Armée ivoirienne: revue de troupes

Par André Silver Konan Source: Jeune-Afrique

L’intégration des ex-FDS de Gbagbo au sein des Forces républicaines de Côte d’Ivoire de Ouattara est en préparation. Commandement, effectif, appellation, budget… Tout est à revoir.

Le jeudi 17 mars 2011 restera-t-il une date clé dans l’histoire de l’armée ivoirienne ? Ce jour-là, une ordonnance d’Alassane Ouattara, alors claquemuré au Golf Hôtel, donne naissance aux Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI). Objectif : fusionner les deux armées ennemies, les Forces armées des Forces nouvelles (FAFN, ex-rebelles) et les transfuges des Forces de défense et de sécurité (FDS, pro-Gbagbo). Le président élu annonce que cette nouvelle entité sera « dirigée par un chef d’état-major général, secondé par un chef d’état-major général adjoint ». La machine paraît bien huilée, la stratégie est payante. Onze jours plus tard, l’offensive sur Abidjan est lancée, et, le 11 avril, Laurent Gbagbo tombe.

Mais très vite la sinistre réputation des éléments pro-Gbagbo s’étend aux FRCI, en réalité composées à 99 % d’ex-FAFN, malgré le ralliement de plusieurs soldats et officiers des FDS. Violation des droits de l’homme, exactions à caractère ethnique, exécutions sommaires… Autant de crimes dénoncés par Amnesty International, Human Rights Watch ou la commission d’enquête de l’ONU. « Le problème des FRCI est qu’elles fonctionnent sur le modèle des FAFN. À Abidjan comme à l’intérieur du pays, chaque commandant autoproclamé est le président de son secteur. Il n’obéit pas toujours aux ordres de la hiérarchie… quand ceux-ci lui parviennent », explique un officier supérieur des ex-FDS.

Retour à l’orthodoxie

Les nominations au sein de l’état-major, le 6 juillet, ne sont que les prémices d’une refonte de l’armée qui est loin d’être achevée. En juin, un séminaire réunissant tous les galonnés, à Grand-Bassam, a toutefois permis de fixer les grandes lignes de la chaîne de commandement au sein des forces de sécurité : la police doit être commandée par un directeur général, la gendarmerie par un commandant supérieur et l’armée par un chef d’état-major. Les trois corps doivent être autonomes. La police et la gendarmerie seront placées sous l’autorité d’un ministre chargé de la Sécurité, et l’armée sous celle du ministre de la Défense. « C’est le retour à l’orthodoxie », précise le capitaine Raoul Alla Kouakou, porte-parole militaire du Premier ministre et ministre de la Défense, Guillaume Soro.

Autre inconnue : le nom de la future armée. « De nombreux officiers sont favorables à l’appellation originelle, à savoir les Fanci [Forces armées nationales de Côte d’Ivoire, NDLR] », indique un ancien des FAFN. Quid des ressources ? Le montant inscrit au budget du ministère de la Défense s’élève à 152 milliards de F CFA (231,7 millions d’euros). La note est payée par l’État et par « des appuis extérieurs, notamment la Banque mondiale, dans le cadre d’un programme d’appui postconflit, les Nations unies et l’Union européenne », confie Paul Koffi Koffi, ministre délégué à la Défense.

Redressement des grades

L’effectif aussi est à définir. Les ex-FDS comptaient 17 000 gendarmes, 13 000 militaires et 19 000 policiers, auxquels il convient d’ajouter les 10 000 supplétifs recrutés par le régime Gbagbo. Le quatrième accord complémentaire de Ouagadougou, signé le 22 décembre 2008 par Laurent Gbagbo et Guillaume Soro, prévoyait l’entrée dans l’armée de 5 000 membres des FAFN, et de 4 000 autres dans la gendarmerie et la police. Au terme du séminaire de Grand-Bassam, les chiffres ont été revus à la hausse : en plus des 13 000 militaires des ex-FDS – systématiquement reversés dans la nouvelle armée –, 8 700 éléments issus de l’ex-rébellion, ainsi que 2 300 volontaires – comprenant aussi bien des miliciens pro-Gbagbo ralliés aux FRCI que des combattants du « commando invisible » ou du « bataillon mystique », pro-Ouattara – seront intégrés aux troupes. Cela donne un total de 24 000 hommes, ce qui n’est pas sans poser un problème de sur­effectif au regard de la faiblesse des infrastructures, de nombreuses casernes militaires étant hors d’usage.

À l’inverse, les quelque 20 000 jeunes qui ont pris les armes, dans le Nord comme dans le Sud, doivent retourner à la vie civile. Le recensement de ceux-ci, sur toute l’étendue du territoire, est assuré par le Programme national de réinsertion et de réhabilitation communautaire (PNRRC). La question des grades – souvent fantaisistes – devrait quant à elle être tranchée par le comité dit de redressement des grades, créé par Ouattara le 14 juin et à la tête duquel le président a placé les généraux Mangou, Bakayoko et Kassaraté Tiapé, assistés des généraux à la retraite Abdoulaye Coulibaly (homme de confiance de Ouattara), Mathias Doué (ex-chef d’état-major sous Gbagbo) et Joseph Ehueni Tanny (proche d’Henri Konan Bédié).

Reste l’épineuse question de la cohabitation des éléments de deux forces auparavant ennemies. Un projet pilote est expérimenté au camp policier de la brigade anti­émeute de Yopougon, transformé en camp militaire par le comzone Ousmane Coulibaly, dit Ben Laden. Les hommes de ce dernier, venus tout droit d’Odienné (Nord-Ouest), y vivent en bonne intelligence avec les ex-miliciens pro-Gbagbo.

Frères d’armes

« Nous sommes membres à part entière des FRCI. À ce titre, nous avons combattu côte à côte avec nos frères d’armes des ex-FAFN et des ex-FDS pour libérer Yopougon des mercenaires », se réjouit Zolet Assan, ex-chef des Forces d’intervention rapide maritime et terrestre (milice pro-Gbagbo de Yopougon) et actuel instructeur FRCI. De même, le « maréchal » Eugène Djué, ancien chef de l’Union des patriotes pour la libération totale de la Côte d’Ivoire, dont l’allégeance à Ouattara, quelques heures après la chute de Gbagbo, a été déterminante dans le ralliement des patriotes et des miliciens, est « l’officier de liaison » entre les nouvelles autorités et les ex-combattants pro-Gbagbo.

Pourtant, le feu de l’inimitié couve. En atteste l’incident récent de Yopougon, qui a causé la mort par balle d’un civil. Le 22 juin, les FRCI du commissariat du 19e arrondissement de Yopougon-Toits rouges et les gendarmes de l’escadron du même quartier se sont expliqués à l’arme automatique. « Même si nous soutenons le président Ouattara, nous n’avons pas oublié que des gendarmes et des membres de leurs familles, tous désarmés, ont été tués à Bouaké au début de la rébellion », lâche un gendarme qui a été sur le front ouest pendant plusieurs années. Dans un contexte où l’impunité a été jusque-là la règle, les rancœurs ne s’effacent pas du jour au lendemain.

L’intellectuel Bernard Zadi Zaourou, membre de l’Académie des sciences, des arts et des cultures d’Afrique et des diasporas africaines, prévient : « Depuis 1999, l’armée ivoirienne est hors des casernes. Elle déborde l’État, commande au politique et traumatise le peuple. Ce péril, l’ancien régime n’a pu l’identifier ni en faire sa priorité des priorités. Il en est mort. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, disons-le tout net : le régime de l’actuel prince régnant risque de subir le même sort que celui auquel il a succédé s’il commet la même erreur et ne prend pas la juste mesure de ce péril. » On l’a compris : Ouattara sera notamment jugé sur sa capacité à renvoyer dans les casernes des hommes en armes habitués à faire la loi dans la rue.

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