Par Dr Dieth Alexis Vienne Autriche
Selon une tradition bien établie, la France ou plus exactement la françafrique et l’Occident colonisateur sont toujours stigmatisés comme étant la source des maux économiques, sociaux et politiques de l’Afrique. L’habitude de dénoncer les ex-puissances coloniales et de leur imputer la responsabilité de tous les maux africains est une tendance bien établie aussi bien chez les politiciens professionnels que chez l’homme du commun. La France est toujours responsable pour les uns, la Grande-Bretagne pour les autres, la Belgique pour certains, le Portugal pour d’autres ! Certes, la prédation coloniale fut une réalité et la domination néocoloniale structure encore, en grande partie, les relations nord-sud. Certes, l’existence de la françafrique en Afrique francophone est une réalité incontestable dûment prouvée. Ses interventions ne font pas l’ombre d’un doute. Mais qui est la France ? La françafrique ? Pour la gouverne des uns et des autres, il est indispensable de chercher à dévoiler le visage exact de cette réalité protéiforme et énigmatique.
Quelle est cette France secrète des réseaux et cet Occident spoliateur qu’on accuse dans toutes les crises africaines ? Quelle est le visage précis de cette puissante entité qui parviendrait à recoloniser les pays africains indépendants à leur corps défendant ? Quelle est l’identité précise de cette force d’asservissement à l’action irrésistible dont les manœuvres réussissent à atteindre leurs buts lors même qu’elles sont éventées et dévoilées ? Cette puissance de domination est-elle toute la France ? Est-elle le peuple français au nom duquel l’Etat français exerce le pouvoir ? Sont-ce les corporations, les groupes de pressions et d’intérêts économiques ? Sont-ce les firmes et les multinationales françaises ? Est-ce le parti au pouvoir dans l’Etat français ? Est-ce l’ensemble des partis politiques auxquels, la plupart des partis politiques africains sont d’ailleurs affiliés, dans des ligues politiques internationales? Est-ce le gouvernement français ? Est-ce l’Etat français ? Est-ce l’Etat français, entité soumise au principe du respect de l’intérêt général et du bien public du peuple français dans l’Etat de droit qu’est la France ? Cet Etat, préoccupé de l’intérêt général dans les limites de ses frontières, est-il celui qui n’hésite pas, à utiliser hors de ses frontières, tous les moyens, y compris les moyens illégaux pour réaliser ses intérêts particuliers au détriment d’autres peuples et d’autres Etats? Est-il celui qui fomente des rebellions et soutient des tyrannies et des dictatures en Afrique et en Orient, pour conserver ses intérêts commerciaux, financiers, géostratégiques et politiques ? La françafrique agissante est-elle en Afrique, la main secrète de l’Etat français opérant pour son expansion impériale ou la main de l’action privée des firmes et lobbies économiques et financiers agissant pour maximiser leurs profits et pour accroître leur domination au bénéfice de l’Etat français ? Ou est-elle l’ensemble constitué par l’action publique de l’Etat et l’action privée des corporations et des firmes particulières ?
Il apparaît dans ce questionnement que l’entité France, que les politiciens et l’homme du commun désignent comme responsable des maux africains, est une réalité multiforme et complexe. Dans cette entité complexe, la France spoliatrice ou l’Occident expansionniste désignent des individualités précises. La France spoliatrice et l’Occident expansionniste, et plus exactement la françafrique, ne sauraient être le paysan ou le prolétaire français, belge ou anglais qui, comme le paysan ou le prolétaire ivoirien, camerounais ou sénégalais affrontent les difficultés du quotidien pour vivre. Ils ne peuvent non plus être cette famille de la classe moyenne française ou africaine qui peine à boucler les fins de mois. Admettons alors que la France spoliatrice et l’Occident expansionniste soient précisément les Etats et les firmes commerciales, financières et les multinationales françaises et Occidentales qui opèrent en Afrique afin d’y réaliser leurs intérêts géostratégiques politiques commerciaux et financiers. Or cette pratique de l’expansion, de la domination politique et de l’exploitation commerciale ne relèvent guère de la malignité et de la faillite morale car, ce faisant, ces entités agissent conformément à leurs buts et prérogatives institutionnels. De ce point de vue, la malignité et la faillite morale doivent être plutôt recherchées du côté de leurs complices locaux qui trahissent les intérêts des Etats africains, dont ils sont les magistrats, au profit des firmes des multinationales et des Etats occidentaux. L’entité France et l’Occident expansionniste qu’accusent les politiciens professionnels africains désignent plus exactement, les Etats, les lobbies financiers et commerciaux, les courtiers, français et occidentaux, des firmes et des multinationales françaises et occidentales. Mais l’entité « France », entendue comme françafrique, désigne exactement en même temps les politiciens professionnels et les partenaires en affaires africains qui sont les chargés d’affaire et les courtiers locaux de ces organisations au détriment des intérêts de leurs propre Etat et leur propre société civile. La Françafrique désigne, précisément, l’ensemble constitué par les politiciens-courtiers français et occidentaux, les lobbies des firmes et des multinationales françaises et occidentales, et les politiciens-courtiers et hommes d’affaires africains qui se chargent de relayer les intérêts étrangers au détriment des leurs.
Moralement, juridiquement et même pragmatiquement condamnable du point de vue d’une raison avisée, la règle des rapports de domination entre les Etats et la volonté d’expansion des firmes marchandes les une au détriment des autres, n’en demeurent pas moins un fait qu’impose l’état de nature qui règne encore dans les relations internationales. Mais, attendant que la sagesse des nations devienne le principe cardinal de la politique étrangère des Etats afin que le monde évolue vers une communauté cosmopolitique solidaire unifiée par un intérêt commun sous le droit, l’état de nature prévaut encore de nos jours entre les Etats. Les Etats firmes et les multinationales poursuivent obstinément chacun, avec l’assurance d’un somnambule, leurs intérêts particuliers au détriment des uns et des autres. Tel est rapport conflictuel historique, entre les Etats, les firmes et les multinationales, rapport qui définit encore les relations internationales au XXIème siècle. Car ces entités sont des individualités conscientes d’elles-mêmes qui vivent de la réalisation de leurs intérêts particuliers conformément à la logique de la culture d’entreprise et de la souveraineté étatique. Le repli des Etats et l’entrée en scène des sociétés civiles dans le triomphe du libéralisme est encore loin de briser cette dynamique de la concurrence internationale sous l’égide de la recherche de l’influence politique et du profit marchand maximum.
Pour soutenir son expansion, telle firme étrangère en tant qu’élément d’une société civile régie par le principe de la particularité et poursuivant son intérêt particulier, celui de l’expansion commerciale et de la maximisation de son profit financier, ne reculera pas devant l’utilisation de l’arme de la corruption active d’hommes d’Etat et de magistrats africains et orientaux. Elle ne reculera pas devant l’utilisation de la rébellion armée avec la complicité d’un général de l’armée locale pour mettre un Etat africain ou oriental à sa botte. Telle Puissance ou Superpuissance n’hésitera pas à circonvenir des politiciens d’un Etat étranger pour obtenir la complicité d’un Etat-client qui sert son expansion et ses intérêts géostratégiques. Dans le contexte de la continuité de ces rapports interétatiques de domination, de sphères d’influence et de concurrence internationale, les firmes, opérateurs économiques d’envergure politiquement influents, ont toujours le soutien constant de leurs Etats respectifs par le relais des groupes de pression et des lobbies.
Dans cette situation historique d’état de nature entre les divers Etats et les firmes, état fondé sur le principe de la loi du plus fort, les rapports de domination sont implicitement tolérés, au nom de la raison d’Etat et au nom de la liberté d’entreprise et de son principe de la maximisation du profit qui régit le libéralisme triomphant. L’expansion mondiale des multinationales, soumise à la règle de la recherche du profit maximal, est déréglementée. Quant à la politique, elle est régie par le principe de la souveraineté des Etats. Etant des entités souveraines, les Etats décident exclusivement, par eux-mêmes, du choix des moyens convenant à la réalisation de leurs intérêts supérieurs. La diplomatie internationale respecte ce principe sacré qui explique la faiblesse insigne des régulateurs de l’ordre international. Quelle force et quelle justification pourrait empêcher un Etat de droit, souverain X, qui est au service effectif de son peuple, de réaliser ses intérêts économiques financiers et politiques, en dominant un Etat souverain Y dont les magistrats corrompus, avides de pouvoirs multiformes et poursuivant leurs stricts intérêts personnels au détriment de celui de leur propre peuple, acceptent volontiers, consentent contre rétribution et pots de vin de mettre le pays dont ils ont la charge en coupe réglée ? Quelle juridiction internationale pourrait sanctionner une multinationale ou pourrait l’empêcher de vendre à un autre pays, un projet financièrement juteux concernant une sphère de prestige parfaitement inutile relativement aux besoins concrets des populations, avec la complicité active d’hommes d’affaires locaux et de politiciens avides d’ostentation qui perçoivent de surcroît un gros pourcentage sur l’attribution du marché ?
L’ultime rempart des pouvoirs africains et des peuples contre la domination étrangère et la rapacité des multinationales demeure leur véritable légitimité actualisée dans une volonté active d’émancipation, elle-même fondée sur une conviction intérieure qui érige le bien public et l’intérêt des peuples dont ils conduisent le destin, en réalité sacrée. Devant la loi d’airain régissant la logique d’expansion économique, financière et la politique des Etats les uns au détriment des autres dans le contexte de l’état de nature, les récriminations sont vaines. La dénonciation et les condamnations purement formelles des actions de la France ou de la Françafrique qui opèrent souvent avec la collaboration active d’autochtones et de politiciens locaux ne sont que pures vanités.
Loin de légitimer l’exploitation internationale et la loi de la domination du plus fort, la description de cette situation de fait, dans laquelle les groupements humains existent concrètement dans l’histoire, en l’absence d’une réelle autorité commune administrant universellement le droit , oblige à porter le regard sur la responsabilité de ceux qui conduisent le destin des peuples en Afrique quant à leur émancipation et à leur asservissement, en tant qu’administrateurs des Etats. Ainsi se dévoile peu à peu le visage de l’auteur incriminé de l’aliénation africaine. La puissance oppressive qui écrase l’Afrique n’est pas tant la France décriée que ceux qui conduisent le destin des peuples africains sur la scène de l’histoire et qui agissent historiquement en décidant. La force mystérieuse qui aliène l’Afrique est le politicien africain corrompu qui prête, par avidité et appât du gain, son visage à la Françafrique. La puissance oppressive qui écrase la tête de l’Afrique sous sa botte, c’est l’élite africaine qui faillit dans sa tâche de médiation en transformant sa position de médiateur entre les deux mondes en position de prébendier. La puissance étrange qui opprime l’Afrique c’est la maxime de l’asservissement érigé en principe de politique intérieure par les élites et les politiciens africains!
La dénonciation constante de la France et de l’impérialisme étranger comme auteurs de tous nos maux sert à dissimuler nos propres stratégies et mécanismes endogènes d’auto-asservissement et d’oppression de notre propre peuple.
Dr Dieth Alexis. Vienne. Autriche
alexis.dieth@free.fr
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