Malachie. Il n’y a que dans les livres bibliques anciens que vous trouverez un tel nom. Hors du temps et des usages, le nom survit, tout comme le personnage qui le porte. Il diffuse la peur, règle la psychose et teste la résistance spirituelle des gouvernants. Nullement découragé par l’irrationalité de ses prédictions passées, il revient au-devant de la scène politique, avec force. Malachie. Tout un programme politique. Avec ses pairs prophètes, il a promis le paradis sur terre à ses affidés, au premier rang desquels les tenants du pouvoir politique jusqu’en avril 2011. Il a promis la descente des anges et de l’armée du ciel pour protéger le pouvoir moribond et voleur.
Pour une rare fois, le pasteur a eu raison. Les anges sont descendus du ciel, non point pour protéger le couple présidentiel, mais pour faire descendre sur eux et de façon brutale le feu de la géhenne. Nous attendions de petits anges aux corps frêles, avec des ailes blanchâtres et des fléchettes à peine inquiétantes. Nous avons plutôt eu des anges de métal, gros comme des ogres, tout d’alliages fabriqués, qui ont craché le feu de l’enfer et délivré la Côte d’Ivoire de la tyrannie. Malachie revient et remet le couvert. Il promet que les premiers jours d’août, le diable nous renverra au pouvoir ceux que nous redoutons tant. Tout le peuple est pris de panique, y compris ceux qui ne sont pas d’obédience chrétienne. L’œcuménisme se réaffirme dans le paganisme. Tout le monde y croit. Ceux qui feignent de ne pas y croire sont pris de fébrilité et d’agitation révélatrice de leur instabilité. Ceux qui ont perdu leurs illusions dans la chute du régime regagnent espoir. Sentiments contradictoires d’un peuple divisé, aux aspirations diamétralement opposées. Les « dozo », nouveaux maîtres, avec leurs amulettes et leurs esprits censés les protéger jurent que tout cela n’est que balivernes et que plus rien n’arrivera sur cette terre. Ça, c’est le côté officiel. Hors micro, ils invoquent eux aussi l’ordre divin pour les protéger et contrecarrer les prédictions maléfiques. Les « dozo » et les Frci, pris de panique, se préparent à riposter à la réalisation des oracles. Malachie. Du pain béni pour les pillards et les troupes infidèles à la République. La légitimation d’une présence encombrante de soldats d’un autre âge. Des unités en profitent pour semer la terreur, mener des perquisitions sans autorisation dans les domiciles et les villages, arrêter tous ceux qui ne sont pas de leur bord et piller le reste de biens qui avaient échappé aux razzias lors du sac d’Abidjan. Et si Malachie n’était en fait que la survivance de notre peur nationale, de notre paranoïa et de notre schizophrénie sécuritaire ? Si Malachie n’était rien que la dégénérescence des fondements de notre Nation et la symbolique des divisons de ces 12 dernières années ? Comment se peut-il qu’un simple individu proclamé pasteur puisse effrayer tout un peuple et ait réussi, dans un passé récent, à fonder l’obstination d’un couple présidentiel ? Malachie est peut-être aussi le reflet des difficultés à assurer à notre peuple la quiétude et le sentiment de protection. Notre foi en Jésus, en Mahomet, en Boudha, en Lagô, en Gnâmien Kpli, au Dieu d’Abraham et de Jacob est devenue si faible que personne ne cherche dans les Saintes Ecritures les prédictions divines, préférant plutôt les frasques charnelles et intéressées de vils mortels revêtant le manteau de prophètes. Malachie, c’est enfin un appel du pied aux nouveaux dirigeants. Le temps presse, le peuple veut réapprendre à vivre et à rêver, à bouger et à s’occuper, à baigner dans l’insouciance d’antan et à être simplement Ivoirien, avec tout ce que cela sous-entend de bonheur de vivre. Si cela ne lui est pas offert immédiatement, l’Ivoirien sera à la merci des rumeurs et des peurs puériles, des incertitudes rationnelles et irrationnelles. En fin de compte, Malachie sera peut-être une bonne chose pour nous tous et un message clair : « Faites-nous enfin tourner la page ».
Par VINCENT TOHBI IRIE
Source: Fraternité Matin
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