Par VINCENT TOHBI IRIE – Source: Lebanco.net
Les nominations dans la nouvelle Armée ivoirienne ont été faites enfin, par décret du Président de la République. Dans les heures qui ont suivi la publication de ces nominations, Human Rights Watch, l’ONG de défense des droits de l’Homme, très attentive au dossier ivoirien, a immédiatement condamné certaines nominations, les considérant comme la récompense de crimes graves commis lors de ce qu’il est convenu d’appeler « La Guerre d’Abidjan et de l’Ouest ». Il s’agit de quelques chefs militaires de la rébellion, les plus en vue.
Quels enseignements et réflexions ces nominations peuvent-elles nous inspirer ?
1-A partir de ce jour, Ouattara et les chefs militaires incriminés n’auront plus la paix. Les accusations de crimes graves les suivront pendant encore longtemps et fonderont les prises de position telle que celle du Sénateur Américain qui s’est insurgé contre l’audience accordée au Président Ouattara à la Maison Blanche. Ces accusations referont surface lorsque débuteront les enquêtes internationales sur les exactions commises en Côte d’Ivoire. Ouattara retrouvera la paix si les chefs militaires accusés sont blanchis par ces enquêtes. Dans le cas contraire, si les accusations sont confirmées et si les accusations conduisent à des pressions internationales fortes, Ouattara écartera avec délicatesse ces chefs militaires de l’administration militaire ivoirienne. Dans les cas extrêmes, comme nous l’avons souligné dans un article la semaine passée, Ouattara fera sauter les verrous de sécurité et les fusibles supérieurs que sont le Général Bakayoko et le Premier Ministre Soro Guillaume, qui étaient respectivement les responsables militaire et civil des forces qui sont allées à l’assaut du régime déchu. Bien sûr, il pourrait en découler dans l’une et l’autre hypothèses, un problème de stabilité et de sécurité pour le pays, si les personnes court-circuitées avaient l’impression d’être mal payées pour leur contribution à l’installation du régime ADO.
2- Dans une certaine mesure, les nominations ont respecté la hiérarchie et la logique militaires. Les hauts responsables FDS, de la Police et de l’Armée, occupent les plus hautes fonctions de l’administration militaire. Ce qui permet de conserver à l’Armée sa tradition de respect et de loyauté aux supérieurs et au pays. Les ex-FDS n’ont donc pas été systématiquement écartés. C’eût été très dangereux. L’Armée dans cette nouvelle structuration conserve une relative apparence de dignité et de sérieux, lorsque ce sont des Commandants, des Colonels, des Généraux de carrière qui occupent les plus hauts postes. Pour comprendre ce qui fonde notre argumentation, il n’y a qu’à comparer la Côte d’Ivoire aux autres pays qui ont subi des rébellions. Dans ces derniers, des civils devenus rebelles ont été bombardés Généraux et Officiers supérieurs, à la tête des plus importantes unités du pays. Ce qui a eu pour conséquence de fragiliser ces armées et de rendre le pays encore plus instable.
3- La plupart des chefs militaires de la rébellion sont nommés Commandants en second d’importantes unités. Il faudra craindre que les Commandants en second ne soient en réalité et dans la gestion quotidienne que les vrais premiers responsables de ces unités, damant le pion aux numéros 1 qui, eux, sont presque tous des ex-FDS. Après tout, ce sont eux qui ont gagné la guerre et la tentation de le faire savoir sera forte, après avoir régné en maîtres absolus dans leurs zones CNO (Centre Nord et Ouest). Jusque-là, ces chefs rebelles rendaient directement compte au Chef d’Etat Major et au Premier Ministre. Vont-ils alors respecter la nouvelle hiérarchie qui voudrait qu’ils reportent à leurs supérieurs immédiats, qui eux parleront aux Commandants de Région ou aux supérieurs, qui à leur tour verront le Chef d’Etat Major qui s’adressera au Ministre de la Défense qui parlera ensuite au Premier Ministre ou au Président ? L’indiscipline pourrait apparaître et les ego surdimensionnés pourraient être un danger si la chaîne de Commandement militaire traditionnelle n’était pas respectée.
4-Le Chef militaire rebelle de la zone de Khorogo est nommé Commandant de la Compagnie Territoriale de cette zone. Ce Commandant est sous sanction des Nations-Unies. Le maintenir à un poste qui le confine à sa zone est une façon de le protéger d’une arrestation quelconque mais aussi de s’assurer qu’il limite ses mouvements en Côte d’Ivoire et à l’étranger afin de ne pas violer les sanctions des Nations-Unies. Il a l’avantage de jouir d’une bonne crédibilité auprès des populations, ce qui pourrait permettre d’ici quelques mois ou quelques années la levée de ses sanctions.
5-L’acte le plus inquiétant des nouvelles nominations est la création des Forces Spéciales dont tous les Commandants étaient des chefs de la rébellion. Les Forces Spéciales pourraient donc être une Armée dans l’Armée. Elles seront constituées de façon évidente des soldats recrutés pendant la crise et qu’il faudra bien recaser. Ces soldats seront fidèles à leurs chefs historiques. Par ailleurs, la Côte d’Ivoire a mauvais souvenir des unités spéciales avec le CECOS. Les forces spéciales avec des missions spéciales sont presque toujours en Afrique, les mieux équipées, les mieux entraînées, les mieux payées. Ce qui en fait un levier important de pouvoir. Cependant, il se peut aussi que Ouattara agisse de façon que les Forces Spéciales n’aient de spéciales que leur nom. Il peut ne leur donner que des attributions marginales qu’il affaiblira progressivement, afin d’en faire une coquille vide. Son souci premier et celui de la Côte d’Ivoire est de ménager ces militaires dans les premières années de son pouvoir, afin d’être au contrôle total. Mais il se détachera peu à peu. Certaines officines diplomatiques pensent que Ouattara n’a aucune confiance aux FRCI (bien que nombre d’entre eux se réclament de lui) et que la nomination de conseillers militaires occidentaux et le maintien de bases militaires étrangères ont pour but d’équilibrer les risques et de se prémunir d’éventuelles sautes d’humeur et des dérapages.
6-Les nominations ne font pas entrevoir ce qu’il adviendra des 11.000 nouveaux soldats à intégrer dans l’Armée. Nous l’avions souligné ailleurs et nous le répétons, si l’intégration et la répartition des nouvelles recrues n’obéissent pas à une certaine rationalité et un équilibre régional, il faudra s’attendre à des tensions ethniques dans l’Armée plus tard.
7- La plupart des Chefs militaires de la rébellion nouvellement promus dans l’Armée nationale sont relativement jeunes. Ils n’ont même pas la cinquantaine. Ils ont lutté pour un idéal mais aussi pour Ouattara. Quel rôle impartial joueront-ils plus tard pendant les élections de 2015 si leur mentor était en difficulté face à d’autres candidats aux élections présidentielles? Posons la question dans un angle plus optimiste : quelle loyauté auront-ils si après ses deux mandats, Ouattara part du pouvoir dans dix ans ? C’est aujourd’hui qu’il faut réfléchir aux problèmes de demain ?
Les commentaires sont fermés.