Source: L’Observateur Palga
“Ouattara a gagné, il a gagné… même en annulant les résultats des régions comme l’a fait le président du Conseil constitutionnel, le vainqueur reste toujours M. Alassane Dramane Ouattara”… les résultats annoncés le 2 décembre 2010 par la CEI ne changent donc pas, ce qui confirme que le candidat Ouattara a remporté le scrutin”. La voix est nasillarde, caractéristique de celle des Asiatiques, mais elle est ferme : c’est celle de Choï Young-Jin, le représentant spécial de l’ONU en Côte d’Ivoire, qui, en ce 3 décembre 2010, a décidé de ne pas avaliser la forfaiture du Conseil constitutionnel, dirigé alors par Paul Yao N’Dré.
Un petit flash-back sur le décor postélectoral de cette présidentielle s’impose : 72 heures après le second tour, c’est-à-dire le 1er décembre, Choï et plusieurs ambassadeurs en poste à Abidjan se rendent au siège de la CEI à Cocody pour encourager le maître des lieux, Youssouf Bakayoko, à continuer son travail ; une démarche compréhensible, vu que la veille 30 novembre, le porte-parole de l’institution, Yacouba Bamba, qui s’apprêtait à livrer des résultats partiels, a eu ses feuilles arrachées en mondovision par Pikass, un partisan de Laurent Gbagbo, sous l’argument fallacieux que ces données n’étaient pas consolidées ; une scène qui restera dans les mémoires comme un des mélodrames de cette élection ivoirienne. Le 2 décembre 2010, Youssouf Bakayoko, qui avait envisagé de proclamer les résultats provisoires au QG de l’ONU, se heurtera au refus de Choï :”Ce n’est pas dans les prérogatives de l’ONUCI”, dira-t-il.
Ce sera finalement à l’hôtel du Golf, un lieu pas neutre du tout puisque c’est là qu’étaient assiégés ADO, Soro et Cie. Selon Bakayoko, le champion du RHDP a été crédité de 54,1% tandis que son rival, Laurent Gbagbo, engrangeait 45,9%. Le lendemain 3 décembre, Paul Yao N’Dré apparaît à la télé et inverse les résultats : son ami d’enfance obtient 51,45% et ADO est perdant avec 48,55% avec les votes de sept départements annulés. C’est alors que retentira la voix calme de cet homme affable, originaire du pays au matin calme, pour certifier les résultats de la CEI.
Un choix qui équivaudra à une déclaration de guerre de la part du Gbagboland, qui affublera d’ailleurs Choï du nom de “démon”. En réalité, le Sud-Coréen, dès sa prise de fonction en 2007, s’est rendu compte qu’il allait devoir gérer un grave problème ; l’interminable processus électoral avec ses rebondissements, lequel a toujours avancé grâce au sang-froid et au flair du patron de l’ONUCI. Que ce soit avec le facilitateur, Blaise Compaoré, ou avec les deux camps rivaux, l’homme est resté toujours équidistant, s’en tenant au mandat à lui confié par l’ONU. S’il avait été un boutte-feu, il aurait braqué tout le monde et compromis la sortie de crise. S’il s’était montré trop accommodant, il aurait pu aussi avaliser des impostures. Illustre inconnu à sa nomination, Choï, qui fera ses valises le 31 août 2011, repartira auréolé du qualificatif de héros ; ce qui n’est pas exagéré. Son rôle dans le dénouement de cette crise postélectorale a été déterminante. Il a payé de sa personne au propre comme au figuré la résolution de la question ivoirienne.
Avec le recul, on se rend compte que le Secrétaire général de l’ONU, Banki-Moon, a eu raison d’envoyer son compatriote dans cet imbroglio ivoirien ; car il aurait suffi que ce soit un personnage facilement “manipulable” pour que, de nos jours, la Côte d’Ivoire se débatte encore et soit dans une situation de ni chair ni poisson ou dans la guerre civile. L’ONU a étendu dans la mesure de ses moyens son parapluie protecteur sur les civils et l’hôtel du Golf assiégés par les partisans de Laurent Gbagbo. Un geste qui a épargné le pays, quoiqu’on dise, du syndrome rwandais. On ose espérer que son remplaçant, le Néerlandais Albert Gérard Koenders, qui a une longue expérience dans les affaires internationales, saura assurer le service après-vente et appuyer ADO et son équipe dans cette phase délicate que sont la reconstruction et la réconciliation.
A l’heure où la bataille contre l’insécurité est loin d’être gagnée, au moment où la commission “Dialogue, vérité et réconciliation” est en train de chercher ses marques, l’ONUCI doit être présente pour aider à des retrouvailles sans violences entre les Ivoiriens. Les exilés du Ghana et ex-fidèles de Gbagbo, (1) qui rentrent par petites vagues, ne doivent pas subir d’inquisition à moins qu’il ne soit prouvé qu’ils ont commis des actes délictueux. De même, l’ONUCI, et le remplaçant de Choï devrait le savoir, ne doit pas non plus être frappée de cécité face aux dérives des vainqueurs. Autant dire que Choï part mais le rôle de l’ONUCI ne s’achève pas loin s’en faut. Mission accomplie en tout cas pour le tenace Choï, qui, lorsqu’il survolera la lagune Ebrié en partance pour New-York, ne pourra s’empêcher de faire le parallèle entre la Côte d’Ivoire et la Corée du Sud. Il y a 30 ans de cela, les deux pays étaient économiquement au même niveau.
Maintenant c’est le jour et la nuit entre eux. C’est qu’entre-temps, avant la disparition d’Houphouët-Boigny, le “miracle ivoirien” s’est mué en mirage, et, pire, les héritiers du père de la nation n’ont pas apporté de plus-value au pays, se contentant plutôt d’en dilapider les acquis. A l’inverse, des millions de “Choï”, c’est-à-dire les 49 millions d’âmes attachées au travail bien fait, aimant la discipline, pensant d’abord au pays et non à la richesse personnelle, ont tout simplement réveillé un dragon asiatique : la Corée du Sud.
Notes : (1) : Une fournée de chefs militaires et d’ex-ministres sont encore retournés à Abidjan ce week-end du 30 juillet 2011
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