Dans un entretien exclusif, le président sénégalais évoque pour «La croix» les manifestations, la jeunesse, son fils, sa santé et son intention de se représenter.
Abdoulaye Wade
Président de la République du Sénégal
LA CROIX : Comment voyez-vous le climat politique actuel du Sénégal ?
Abdoulaye Wade : Il n’est pas sain. Depuis mon élection en 2007, l’opposition a décidé publiquement de rendre le Sénégal ingouvernable. Je connais les chefs de l’opposition : ils sont marxistes ou socialistes, moi, libéral. Ils profitent des coupures d’électricité qui exaspèrent les Sénégalais pour me déstabiliser.
Pour vous, la manifestation du 23 juin était une opération de déstabilisation ?
Le 23 juin, l’opposition a profité d’une double erreur de ma part. En proposant un ticket gagnant président-vice-président pendant l’élection présidentielle, le peuple était appelé à choisir le successeur du président en cas de vacance du pouvoir. Aujourd’hui, si je disparais, c’est le président du Sénat qui me remplace et non un vice-président élu par le peuple. Je n’ai pas été compris.
De même, en voulant abaisser à 25 % le seuil à partir duquel on pouvait être élu au premier tour, je reprenais une idée de Léopold Senghor : dans un contexte de forte abstention, cette mesure assurait un seuil minimum acceptable pour être élu. Or, le risque d’abstention n’est pas aussi important. L’opposition en a profité pour essayer d’enflammer le pays le 23 juin.
Vous ne vous attendiez pas à ces troubles ?
Je n’avais jamais pensé que cette manifestation serait violente. Mon gouvernement voulait l’interdire. Je n’étais pas d’accord. J’ai fait une erreur d’appréciation. Le 19 mars, l’opposition a réuni 3 000 à 4 000 Sénégalais sur le modèle de ce qui se passait en Tunisie et en Égypte. Autant dire personne ! Mon parti a mobilisé le même jour entre 100 000 et 150 000 personnes. Le tout, dans le calme.
Je m’attendais à la même démonstration le 23 juin. Quelle fut notre surprise lorsque parmi les manifestants, un groupe a voulu pénétrer par la force dans l’Assemblée nationale ! Pire a été notre surprise le 27 juin. Des bandes organisées venues de banlieue ont cherché délibérément à saccager, piller, mettre le feu à des bâtiments publics, aux maisons de mes partisans. Du jamais-vu.
Qu’en est-il du sort de ceux qui ont été arrêtés le 23 et le 27 juin ?
Ceux qui ont été arrêtés le 23 juin ont été libérés. L’enquête sur le 27 juin n’est pas achevée. Je sais déjà qu’un membre important de l’opposition a commandité ces troubles afin de pousser la police à la bavure. En réaction au 23 et au 27 juin, des jeunes de mon parti ont voulu se venger en brûlant les maisons des opposants. Je ne l’ai pas permis.
Le printemps arabe est-il en train de se lever au Sénégal ?
Dans les pays arabes, les gens se sont mobilisés contre des dictatures. Leurs pays étaient caractérisés par l’absence de liberté. Ici, c’est l’excès de liberté qui est à l’origine de ces troubles. Cet excès permet à certains de dire et de faire n’importe quoi contre le régime.
En 2000, vous avez été soutenu par la jeunesse. Aujourd’hui, des mouvements comme « Y’en a marre » traduisent une rupture.
Mon histoire d’amour avec la jeunesse n’est pas terminée. Elle a commencé en 1988 lorsque j’étais en prison. Des jeunes gens ont manifesté pendant soixante-dix jours pour ma libération. Une fois élu, j’ai créé des emplois pour eux, j’en ai fait venir dans mon gouvernement, au Parlement.
Aujourd’hui, la jeunesse est gravement touchée par le chômage. Je vais lancer un nouveau chantier pour eux : créer 100 000 emplois pour les recalés du bac et les bacheliers sans formation. Ils vont assister les élèves du primaire en difficulté. Pour le reste, les rappeurs de « Y’en a marre » ne représentent qu’eux-mêmes. Ils n’ont rien à voir avec les jeunes de l’intérieur du pays.
Voyez-vous votre fils, Karim, comme votre successeur ?
Comme mon successeur direct, non ! C’était stupide et insultant de penser que je voulais le proposer comme candidat à la vice-présidence. Mais personne ne peut l’empêcher de se présenter à l’élection présidentielle après ma mort. La perspective qu’il devienne un jour président du Sénégal ne me déplaît pas. Mon fils a de grandes capacités. Personne dans l’opposition n’a la compétence économique et financière de Karim.
Selon Slate Afrique, vous avez été hospitalisé à Paris en février. Votre état de santé est-il inquiétant ?
C’est faux. Mes check-up sont très bons, merci !
Vous avez proposé à l’opposition d’avancer la date de l’élection présidentielle prévue le 26 février 2012…
Je suis prêt. Je ne suis pas trop vieux. Si je n’avais pas toute ma tête, je ne le ferais pas. C’est parce que l’opposition me demande de partir « maintenant » que je lui ai proposé une élection anticipée.
Avez-vous pensé partir « maintenant » ?
Non, car mon départ créerait au Sénégal un chaos pire qu’en Côte d’Ivoire. Qui pourrait me remplacer « maintenant » ? Personne de crédible.
Recueilli par LAURENT LARCHER
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