de replacer L. Gbagbo au pouvoir.
Comment peut-on imaginer un seul instant qu’Alassane Ouattara, aux commandes de tous les leviers du pouvoir, en pleine possession de tous les moyens de défense et de sécurité, soutenu par la communauté internationale, puisse se laisser distraire par ces délires instrumentalisés par des mystificateurs ? S’il a pu venir à bout d’un régime déterminé et puissamment armé alors qu’il était « prisonnier » au Golf Hôtel, limité dans tous ses moyens d’influence et de commandement, ce n’est pas maintenant qu’il a la plénitude du pouvoir qu’il sera inquiété. Des milliards en prêts, dons et annulations de dettes sont annoncés chaque semaine en Côte d’Ivoire. De grandes puissances s’activent pour revenir investir dans le pays. Alassane Ouattara est reçu à la Maison Blanche avec les honneurs. Il est le premier chef d’Etat ivoirien à y être reçu depuis le président Houphouët Boigny. Pendant 10 ans, son prédécesseur a tout fait pour être invité, en vain. On peut bien imaginer qu’avec tout cela, il sait qu’il doit activer tous ses réseaux pour favoriser un climat serein de sécurité dans son pays. Curieusement, ceux-là mêmes qui sont sensés faire tomber le nouveau régime, rentrent tout heureux au pays en lui faisant allégeance. En rejoignant la République, ils marginalisent de fait ceux qui espèrent encore le « grand miracle », sans vraiment y croire. Pour donner des garanties de leur allégeance au nouveau pouvoir, ils se sont mis à dévoiler toutes leurs intentions et « petits secrets » qui pourraient s’avérer très précieux.
On se souvient encore des prédictions et autres balivernes qui semaient le troublent dans les esprits, lorsque depuis l’Hôtel du Golf, ADO était invité à se rendre au siège de l’Union Africaine en Ethiopie. Les rumeurs prédisaient « sa fin » ou « qu’il ne rentrerait plus » etc. Ces mystificateurs ont été déçus. Mêmes rumeurs et mêmes procédés lors de son investiture à Yamoussoukro. Là encore, ces « illusionnistes » avaient prévu un déluge de Feu. Malheureusement pour eux, il avait plu ce jour là. Dommage. Peut-être qu’ils devraient apprendre à lire la météo, ça peut aider à manipuler et être plus crédible. Dimanche 7 Août, jour de l’indépendance ivoirienne, le mystificateur, Malachie, avait une fois encore crée une psychose collective en prédisant l’apocalypse. Il n’en fut rien du tout, et personne ne se pose de questions sur ces manipulations psychiques de ce soit disant pasteur, qui a besoin d’exister et être reconnu, en faisant ainsi parler de lui.
Et il paraît qu’en Afrique, tout est forcement « surnaturel »
A quelques jours de cette indépendance ivoirienne, la Côte d’Ivoire a été endeuillée par deux accidents de bus le même jour à Abidjan. Il fallait s’y attendre, les rumeurs et autres croyances farfelues ont pris le pas sur la raison et les constats déplorables de nos réalités africaines. Pour les uns, les prophéties grotesques et manipulatrices des pasteurs évangélistes qui avaient bercé d’illusions L. Gbagbo et conduit à sa perte, se réalisaient. Pour les autres, il fallait plutôt chercher les causes de ces deux accidents de circulation dans des croyances mystiques et sombres, moyenâgeuses. Que faire, nous sommes bien en Afrique et notre inconscient collectif très bien formaté, se transmet ainsi de génération en génération. Et il paraît qu’en Afrique, tout est forcement « surnaturel » même si l’évidence de nos propres responsabilités s’impose à nous. Ce qui donne de fait de grandes latitudes à tous les manipulateurs psychiques et autres malades mentaux qui s’autoproclament pasteurs, pour faire croire tout et n’importe quoi à une population psychologiquement conditionnée pour y croire, et se faire peur elle-même. Puisque tout est « surnaturel » ou « est la volonté de Dieu » à travers des escrocs qui s’enrichissent en exploitant la misère psychique et sociale de la population, il est donc aussi « normal » de ne pas chercher ailleurs les causes de nos propres défaillances humaines, techniques ou institutionnelles.
Nous le savons tous, la corruption et le manque de responsabilité sont les principales causes de nos drames africains. Qui va se préoccuper de la sécurité des usagers de nos transports en commun pendant que tout le monde ne pense qu’à s’enrichir ? Mettre de l’argent dans l’achat de pièces de rechange, dans la formation de techniciens très qualifiés, dans le contrôle des services techniques, c’est autant d’argent qui ne va pas sur les comptes bancaires en Suisse ou quelque part dans un paradis fiscal. Qui va se décider à mettre de l’argent et de l’expertise pour refaire nos routes qui sont à pleurer, afin de garantir la sécurité des populations ? Nos policiers et responsables politiques et administratifs sont tellement corrompus que cela donne le sentiment qu’ils sont nés avec cet état d’esprit, profondément inscrit dans leurs gênes. Les populations et les usagers ne peuvent même pas compter sur eux pour les protéger des irresponsabilités dont elles sont victimes. Les services de l’Etat ne sont pas mieux et cela est encore plus inquiétant. Les responsables politiques ou de la haute administration ne se sentent pas concernés par ce genre de drames, très fréquents partout en Afrique. Leurs enfants, parents et proches n’utilisent pas les transports en commun. Ils ont des véhicules de fonction d’Etat avec chauffeur, qui sont neufs et bien entretenus. Et tout cela est « normal ». Personne n’est offusqué ni même révolté, mêmes pas les populations qui en sont victimes, puisque c’est « normal ». On peut donc mourir pour des négligences et incompétences humaines ou des irresponsabilités institutionnalisées. A cette allure, nos sorciers devraient se méfier. On pourrait, un jour, les rendre aussi responsables de nos déficits publics, de la mauvaise gestion de l’Etat et de nos administrations et sociétés d’Etat. Après tout, puisque nos sorciers sont à l’origine de tout ce qui ne va pas ou de dramatique, ils pourraient aussi bien être à l’origine de la défaillance de nos gouvernants. Quel que soit la faute, les responsables ne sont pas punis. Alors pourquoi voulons-nous que ça change puisque tous nos drames sont d’origine « surnaturelle » ? Le D.G. de la SOTRA en Cote d’ivoire sera-t-il aussi remercié pour faute grave comme l’a été celui de la RTI ? Ailleurs dans le monde, le ministre des transports aurait déjà démissionné avec son DG. Mais nous sommes en Afrique.
Il paraît que c’est normal d’être incompétent parce que nous sommes en Afrique
Concernant la disgrâce du DG de la RTI, les ivoiriens découvrent enfin, médusés, qu’il est donc possible de remercier un haut dirigeant pour faute grave ? Et de surcroît, quelqu’un qui s’est fortement engagé politiquement pour celui qui le sanctionnera. Mais, est-il vraiment le seul responsable des dysfonctionnements qui lui sont reprochés ? A-t-il vraiment été remercié pour cela ou pour autre chose ? Cela faisait plusieurs décennies que la Côte d’Ivoire n’avait pas vu de « grosses têtes » tomber pour fautes graves et cela était tout à fait « normal ». Qui pouvait le faire ? Le chef de l’Etat ? Le Premier-Ministre ? Le Ministre ? Le D.G. ? Les présidents des assemblées décentralisées ? Non, ils ne pouvaient pas prendre le risque d’exposer publiquement leurs propres défaillances en sanctionnant leurs subordonnés. Non, c’était trop risqué. Et après tout, pourquoi le feraient-ils alors que l’impunité faisait partie de la normalité dans la gestion du pouvoir dans un Etat qui se désagrégeait avec le sourire, depuis une dizaine d’années. Personne n’était responsable de rien. Ah oui, quelques fois, mais juste pour divertir la population. Quelques « petites têtes » tombaient ici et là. Une parodie de justice était organisée pour montrer que l’Etat sévissait, et tout le monde était content. Sauf, bien sûr, ces pauvres « petites têtes » qui ne comprenaient pas pourquoi elles étaient sacrifiées. Les pauvres, personne ne leur avait dit « qu’il fallait très vite devenir très gros, en un temps record, pour éviter d’avoir la tête sacrifiée pour protéger les plus grosses ». De fait, la course à l’en-bon-point devenait la normalité de toute une classe dirigeante et c’était « normal ».
Le mardi 2 Août, la Grande Chancelière de Côte d’ivoire présentait en présence du chef de l’Etat, « la nouvelle politique de la Grande Chancellerie ». Ce fut tout simplement un festival d’incompétences et d’irresponsabilités des organisateurs. Mais il paraît que c’est normal parce que nous sommes en Afrique. En dehors de la cérémonie en elle-même qui était très émouvante et puissante, les prestataires de services, notamment en ce qui concerne la technique et l’organisation générale, n’étaient pas du tout à la hauteur. Nous avons tous pensé « au grand n’importe quoi » de la cérémonie d’investiture du Président ADO à Yamoussoukro. Ils étaient incompétents. Mais là encore, on nous dira que « c’est comme ça, c’est l’Afrique ». Est-ce parce que nous sommes en Afrique que nous devons continuer à fonctionner ainsi en toute impunité ? Personne n’est responsable de rien et c’est « normal », tant qu’on n’est payé pour cela. On s’arrange avec tout le monde pour que chacun se serve dans les budgets prévus pour l’organisation de tel ou tel évènement. Heureusement pour ceux qui s’insurgent contre cette irresponsabilité généralisée, le nouveau pouvoir ivoirien semble enfin décidé à promouvoir la responsabilité et la compétence. Mais, pour cela, il faudrait encore que ces agissements soient reconnus par leurs auteurs comme des fautes graves. Ce qui est loin d’être gagné. Ces habitudes sont si profondément ancrées en nous que leurs auteurs ne comprennent même pas ce qu’on peut bien leur reprocher. Tout le monde agit ainsi et c’est « normal » puisque nous sommes en Afrique.
Macaire Dagry
Chroniqueur Politique à Fraternité Matin
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