Nos compatriotes ont l’art des formules chocs, surtout pour décrire des situations politiques. Au temps de la grande insouciance, de notre grande enfance politique, au temps du paradis perdu où tout le monde « il était gentil», « il était bon », vous ne pouviez attirer l’attention des gens sur les risques que courait le pays en raison de la politique hasardeuse qui se menait, des décisions qui mettaient en péril la cohésion sociale. On vous répondait invariablement : « Y aura rien ici ! » Et puis si vous insistiez, donnant les tristes exemples de pays qui avaient sombré dans des guerres fratricides, on vous traitait d’oiseau de mauvais augure, en vous crachant au visage : «Y aura jamais ça ici !» Et les plus spirituels ajoutaient : « Ce pays est béni de Dieu ! La Côte d’Ivoire est la seconde nation du Christ ! » Et « gban ! gban ! gban ! »
Gban-Gban est arrivé, comme ça, un soir où nos enfants s’attendaient à voir le père Noël venir leur offrir des cadeaux. On a passé ça. Et puis, au moment où on nous disait qu’on savait dans quelle boîte de nuit les déserteurs de l’armée ivoirienne allaient bringuer et « djafouller », qu’on connaissait les feux rouges auxquels ils s’arrêtaient et quelle était la couleur de leurs chemises, «assaillant est arrivé » comme ça, et on est resté dans ça pendant huit ans et au moment où on croyait en sortir définitivement par des élections justes et transparentes, le diable est venu encore se défouler et on est tombé dedans encore. Hééé dja! On est sorti un peu, mais… on retient son cœur aujourd’hui surtout quand on entend «c’est pas fini ! c’est pas fini!» Eh Allah ! Quelle affaire ne finit pas sur cette terre là? Donc on n’aura jamais la paix? Et oui, « c’est pas fini!» «Qu’est-ce qui n’est pas fini là-même?» «Palabre n’est pas fini!» «Quel palabre?» «Palabre avec Gbagbo là, c’est pas fini encore. Avec lui, palabre finit jamais. Il est assis à Korhogo, ses gars sont au Ghana, ils vont venir le 1er août. Malachie a dit ça, cette fois-ci avec l’armée céleste et l’éternel des armées pour libérer le pays. C’est après ça que ça va finir.»Han? Eh Gnamien Kpli, c’est quel pays ça où rien ne finit jamais? Et surtout ne riez pas. C’est très, très sérieux, en tout cas c’est pris très au sérieux par certains de nos compatriotes au point qu’ils font des provisions, les plus ingénieux ou mieux nantis envoient des «Western Union» à leurs enfants aux études à l’étranger, où se font envoyer de l’argent pour les mettre sous le matelas parce que c’est pas fini. Mon cousin de Moussa a donc raison de dire «on est fatigué avec wouya wouya de Côte d’Ivoire là! C’est quel pays on peut pas travailler? Y a pas élection, y a la guerre; y a élection, y a la guerre! On est fatigué dans tout ça là!» Donc, «c’est pas fini». Les sms, les mails, les visites, tout bruit de cette ultime délivrance qui va laver la Côte d’Ivoire du sang et des envahisseurs ! Et on le dit avec force, vigueur et foi et on brandit les prophéties révélées du Sieur prophète, l’éclipse du soleil, ce jour où un disque d’or a cerné le soleil, les dates et heures indiquées dans notre récent passé pour des combats épiques, la reprise en main de la situation avec des victoires cinglantes, l’historique résistance du palais malgré l’état de siège et les bombardements ennemis qui n’auraient jamais eu raison du héros sans une lâche coalition de forces étrangères supérieures, etc.
«C’est donc pas fini…» Bien sûr, il ne faut rien négliger, rien sous-estimer, rien mépriser quand il s’agit de la sécurité d’un Etat, de la vie des enfants, des femmes et des hommes. Nous continuons de souffrir des traumatismes de notre trop longue crise dont certains rêvent d’en faire des prolongations, pensant tirer profit d’un retournement de situation. Il ne s’agira pas de dire comme par le passé «Y aura rien!» quand on n’est sûr de rien! Les peuples, même là où règne une relative paix sont en guerre perpétuelle. En guerre contre des attaques terroristes, en guerre contre la drogue, en guerre contre l’insécurité, en guerre contre le chômage, en guerre contre les abus des forces en armes, en guerre contre l’insalubrité, en guerre contre la pauvreté, en guerre contre la maltraitance des femmes et des enfants. En guerre tout simplement! Et surtout
quand il s’agit d’un pays comme la Côte d’Ivoire qui n’est pas encore sortie totalement de guerre, la vigilance se double de prudence. Des centaines de milliers de nos frères sont hors de chez eux, au Liberia, au Ghana, au Bénin, au Togo et les plus nantis en France. Certains en fuite, d’autres parce que leurs villages ont été détruits et d’autres encore parce qu’ils craignent pour leur vie s’ils retournaient chez eux. Des peurs légitimes mais parfois des peurs sans fondement. Des dizaines d’autres Ivoiriens rentrent chez eux sans qu’ils soient égorgés ou éventrés. Des ex-proches de l’ex-président se promènent tranquillement à Abidjan, ils vont dans des bars, des super marchés avec femmes et enfants sans que la mort les fauche. Certes, il y a encore du travail à faire, beaucoup de travail à faire et les autorités s’y emploient, en levant le gel des avoirs de certains ex-barons de l’ex-régime, en maîtrisant davantage la sécurité intérieure, en lançant des travaux d’investissement communautaire, en soignant : l’Etat, avec à sa tête son chef, est au travail. Pour réduire à son plus simple niveau l’insécurité, le chômage, la pauvreté, la misère, pour remettre la Côte d’Ivoire à l’endroit, à sa place, à la tête, parmi les premiers de sa classe et tirer au sommet. Alors, qu’est-ce qui donc n’est pas fini? Le mensonge? Aller au travail à 11h pour en revenir à 13h? Regarder les routes se couper, se crevasser, les hôpitaux se transformer en mouroirs, la Fesci terroriser les Ivoiriens et les grosses caisses nous narguer dans cet océan de misère? Certes, subsistent encore les avatars de la crise armée. Une horde de jeunes gens en armes qui rackettent, terrorisent, braquent, occupent illégalement des hôtels ou des résidences d’honnêtes citoyens et opérateurs économiques. A ces voyous-là, l’Etat doit opposer la vigueur des lois : ils doivent être traités comme tels et les autorités le font sans ménagement. Donc, tout doit finir, lentement, doucement, tranquillement, patiemment. Il faut que tout finisse, parce que les Ivoiriens ont droit au repos, à la paix, à l’amour. Ils ont droit au sommeil doux, profond et prolongé, sans coup de canon, sans coup de hache à leurs portes. Oui, les Ivoiriens ont droit au bonheur et ils l’auront avec Alassane Ouattara. Donc, c’est fini maintenant !
par MAURICE BANDAMAN (*)
Fraternité Matin
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