Seuls des idiots, ontologiquement bornés et fermés aux vertus de la réflexion peuvent appréhender le concept d’aliénation comme radicalement connoté péjorativement, comme indice de domination irrémédiablement paralysante, invalidante de l’individu humain réduit par voie de fait à des conditions d’existence exécrables. Certes, d’émérites théoriciens et penseurs tels que Friedrich HEGEL et Karl MARX l’ ont perçu dans une acception que nous qualifions d’outrancièrement négative puisque le premier, opérant dans le champ social, aliénation signifiant pour lui abandon de soi à une réalité extérieure à soi, refuse violemment cet abandon de soi au social : « Inaliénables sont ces […] déterminations qui constituent ma personne la plus intime et l’essence universelle de la conscience que j’ai de moi, par exemple ma personnalité, ma volonté libre universelle, mon éthique, ma religion » (Philosophie du droit, 1821). L’aliénation se traduit donc par un jugement sans appel : « L’esprit de ce monde réel de la culture », écrit HEGEL à propos de la brillante société aristocratique française du XVIIIe siècle, « constitue cette perversion et cette aliénation (Entfremdung) absolues et universelles de l’effectivité et de la pensée » (Phénoménologie de l’esprit, 1806). Ainsi, l’aliénation est la deuxième étape d’un processus par lequel l’esprit reçoit d’abord de l’extérieur sa détermination et la perd ensuite sans espoir de retour dans un environnement qui est l’étrangeté même.
Quant au second, c’est-à-dire Karl MARX, il se saisit de ce concept en le replaçant dans la perspective des rapports sociaux du travail et de la production : « La division du travail est l’expression économique du caractère social du travail dans le cadre de l’aliénation » (Manuscrits de 1844). Sa doctrine de l’aliénation est en fait une analyse : « L’aliénation de l’ouvrier signifie non seulement que son travail devient un objet, une existence extérieure, mais que son travail existe en dehors de lui […] devient une puissance autonome […] ; que la vie qu’il a prêtée à son objet s’oppose à lui, hostile et étrangère » (le Capital, 1867 pour le premier volume, 1885 et 1894 pour les deuxième et troisième). Dans l’aliénation, la personne disparaît comme telle, de même que les rapports sociaux fondés sur la lutte et l’exploitation ; la distribution du travail reflétant les rapports de propriété est inégale, et la puissance sociale « apparaît à chacun comme une puissance étrangère ». MARX en conclut que « l’action propre de l’homme se transforme pour lui en puissance étrangère, qui s’oppose à lui et l’asservit, au lieu qu’il la domine » (Idéologie allemande, 1845). L’aliénation économique (la lutte des classes) est l’angle d’attaque privilégié de cette analyse de la condition humaine. Elle est évidemment concomitante avec l’aliénation politique (le sujet dans la royauté, par exemple), l’aliénation philosophique (« Jusqu’à présent les philosophes ont interprété le monde ; il s’agit maintenant de le transformer ») et l’aliénation religieuse (« La religion est l’opium du peuple »).
Ces visions contextuelles et même conjoncturelles ont eu un réel effet sur les pensées et productions littéraires, philosophiques de nos intellectuels Africains et Afro-africains qui, à l’époque, formés pour la plupart dans le moule du marxisme-léninisme dans les universités occidentales, ruent dans les brancards contre les puissances occidentales qu’ils considèrent comme les générateurs des maux et calamités qui minent l’Afrique. La colonisation qui suite à sa décapitation avec le vent des indépendances s’est muée en une forme beaucoup plus pernicieuse selon certaines analyses désignée sous le vocable générique de néocolonialisme sont des réalités vivantes de l’histoire humaine symbolisant cet impérialisme délirant et cette volonté de domination endiablée de l’Occident qui pille sans retenue via ses satellites et comparses de dictateurs sans scrupule toutes les ressources du continent. Cet instinct dominateur, à tout accaparer, est une donnée irréfragable de la nature humaine et nous n’avons nullement cette intention présomptueuse d’y apporter des dénégations. Mais nous refusons de nous inscrire dans cette honteuse logique de bouc-émissairisation avec en toile de fond cette velléité suspecte de disculpation complète de l’homme africain de toute charge quant aux récurrents malheurs qui s’acharnent sur lui. Pour une bonne frange de la population ivoirienne intoxiquée au quotidien par les ouailles et caisses de résonnance du ‘’démiurge’’ KOUDOU, la descente aux enfers, l’expression peut-elle convenir, de la Côte d’Ivoire a été pensée, peaufinée et cyniquement exécutée par la France. C’est à croire que la France ne pense, ne vit et ne vibre que pour la Côte d’Ivoire, qu’elle n’existe que parce qu’elle plonge ses racines dans cette sève nourricière que constitue la Côte d’Ivoire. Désopilant, tout ça ! Soyons sérieux ! Arrêtons de nous confiner dans ce structuralisme négatif qui finalement devient un carcan. Pour des hommes intelligents qui se questionnent sur le sens à donner à l’existence, aux évènements heureux ou malheureux qui la meublent, au statut conféré à chaque être par l’Être suprême, aux rapports d’échanges qui se tissent selon un élan naturel entre les peuples qui s’interpénètrent de plus en plus se conditionnant mutuellement doivent pouvoir comprendre que rien ne va de soi dans cette vie. Tout suit un certain ordre qui remonte à l’origine des choses et selon cette loi d’ordonnancement originelle, tous les êtres ne sauraient être logés à la même enseigne. Elle est voulue et participe même de l’harmonie de ce monde. Ainsi avons- nous des forts et des faibles, des maîtres et des esclaves, des riches et des pauvres, des génies et des crétins. Mais soulignons que cet ordre n’est pas rigide, donné une fois pour toutes car peut être sujet à un renversement dialectique par la volonté et l’intelligence qui caractérisent l’homme. C’est là tout l’enseignement à tirer de la dialectique du maître et de l’esclave de HEGEL. Par le travail, l’esclave devient maître tandis que le maître perd sa liberté et devient esclave par le mépris du travail. Par nos attitudes passéistes, nos conduites insensées, cette mentalité prélogique que nous nous évertuons à entretenir, nous sommes en grande partie pourvoyeurs des causes consacrant notre retard sur les autres continents. Ce refus obstiné de s’assumer, de pallier ses insuffisances mentales et comportementales en incriminant de façon infondée l’autre ne fait que catalyser cette décrépitude continue qui va de mal en pis. J’ai été sidéré de voir le 14 juillet dernier, jour de la célébration de la fête de l’indépendance de la République Française, un collègue, de surcroît professeur de philosophie, militant actif du FPI et recruté sur des bases politiques à la fonction publique, demandant ironiquement à un Censeur pourquoi la journée n’avait pas été décrétée fériée, chômée et payée par le Président OUATTARA ; juste pour signifier que la Côte d’Ivoire étant une sous-préfecture de la France selon leur cabalistique logique, il aurait été séant de mettre un bémol à la vie de la Nation pour commémorer cette occasion. De là, on peut imaginer l’endoctrinement dont sont objets nos apprenants dans les salles de classe, les pernicieux calembredaines et affabulations indigestes dont ils sont quotidiennement abreuvés sans véritables moyens de réaction. Dans ce macabre dessein d’instrumentalisation de la jeunesse pour un combat dénué de toute quiddité, le programme officiel de philosophie exécuté dans les classes de terminale littéraire, a été amendé pour y introduire des notions insidieuses telles que ‘’Décoloniser – Désaliéner’’ devant servir de lucarne à des pantins d’enseignants engagés pour la plupart sur des bases ethniques et idéologiques au grand dam des critères de compétence, d’intégrité et de professionnalisme pour tirer à boulets rouges sur les puissances occidentales et ainsi installer dans le psychisme de nos jeunes frères et sœurs de vilains sentiments tels que la haine contre l’étranger, la violence nue et gratuite, un chauvinisme exacerbé. N’en déplaise aux esprits chagrins et sclérosés, être une sous-préfecture de la France, si tant est que cela correspond à la réalité, n’est pas synonyme d’impuissance existentielle, pour tous ceux qui ont une saine intellection des relations internationales et des principes les caractérisant. A soi seul, on ne saurait concilier toutes les qualités, toutes les perfections possibles. Aucun pays dans ce monde ne peut se targuer d’être autonome en absolu au point de se passer de tout commerce et de toute coopération avec d’autres nations. Ces sarcasmes et récriminations de ces socialistes des tropiques en totale rupture avec les réalités de ce monde relève de ressentiments subséquents au refus de la France de se rendre complice de cette idéologie xénophobe ponctuée de crimes odieux dont ils faisaient, avec une réelle volupté, la promotion. Savoir reconnaître ses faiblesses, son talon d’Achille est une qualité à magnifier.
Cet acte inaugural est nécessaire car conditionnant toute recherche de solutions de nature à combler ses espérances. Et, la Côte d’Ivoire étant un pays en voie de développement, a besoin de s’aliéner à des nations prospères comme la France, les Etats-Unis d’Amérique, l’Allemagne…. Il n’est nullement ici question d’un renoncement à soi, à ses valeurs culturelles, sa cosmogonie. La réalité est que le soutien économique, scientifique, technologique de ces pays nous est essentiel pour grandir, prospérer, jouir des délices du progrès. Nous sommes dans un contexte de globalisation et « la chance des cultures africaines n’est pas dans le repli identitaire, c’est-à-dire le renfermement sur elles-mêmes » comme l’affirmait le professeur MUSA SORO David (Cf. De la mondialisation des cultures comme opportunité pour les cultures africaines). Le concept d’aliénation a donc son côté noble, enrichissant ; mieux ennoblissant. Voilà pourquoi ROUSSEAU en fait le socle abyssal de sa théorie politique et sociale. Pour lui, l’aliénation est au fondement même du contrat social : « Les clauses du contrat se réduisent toutes à une seule, l’aliénation totale avec tous ses droits à toute la communauté. Car chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous… L’aliénation se faisant sans réserve, l’union est aussi parfaite qu’elle peut l’être. […] » (Cf. Du contrat social). Il s’agit simplement ici de s’exposer à l’altérité dans un souci d’évolution, de perfectionnement et non de nous faire oublier cette volonté de conservation de nous-mêmes comme s’emploient à le faire croire certains pseudo-intellectuels en mal de gloire. Nous devons nous enorgueillir de cette collaboration avec la France, les Etats-Unis, l’Allemagne… qui nous hissera, pour sûr, dans le giron des grandes nations. La réception des Chefs d’Etat Guinéen, Béninois et Ivoirien par le Président Barack OBAMA le vendredi dernier à la maison Blanche, vues les promesses qui ont faites, augure de lendemains heureux pour notre cher continent. Dans la quête du mieux-être, il n’y a rien de dévalorisant à s’associer à plus fort que soi, à se frotter à lui de manière à s’imprégner des secrets de son succès, de sa prospérité. Le Japon, tout en restant fidèle à ses valeurs traditionnelles multiséculaires a mené avec un art consommé ce dialogue fondateur, cet indispensable commerce entendu comme fusion dialectique avec l’autre, l’occident, particulièrement les Etats-Unis ; ce qui lui aura permis de se former et de se perfectionner, de loger dans sa gibecière des connaissances nouvelles et révolutionnaires aux plans scientifique, technologique au point de s’arroger en ce 21e Siècle finissant, la prestigieuse place de cinquième puissance mondiale. On est immanquablement voué à l’insuccès, à l’appauvrissement en s’enfermant sur soi, en se dressant dans une posture orgueilleuse de rejet systématique de toute assistance émanant de l’autre, de toute main tendue du semblable biologique nous invitant dans le sens vertical d’une coopération victorieuse sur les grands défis du moment. Que ces supposés critiques ou donneurs de leçons qui pensent se poser en s’opposant, en donnant à tout va dans de crétines ratiocinations, en vilipendant cette politique d’ouverture conduite avec maestria par le Président OUATTARA, cette offensive diplomatique visant à restaurer les liens légendaires nous rattachant à certains Etats frères mis à mal par une cohorte d’aventuriers à l’incivilité et au manque d’éducation reconnus de tous qui, il faut rendre grâce au Seigneur, logent aujourd’hui dans la pestilentielle poubelle de l’histoire qui leur sied d’ailleurs à merveille, doivent absolument faire leur mise à jour, selon une expression empruntée au Premier Ministre Français, Monsieur François FILLON. Qu’ils comprennent une fois pour toutes qu’embarqué dans le flux irréversible du temps, le monde évolue et tend davantage à se structurer autour des rapports d’échange, du secours mutuel que les hommes, tirant leur humanéité du sens réflexif qui les singularise, sont censés s’apporter.
Alors, en œuvrant de sorte à raviver et à intensifier nos relations avec la métropole, tâche à laquelle s’adonne avec brio Monsieur le Président de la République, ce n’est nullement brader l’âme de la mère patrie aux forces étrangères et seuls des êtres de mauvaise foi se vautrant dans les rets de l’obscurantisme peuvent le considérer comme tel. Eriger un tel leitmotiv en cheval de bataille, c’est tout simplement faire preuve de réalisme ; c’est également faire preuve d’une compréhension intelligente de l’ipséité de la politique qui, au-delà des considérations égoïstes et égocentriques des acteurs qui l’animent, ne vise quintessentiellement que le bien-être économique et social de l’individu humain. Vous êtes dans la bonne voie, Monsieur le Président ! Continuez ainsi à nous battre le bon tam-tam ! Ne prêtez aucune attention aux jérémiades de ces illuminés, de ces doctrinaires qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez et dont le souhait le plus ardent est de voir ce beau pays réduit à néant ! Dans ce méritoire cheminement dont la fin coïncidera exactement avec le bonheur du peuple ivoirien, soyez certain de l’assistance sans faille de la transcendance car comme le notait Blaise PASCAL, philosophe rationaliste : « (…) il y a cette extrême différence, que la violence n’a qu’un cours borné par l’Ordre de Dieu, qui en conduit les effets à la gloire de la vérité qu’elle attaque, au lieu que la vérité subsiste éternellement, et triomphe enfin de ses ennemis, parce qu’elle est éternelle, et puissante comme Dieu même. » (Cf. Pensées) En dehors de l’homme, il n’y a point d’homme et il n’y a pas d’épanouissement, de liberté véritable sans aliénation initiale.
DIARRA CHEICKH OUMAR
Professeur certifié de philosophie
Lycée moderne I Bondoukou
Doctorant en sciences politiques
E-mail : sekdiasek@gmail.com
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