La vie a repris dans les casernes des forces armées à Abidjan après la crise postélectorale.
La nouvelle armée se dessine et les grands chefs affichent en public l’harmonie. Mais qu’en est-il de la cohésion au sein des troupes ? Nous avons fait le tour des camps militaires pour toucher du doigt les réalités. Reportage.
L’humeur est joyeuse, ce jeudi 21 juillet 2011 à l’escadron commando parachutiste d’Abobo. Il est 7h30 mn, quand nous franchisons le portail gardé par des commandos. A l’intérieur, des soldats se figent au garde à vous les uns en face des autres. Locataires du camp et visiteurs se côtoient dans une indifférence totale. La cour est bruyante. Mais nous sommes frappés par la vétusté des bâtiments, sans doute aggravés par les impacts des combats qui s’y sont déroulés. Les deux principaux bâtiments sont rongés par l’humidité et la moisissure.
Mais en dépit de cet état de dégradation avancée, la vie continue en ce lieu. On peut donc voir certains occupants perchés au balcon ou aux fenêtres de ces bâtiments insalubres.
Dans la cour, un groupuscule de soldats échangent sur diverses questions. Nous nous approchons de l’un d’entre eux et le saluons. Il nous accueille d’un air détendu. Sa disponibilité nous encourage à lui demander « comment ça va ici ?». L’homme en tenue nous répond que les choses se passent pour le mieux. « L’ambiance est bonne ici entre nous, il n’y a aucun problème au niveau de la cohabitation », s’étend t-il. Nous lui faisons pourtant comprendre que dehors on dit que l’ambiance n’est pas bonne entre les anciens et les nouveaux. « C’est faux, on ne fait pas de différence ici entre ancien et nouveaux, tous les éléments se respectent », contredit vigoureusement l’élément, qui invite aussitôt un camarade d’arme passant par là à prendre part à la discussion. Ce dernier, un ancien, qui se présente à nous comme étant un officier de troupe, confirme les allégations de son subalterne. «N’écoutez pas ce que les gens racontent dehors, ce sont des diviseurs», lance t-il sans s’arrêter.
Les éléments de l’ancienne armée à l’aise
Seulement, l’élément qui nous renseigne a un souci : les salaires. Il nous révèle que les nouveaux éléments intégrés dans la nouvelle armée ne perçoivent pas encore de salaire. Ce qui a été soutenu par beaucoup d’autres éléments de ce camp avec qui nous avons échangé. Mais, il espère tous que les « patrons » penseront à eux. Nous prenons congé de nos interlocuteurs, car nous sommes pressés d’arriver à la compagnie républicaine de sécurité 1 (CRS) de Williasmville.
Mais sur le chemin, nous marquons un arrêt à la brigade de gendarmerie de cette commune.
A l’intérieur, les forces républicaines sont bien présentes. A proximité du foyer de la gendarmerie, décoiffé et hors d’usage, nous apercevons une cinquantaine d’éléments en plein entrainement. Un peu plus loin dans l’enceinte de la brigade, des « gendarmes » devisent tranquillement. Mais là, le décor est un peu plus désordonné, car à l’intérieur on y voit des étales de marchands de produits divers, notamment des bagues et des amulettes réputés magiques. Nous échangeons avec le Lt L.K, un ancien de la maison. « Vous voyez bien qu’aucun bâtiment ne tient ici mais on travaille quand même dedans. Ici, il y a aucune animosité entre les éléments. Notre souci c’est beaucoup plus les conditions de travail qui sont difficiles», explique l’officier. Il appelle à ses côtés, une jeune recrue qui soutient, sourire aux lèvres, la bonne ambiance. Mais cette dernière ne se gène pas aussi à poser le problème d’émoluments. « Aujourd’hui, c’est la galère pour nous. Les anciens continuent de percevoir leurs salaires et nous, on attend», renchérit-elle, en tapotant son aîné de collègue. Mais la jeune recrue ne cache pas son bonheur d’appartenir aux Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI). Comme les précédents, elle reste convaincue que les choses ne resteront plus longtemps ainsi.
Notre prochaine étape est la caserne de la compagnie républicaine de sécurité 1 de Williasmville, qui n’est plus qu’une cité fantôme. En effet, les casernes militaires ont connu des fortunes diverses en fonction de ce qu’elles ont été ou non le théâtre d’affrontements. « Vous savez ce qui s’est passé ici, vous savez bien comment nous avons pris le contrôle de ce camp», rappelle Bamba. I, un élément de la nouvelle armée, pour justifier l’état des lieux.
Nous venions de constater dans l’arrière-cour, l’ampleur des dégâts causés par les affrontements.
Les nouveaux broient du noir
Plusieurs bâtiments qui servaient de logements aux policiers de cette écurie sont détruits.
Mais on y trouve présence de vie. Car une poignée de familles est revenue sur les lieux.
Mais en l’absence du Commandant Ouattara, patron du camp, les « rescapés » se gardent de se prononcer sur leur situation. Ils nous font savoir simplement que tout va bien. « On attend seulement qu’on réhabilite ces bâtiments pour effacer les traces de ce qui s’est passé», plaide l’épouse d’un ancien policier. En sortant de-là, nous passons par le Mess des Crs, et nous apercevoir au fonds du bâtiment désaffecté, un tas de casques abandonnés.
Ces outils de protection de la police semblent n’avoir plus servi depuis longtemps. Nous constatons que beaucoup d’éléments de cette compagnie, se pavanent dehors kalaches en main. D’autres ont tout simplement pris place dans les kiosques à café aux alentours en train de deviser. Quand nous tendons l’oreille, nous nous rendons compte que beaucoup s’interrogent sur leur avenir. Leur intégration dans la nouvelle armée. Mais aucun d’eux ne s’ouvrira ouvertement à nous. Ici, comme aux camps commando d’Abobo, les prouesses de la guerre ne sont plus au centre des discussions. Le véritable débat reste la survie et l’avenir.
Au bout d’une trentaine de minutes passées sur les lieux, nous nous dirigeons vers le plus grand camp de gendarmerie de Côte d’Ivoire. Contrairement au constat dans nos escales précédentes, Agban ne porte pas d’impact visible de guerre. A l’intérieur, le décor est rassurant. Les bâtiments ont fière allure et sont occupés par de nombreuses familles qui y mènent une vie normale. Les visiteurs entrent et sortent. Des femmes vont et reviennent du marché ou de diverses courses. Les forces ont des tenus moins hybrides qu’ailleurs. On y sent l’harmonie et même le confort.
Dans cette vaste caserne, nous nous rendons à la brigade routière ; où un gendarme qui a requis l’anonymat nous rassure : « Le travail a repris comme avant. Il y a pas de problème particulier dans ce camp sauf qu’on attend encore des collègues qui ont dû partir à un moment avec leur famille». Le gendarme, la cinquantaine révolue, ne nous en dira pas plus sur ce sujet, visiblement sensible. Mais, un regard circulaire nous permet de nous rendre compte que la promenade dans le camp a ses limites pour le visiteur.
Lorsque nous levons le camp, c’est pour atterrir au premier bataillon blindé d’infanterie d’Akouédo. Le poste de police à l’entrée de ce camp, est tenu par quatre soldats de l’Onuci.
A l’intérieur, c’est la désolation. Les bombardements ont réduit en ruine les bâtiments. Sur les murs, on peut lire les écriteaux suivants : « Ce n’est pas au moment où se présente l’ennemi qu’il faut penser à forger les armes pour le combattre. C’est dès maintenant qu’il faut affûter celles dont nous disposons », un extrait de la doctrine d’emploi des ex-Fanci, sans doute. La poudrière n’est plus qu’un tas de gravats. Des chaussures et les vêtements usés parsèment les décombres. Et les bâtiments éventrés laissent rentrer des enfants qui s’y aventurent. Certains que nous avons rencontrés collectent de la ferraille pour la revendre. Dans leur main, on peut voir des balles de fusil ramassées dans la cour. Ces mômes insouciants ne savent pas qu’ils sont en train de jouer avec des engins de mort.
Un peu plus en retrait, il y a des bâtiments épargnés par les frappes de la Licorne et de l’Onuci. Les bâtiments de la musique des ex-Fanci et le Mess mixte, constituent la ligne de démarcation. Au fonds, plusieurs bâtiments sont restés intacts, dont celui de la SOA. Mais, on y note dans cette morosité, une base de soldats de l’Onuci et quelques éléments des Frci. Nous ne trouverons pas sur les lieux d’interlocuteurs.
Dans l’attente de meilleures conditions
C’est avec un pincement au cœur que nous quittons ce « cimetière » pour l’Etat-major des forces armées des forces républicaines. En ce lieu, c’est le décor est habituel. Pas de trace de combat. Tous les services de l’Etat-major fonctionnent normalement. Anciens et nouveaux occupants ne forment plus qu’un. « Je suis de la vieille armée, mais tout se passe bien ici», nous explique un élément sur la tenue duquel nous lisons Beugré. A en croire ce dernier, l’ambiance y est bonne entre les forces républicaines. Une affirmation confirmée par Bamba Issa et Koné Adama, deux éléments en faction devant le Mess que nous avons rencontrés. « Les anciens nous apprennent parfois comment se tenir. S’ils le font, c’est qu’ils n’ont aucun problème avec nous», rapportent-ils. Mais à l’Etat-major, les nouveaux supportent difficilement les taquineries des anciens, qui les narguent chaque fin du mois lorsqu’ils perçoivent leurs soldes. C’est que les ex-Fds perçoivent leur salaire alors que ceux qui ont combattu la « bonne cause » broient du noir. Un élément nous a même rapporté l’humiliation qu’il a subie face à sa famille, récemment, parce qu’il était incapable d’honorer une ordonnance médicale de 5.000 FCFA de son enfant malade. « C’est difficile d’expliquer notre situation à nos parents qui ne comprennent pas que les ministres, et les fonctionnaires soient payés et que nous qui avons combattu manquons du minimum», se désole Koné.
Le vendredi 22 juillet, nous poursuivons notre visite des casernes à la la compagnie républicaine de sécurité de Treichville, à la brigade anti-émeute de Yopougon, au camp commando de Koumassi, et à la base navale de Locodjro où a eu lieu les derniers combats de pacification de la capitale économique. L’ambiance, partout où nous sommes passés, est bonne. La vie a repris normalement et anciens et nouveaux éléments des Forces républicaines cohabitent pacifiquement.
Alexandre Lebel Ilboudo (Photos ALI)
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