Source: Notre Voie
En décrétant le gel des avoirs des pro-Gbagbo, le régime Ouattara a libéré toutes les mauvaises énergies autour de ces restrictions bancaires. Il s’est constitué dans le voisinage du procureur Simplice Koffi Kouadio ; du ministre d’Etat, ministre de la Justice, Jeannot Ahoussou et dans les principales banques du pays, une foule d’intermédiaires en réseau pour proposer aux victimes leurs services.
L’affaire est invraisemblable mais authentique. Il y a quelque temps, un colonel de l’armée ivoirienne (ex-FDS), a été approché par un ami haut placé dans le milieu judiciaire, RHDP notoirement connu. « Cher frère, il y a une liste à sortir de personnes dont les avoirs sont gelés. Ton nom est dessus. Je suis prêt à intervenir en ta faveur, mais cela a un coût… ». L’officier des FDS s’est entendu proposer un service de sauvetage par son ami moyennant contrepartie sonnante et trébuchante. Le colonel a accepté le service mais avant de payer, il s’en est ouvert à un autre ami RHDP, haut placé, lui aussi. « C’est faux ! Il n’y a aucune nouvelle liste actuellement… ». Le colonel a été sauvé in-extrémis d’une escroquerie. Mais combien sont-elles, les personnes à avoir eu la chance du Colonel ? Très peu. Puisqu’ils sont nombreux, ceux qui ont été grugés. Et les témoignages des rescapés sont édifiants. Ainsi, récemment, l’épouse d’un cadre pro-Gbagbo en exil a été contactée par un de ces rabatteurs qui peuplent l’allée des « professionnels » du dégel des comptes. La rançon exigée pour le déblocage du compte de son époux a été de 50 millions FCFA. Problème. L’escroc et son réseau ne savaient pas que le compte gelé ne comportait nullement autant d’argent !
Selon nos informations, cette activité d’escroquerie a commencé à prospérer avec les rajouts de listes de propriétaires de comptes à geler, opéré sans la moindre vérification. On en est arrivé à des aberrations dont certaines ont été rapportées par le ministre d’Etat, ministre de la Justice, Jeannot Ahoussou, lui-même. Gel de comptes sur lesquels il n’y avait aucun fonds ; gel de comptes sur dénonciations d’opérations normales pour les activités des détenteurs ; gel de comptes appartenant à des personnes qui n’ont rien à voir avec Gbagbo, les seuls véritables cibles politiques (le gel a même touché, dans certains cas, d’authentiques militants du RDR) ; enfin, gel de comptes de personnes déjà assassinées comme ce fut le cas du colonel Nathanaël Ahouman Brouha. Du coup, la frénésie qui s’est emparée des acteurs de ce dossier s’expliquerait également par leurs intérêts privés. Le gel des avoirs est ainsi devenu un « mangement » pour tout ce monde. C’est une banale opération d’escroquerie menée par des escrocs essaimés dans la haute administration et le secteur bancaire. Cette opération prend même des allures de guet-apens avec l’arrestation du journaliste de la télévision nationale (Rti), Hermann Aboa, qui attiré par la possibilité à lui offerte d’exercer un recours gracieux auprès du parquet, s’est fait arrêter.
Face à ce phénomène, le gouvernement Ouattara aurait été bien inspiré de regarder de plus près le déroulement de cette opération et revenir sur le gel systématique et collectif des comptes. Il aurait pu alors procéder au dégel de tous les comptes bloqués dans les conditions arbitraires rappelées, l’ouverture et la tenue de comptes bancaires relevant de contrats privés entre la banque et ses clients. Toutes les restrictions sur les comptes privés sont normalement encadrées par la loi et la réglementation.
Certes, même si le Conseil des ministres du gouvernement de Ouattara tenu à Yamoussoukro ayant pris la décision du dégel des avoirs d’une trentaine de personnes sur près de 300 victimes, l’on aurait pu penser que la sagesse commence à gagner du terrain, tant le gel des avoirs décidé à tout vent était sans aucun fondement juridique. Mais, il est navrant de constater que le ministre Jeannot Ahoussou et le gouvernement dans leurs explications s’enfoncent davantage dans une fuite en avant sans issue. En effet, selon le ministre, les décisions de gel ont été prises en reprenant les listes de l’UE. Mais la Côte d’Ivoire n’est pas membre de l’UE, de sorte qu’avant l’avènement de Ouattara, les listes de l’UE n’ont pu produire aucun effet en Côte d’Ivoire. Ensuite, Jeannot Ahoussou nous dit que le gel concerne des personnes nommées par Gbagbo après le 4 décembre 2010 et celles que ces dernières ont nommées par arrêtés. Enfin, il concerne une liste établie à partir de dénonciations, de personnes ayant effectué de gros retraits successifs au cours des mois de janvier et février 2011 ou de personnes soupçonnées d’être des proches ou des amis des proches de Gbagbo. Ainsi, le ministre affirme que les comptes de personnes qui ont pu démontrer qu’elles n’ont rien à voir avec Gbagbo ou qu’elles n’avaient nullement l’intention de se soustraire de l’autorité de Ouattara ou de son Premier ministre, ont vu leurs comptes débloqués.
Du coup, le ministre Jeannot Ahoussou confirme que le gel des avoirs des pro-Gbagbo ne s’inscrit dans une procédure judiciaire pour éclairer une présomption de malversations ou de détournements de fonds publics, mais vise plutôt à priver de ressources des adversaires politiques. Le ministre n’évoque aucune procédure pouvant justifier un gel des avoirs et qui serait limitée dans le temps. De plus, si la préoccupation du gel des avoirs était la recherche de malversations, il aurait pu couvrir la période antérieure au 4 décembre 2010. Mais cette période a été sautée, visiblement pour protéger les ministres et cadres RHDP des gouvernements antérieurs. En réalité le gel des avoirs est un instrument de répression et de chantage politique. La justice est ainsi honteusement instrumentalisée. C’est cette cynique escroquerie politique inventée pour réprimer les opposants qui incite les malfrats qui se greffent sur l’opération pour, à leur tour, et escroquer impunément les détenteurs des comptes gelés. Peut-être, certaines victimes ont-elles déjà été grugées, alourdissant ainsi leur souffrance. L’avenir nous le dira.
César Etou
cesaretou2002@yahoo.fr
Les commentaires sont fermés.