Ce n’est pas du tout politiquement correct… mais le chef de l’Etat n’a pas hésité à se poser en avocat d’un des chefs de guerre les plus controversés de l’exrébellion. Qui lui a montré à plusieurs reprises sa fidélité. Y compris contre Guillaume Soro. Explications.
Le voyage américain d’Alassane Ouattara s’est terminé. Un voyage au cours duquel il aura beaucoup été question, dans ses entretiens avec les médias – il a parlé lors d’une conférence de presse aux Nations Unies et à l’occasion d’interviews avec CNN et l’agence Associated Press –, de la situation désastreuse des droits de l’Homme dans son pays. Une situation soulignée par des rapports récents d’Amnesty International et du Comité pour la protection des journalistes (CPJ). Face à ses interlocuteurs, Ouattara s’est posé en procureur impitoyable en parlant d’Hermann Aboa, qu’il a «chargé» d’une manière si peu habile que la presse qui le soutient n’a pas voulu mettre en exergue son «réquisitoire».
Mais il a aussi montré le visage d’un «avocat défenseur» au service des Dozos qui auraient commis des massacres de masse dans l’Ouest, selon Amnesty International et Human Rights Watch. Des massacres dont Ouattara «affirme ne rien savoir», selon Associated Press. Interrogé sur les accusations d’Amnesty International selon lesquelles Chérif Ousmane serait impliqué dans des exécutions extrajudiciaires à Yopougon, Ouattara s’est posé en bouclier de l’ex-Comzone de Bouaké. «Ça ne peut pas être vrai (…) Chérif Ousmane est l’un de nos meilleurs soldats», a-t-il répondu, affirmant que les soldats servant sous les ordres d’Ousmane sont connus pour être particulièrement bien entraînés et respectueux.
Par la suite, il a ajouté : «Dans tous les cas, si nous découvrons que quelqu’un a commis des atrocités, cette personne sera jugée comme il convient et des sanctions seront prises». Tout en attaquant le rapport de Human Rights Watch, prétendument basé sur le témoignage de «mercenaires» – en réalité il provient notamment d’éléments des FRCI pris de remords. «Un soldat des Frci a décrit l’exécution de 29 détenus au début de mai à l’extérieur de l’immeuble Gesco. Le soldat a déclaré que Chérif Ousmane a donné l’ordre d’exécution. D’autres témoins interrogés par Hrw ont déclaré avoir vu Chérif Ousmane dans un véhicule qui s’est débarrassé du corps torturé et exécuté d’un chef de milice notoire à Koweit, à Yopougon vers le 5 mai», indique en effet le rapport.
Plus profondément, maintenant que Chérif Ousmane a été «blanchi» par le chef de l’Etat himself, quel procureur militaire, quel officier de police judiciaire, quel enquêteur oseront donc lancer des poursuites contre lui, très clairement désigné comme «intouchable» ? La question mérite d’être posée. L’attitude de protection de Ouattara envers Chérif Ousmane pourrait d’ailleurs lui causer ultérieurement quelques problèmes. Si l’envie de «sacrifier » quelques combattants auxquels il tient moins lui prenait, la «jurisprudence» Chérif serait là pour alimenter la colère des concernés…
Pourquoi Ouattara se jette-t-il dans l’arène pour défendre l’image d’un homme aussi controversé que Chérif Ousmane ? Parce que c’est le chef de guerre le plus proche de lui, qui lui a permis de garder une vraie influence au sein des Forces nouvelles après la signature de l’Accord politique de Ouagadougou, qui marquait une forme de rapprochement tactique entre le président Laurent Gbagbo et Guillaume Soro, qui allait devenir Premier ministre. C’était une période de profonde méfiance entre le RDR et «son pipi» [sa créature, ndlr], selon l’expression d’Amadou Soumahoro, alors secrétaire général adjoint du parti ouattariste.
Soldat charismatique quoique déjà soupçonné d’être impliqué dans le massacre des gendarmes et de leurs familles à Bouaké en octobre 2002 et de n’avoir pas fait dans la dentelle dans son combat contre Félix Doh et le MPIGO dans l’ouest, Chérif Ousmane devient le «gardien du temple». Chargé de maintenir la rébellion dans «la bonne voie».
Illustration de cette alliance, le couple Ouattara – qui tient pourtant au mythe de la «séparation» entre RDR et FN – est, en décembre 2007, le témoin du mariage entre Chérif Ousmane et Binta Lamizana, petite-fille du deuxième président de ce qu’on appelait alors la Haute-Volta. Alassane et Dominique ont fait ensemble le voyage de Ouagadougou, où se sont déroulées les épousailles – à l’Hôtel de Ville d’abord, puis à l’Hôtel Azailai Indépendance par la suite. A leurs côtés Chantal Compaoré, et les ministres Sidiki Konaté et Amadou Koné. Mais pas Guillaume Soro, déjà chef du gouvernement et trop occupé à rassurer Gbagbo.
Alors que les Forces nouvelles jouent le jeu de la neutralité, Chérif Ousmane tient à indiquer à tout le monde qu’il demeure un adversaire de Laurent Gbagbo. Et le dit à l’occasion d’une interview dans Jeune Afrique en juin 2008. «Laurent Gbagbo traîne trop de casseroles. Il a l’affaire André Kieffer sur les bras, la mort de Jean Hélène, le bombardement du lycée français, le charnier de Yopougon, etc. C’est Charles Taylor ! Il n’est certainement pas prêt à lâcher le pouvoir et à prendre le risque de redevenir un citoyen comme un autre. Or je suis convaincu que, même s’il l’emporte au premier tour, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié uniront leurs voix pour que ce soit l’un d’eux qui gagne le second tour.Et si les appareils militants n’en décident pas ainsi, les militants le feront pour eux. Moi, jusqu’ici, je n’ai jamais voté : cette fois, j’irai. J’irai voter pour le changement. Et d’ici là, je marche pas à pas vers la paix».
De quoi rassurer le «bravetchê» qui doute. Quand le camp Soro veut faire des gestes en matière de désarmement, il sait que Chérif est là, bien en place, solidement implanté dans le coeur de la base, et qu’il peut «récupérer» le mouvement pour le compte du «mentor». Les proches du Premier ministre s’en ouvrent d’ailleurs à des diplomates ouestafricains, les implorant de demander à Ouattara de «parler» à Chérif…
Alors que la méfiance est de nouveau de mise avec Guillaume Soro, Ouattara est sans doute plus que jamais soucieux de maintenir un rapport privilégié avec Chérif Ousmane, dont les hommes contrôlent le Plateau et font partie du dispositif de sécurité déployé au Palais présidentiel, même s’ils ne sont pas en première ligne. Sait-on jamais ? Une «explication armée» entre les deux têtes de l’exécutif est toujours envisageable.
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