stade-rennais-online.com par Duhault –
Un œil dans le rétro. Pour les moins de vingt ans, Saliou Lassissi est généralement un illustre inconnu. Défenseur promis à un bel avenir, c’est une satanée blessure qui l’a emporté loin de la connaissance et de la reconnaissance du football. Lassissi ou l’histoire d’un international ivoirien au talent certain, au charisme débordant et au franc-parler qui a toujours su défendre ses intérêts personnels – parfois au prix de sa carrière professionnelle -, le destin d’un joueur trop méconnu qui sans cette blessure aurait eu un parcours tout autre.
Lassissi, l’élu naturel
Il y a des destins parfois cruels et Saliou Lassissi est rentré (bien malgré lui) dans cette catégorie. C’est en 1993 que Lassissi frappe à la porte de l’école technique privée Odorico, le centre de formation de Rennes, en provenance de Kani. Il arrive avec un statut de grand espoir qui lui est affublé d’entrée. Ce fils d’une famille de comptable peaufine son apprentissage dans l’équipe réserve du club pendant trois années. En 1996, le jour de la fête nationale, « Toupé » débute en équipe première, en Coupe Intertoto, contre le Segesta Sisak (2-1), un mois avant qu’il n’atteigne la majorité. Cette grande carcasse d’un mètre quatre-vingt-cinq, au physique de déménageur, s’impose au cours de cette saison en réalisant des matchs solides en charnière centrale ou au milieu de terrain, juste devant la défense.
Longtemps mis sous couveuse, Lassissi bouscule le duo expérimenté composé de François Denis et Corneliu Papură dès la saison 1996-1997, mais reconnaît que tout ne fut pas simple au départ : « Ce n’était pas facile parce que je n’avais pas joué auparavant dans un club en Côte d’Ivoire. Il fallait apprendre les bases, le footing… J’ai appris pendant deux ou trois ans. Grâce au bon Dieu, j’ai pu intégrer le groupe professionnel. J’ai fais mon premier match et tout le monde a aimé ».
Le protégé d’Yves Colleu se révèle un soir de novembre contre Auxerre (1-0, but de Stéphane Guivarc’h) en muselant ce qui se fait peut-être de mieux dans le championnat français, voire en Europe à ce moment-là (le trio composé de Bernard Diomède, Lilian Laslandes et Steve Marlet). Fougueux, il se permet même une petite fantaisie sur une action dans sa propre surface de réparation, longeant toute sa ligne de but balle au pied, sous l’œil médusé du public breton et de Steve Marlet, lequel est toujours en train de lui courir derrière… Naturellement, sa réputation franchit les frontières, plus particulièrement celles de l’Italie, dont les clubs sont alors très friands des stars montantes du football français (Rennes en saura quelque chose plus tard, avec Ousmane Dabo et Mikaël Silvestre). En cette saison pré-Coupe du monde 1998, la progression de Lassissi est (déjà) perturbée par de « petites » blessures, et par une convocation avec les Éléphants de la Côte d’Ivoire pour la Coupe d’Afrique des nations [1].
Se battant constamment dans les bas-fonds de la première division, Rennes ne peut conserver très longtemps sa pépite ivoirienne, courtisée par le gratin transalpin. C’est à Parme que son histoire continue, un choix dicté par son insouciance et sa soif de réussir, sachant qu’il doit y cohabiter avec Fabio Cannavaro et Lilian Thuram. Après un seul match disputé avec les Parmesans, il est prêté à la Sampdoria de Gênes. Saliou se fait alors un nom en Série A, en étant un titulaire assidu de la défense de la « Samp », sans éviter néanmoins la relégation [2]. L’Ivoirien revient de nouveau chez les Gialloblù de Parme, récents vainqueurs de la Coupe UEFA face à l’Olympique de Marseille. « Le club de Parme a vu que j’étais le patron de la défense de cette équipe. Tout le monde s’intéressait à moi. La presse surtout », déclare Lassissi quelques années plus tard. Les prémices d’une stabilisation ?
Divorce à l’italienne
Sa deuxième saison à Parme est plus satisfaisante (19 matchs), mais n’étant pas considéré à sa juste valeur, Lassissi part à la Fiorentina où il inaugure son palmarès en gagnant la Coupe d’Italie en battant… Parme en finale (1-0, 1-1). Un passage et un succès qui lui ouvre aussi l’admiration d’un entraîneur de renom, Fabio Capello. Être le choix numéro un d’un tel technicien ne laisse pas insensible, surtout quand il souhaite faire de vous le successeur désigné sur le long terme du Brésilien Aldair. Les yeux fermés, Lassissi signe pour trois ans à l’AS Rome, avec un salaire mensuel supérieur à 100 000 euros, sans imaginer un seul instant que sa carrière prendra une mauvaise tournure quelques jours après.
Dans le fond, que pouvait-il arriver à Lassissi ? Désiré, évoluant dans l’un des clubs italiens faisant partie du gratin européen, sa carrière prend enfin une voie montante. Mais celle-ci se brise le 7 août 2001 lors d’un match amical contre Boca Juniors (3-1). Cinq petites minutes après être rentré en jeu en seconde période, l’Africain ne se relèvera jamais du tacle de ce diable d’Antonio Barijho. Le diagnostic fait froid dans le dos, avec une double fracture tibia-péroné plus un traumatisme au nerf sciatique [3]. « Je me réveille comme un clochard, je ne dors qu’une demi-heure par nuit. J’ai peur de ne pas guérir », évoque Lassissi auprès d’un média italien en octobre 2001, pour expliquer son nouveau mode de vie. Pendant une année, le quotidien de Lassissi se résume à sa rééducation, mais c’est un autre combat qui l’attend dès son retour dans l’effectif de Capello.
Non rémunéré depuis des mois, Lassissi ne se laisse pas faire (loin s’en faut) et demande des explications à son président, le magnat du pétrole Franco Sensi. Cette attitude lui vaut d’être écarté du groupe professionnel de la Roma, au dam de Capello, et le prive de toute porte de sortie. Lassissi réplique en assignant son employeur en justice, puis en demandant à l’UEFA de ne pas délivrer de licence européenne à « son » club, passeport obligatoire pour disputer une coupe d’Europe.
Frustré sur le plan sportif, Lassissi obtient gain de cause auprès du collège arbitral de la Ligue professionnelle italienne et Sensi est contraint de lui verser près de trois millions d’euros de dommages et intérêts. En trois ans, « Toupé » ne joue qu’un seul match officiel, et encore, sous les couleurs de la Côte d’Ivoire, appelé par Robert Nouzaret pour un match amical contre Nantes en octobre 2003. Ce sera sa dernière apparition avec les Éléphants. Pourtant, d’après les avis médicaux, il est apte à jouer, mais Sensi exige de ne pas voir Lassissi porter le maillot de la Roma. Juin 2004, en fin de contrat avec l’AS Rome, il est libre de s’engager où il le souhaite. Enfin, pense t-on alors.
Choix de vie
Fort de son pactole et certainement fatigué par son long procès, Lassissi n’a plus « la tête au football » comme il l’explique ensuite si bien dans La Dépêche d’Abidjan : « Après, ça n’a plus suivi derrière, à cause de cette blessure. Elle a tout freiné et je me suis retrouvé loin des terrains. C’est ainsi que j’ai opté pour quelque chose qui n’était pas très bien, le show, l’amusement à Paris et Abidjan ».
Un test non concluant à Bastia à l’hiver 2004, et un passage éphémère à Nancy entre juin 2005 et janvier 2006, pour ce qui reste son dernier club professionnel, alors qu’il avait signé au départ un contrat de deux ans. Par la suite, Lassissi retrouve son pays d’origine en apportant son savoir au RFC Daoukro (janvier 2006 – juin 2007). Ses derniers pas sur un terrain de footbal se feront lors de deux intermèdes anonymes à Bellinzona (Suisse, juin 2007 – novembre 2007) et à l’Entente Sannois-Saint-Gratien (novembre 2007 – juin 2008), club dans lequel il a remplit un rôle de guide auprès des jeunes. Pas la carrière rêvée, loin de celle qui lui était en tout cas promise à ses débuts.
Homme de foi, le natif des quartiers de Macory sait que son destin aurait pu être tout autre. « Ma carrière a été bien mais il faut reconnaître qu’elle n’a pas été comme je le voulais, relate t-il. Je ne regrette rien parce que j’ai connu de bons moments. Dieu merci, j’ai bien gagné ma vie. […] Tu peux gagner tout ce que tu veux au football, même la Coupe du monde, mais si derrière, tu ne réalises rien et tu joues les fous, c’est le déluge ».
Un déluge qu’il a aussi connu en raison de son caractère bien trempé. En janvier 2000, Lassissi est exclu de la sélection ivoirienne juste avant la Coupe d’Afrique des nations. Il est alors coupable d’avoir donné un coup de tête à Blaise Kouassi (Alexander Frei doit encore se souvenir de l’ancien guingampais et de ses crampons sur le visage) pour une… mauvaise passe lors d’un entraînement. N’admettant pas les remontrances de son sélectionneur, il le lui dit et Gbonké Tia Martin le renvoie illico presto à la maison. Six ans plus tard, c’est une affaire de violence dans une boîte de nuit qui vient brouiller son image.
Comme footballeur, reste l’immense talent qu’il était et qui en fait à l’heure d’aujourd’hui le meilleur défenseur central jamais formé au Stade rennais. Dernièrement, Lassissi est également revenu dans la lumière pour l’hommage rendu à Rennes à son ami et compatriote Laurent Pokou. L’étoile ivoirienne n’est plus, mais elle brille toujours pour les jeunes ivoiriens (surtout ceux de son quartier de Macory), puisque Lassissi est reconnu là-bas à sa juste dimension, celle qui fut la sienne dans le passé.
Quant aux moins de vingt ans, ils savent maintenant qui est Saliou Lassissi.
Notes
[1] Les Ivoiriens seront éliminés en quarts de finale par l’Égypte (0-0, 4-5 aux t.a.b.)
[2] Durant cette saison, quatre entraîneurs se succèderont sur le banc gênois, dont Luciano Spaletti par deux fois.
[3] Après cette blessure, Lassissi sera dans l’impossibilité de jouer en hiver.
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