MÉDIA – Après les blâmes, le CNP suspend le quotidien « Aujourd’hui » pour douze (12) parutions

Décision N°008 du 1er juillet 2011
Portant sanction applicable au quotidien
Aujourd’hui édité par
Les Editions Aujourd’hui SUARL

Le Collège des Membres du Conseil National de la Presse,

Vu la Constitution ;

Vu la Loi N° 2004-643 du 14 décembre 2004 Portant Régime Juridique de la Presse ;

Vu l’Ordonnance n°2011-007 du 14 avril 2011 portant Annulation d’Actes Réglementaires et Individuels ;

Vu le Décret N° 2006-196 du 28 juin 2006 Portant Organisation et Fonctionnement du Conseil National de la Presse ;

Vu le Code de Déontologie du journaliste ivoirien ;

Après en avoir délibéré en sa séance du Vendredi 1er juillet 2011,

Article 1 : Constate

1) Qu’à la Une de sa 1ère édition, parue le lundi 06 juin 2011, le quotidien Aujourd’hui avait titré « N’ayez pas peur, Gbagbo est encore là/A lire l’interview du président Gbagbo/» ;

2) Que dans cet article, le quotidien tentait faussement de rassurer une certaine opinion, sur la base d’une interview que l’ex-président lui aurait accordé, de l’existence de contact qu’il aurait avec ce dernier alors même que cela paraissait impossible, vu ses conditions de détention ;

3) Qu’à la page 7 de la même édition, le journal a publié un article intitulé: «Lonaci, les deux têtes sont du nord ». Dans cet article, le journal s’est livré à une comparaison tendancieuse, susceptible d’inciter à la haine tribale et régionale et pouvant porter atteinte à la cohésion sociale, comme en témoigne le passage suivant : « Tous deux sont originaires du nord et ont remplacé Ernest Dally Zabo et Affoum Bamba, un dida et une odiénneka » ;

4) Qu’en page 10 de sa 2ème édition, livrée le mardi 07 juin 2011, le quotidien Aujourd’hui publiait un article signé Dinde Fernand Agbo et ayant pour titre : « L’ère Ouattara marque-t-elle la fin de la prédication publique ou des activités évangéliques ? » ;

5) Dans cet article, dénonçant sans preuve l’assassinat prétendu de deux pasteurs par les Forces Républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), l’auteur écrit ceci : « (…) la liberté de culte n’est plus une valeur ivoirienne. Cela est surtout vrai quand vous avez le malheur d’être une église protestante ou évangélique : vous êtes a priori suspecté d’être pro-Gbagbo et donc susceptible de subir des représailles » ;
6) Que par ce type de traitement de l’information, l’auteur tente de façon subversive, sur la base de faits non prouvés, de créer un sentiment de haine religieuse en Côte d’Ivoire ;

7) Qu’à la page 11 de la même édition, un article signé de Zéka Togui et intitulé :« Alassane Ouattara : Un maître nageur dans les eaux troubles de l’illégalité », est un condensé d’écrits fort offensants et outrageants à l’encontre du Président de la République et de sa formation politique, notamment en ces termes : « D’où lui vient donc l’idée de vouloir servir aux ivoiriens ce “borocodji’“ (repas de très mauvaise qualité) de décrets et d’ordonnances pris depuis sa république du golf » ; pis encore « …cette alliance du tchapalo et du koutoukou, qui gouverne en ce moment la Côte d’Ivoire sous l’œil vigilant du maître gaulois…», allusion faite au Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix et à la France ;

8) Que fidèle à sa logique, le quotidien Aujourd’hui a affiché à la Une de sa 5ème édition, parue le Vendredi 10 juin 2011 : « Voilà pourquoi Alassane Ouattara ne peut pas réconcilier les ivoiriens » ;

9) Que dans l’article afférant à cette Une, paru en page 10, l’auteur accentue la psychose chez les lecteurs en faisant planer la menace d’une déstabilisation du pays et opère une scission au sein de l’armée de Côte d’Ivoire, alors qu’une ordonnance du 17 mars 2011 a créée les FRCI, résultant de la fusion des ex-FDS et des ex FAFN ;

10) Que le faisant, il écrit ceci : « aucune réconciliation ne peut se faire sans l’armée ivoirienne et les FDS qui ne font pas moins de 50.000 hommes et femmes en arme…», la menace à ce stade est patente, comme s’il existe d’une part les FDS et d’autre part, les FRCI ;

11) Que ces écrits sont séditieux et inacceptables ;

12) Qu’à la page 11 de la même édition, toujours dans sa volonté de manipuler l’opinion, le quotidien Aujourd’hui ouvre une rubrique intitulée :« Vos lettres au président Laurent Gbagbo», rubrique devant être animée par les correspondances de lecteurs désireux de s’adresser à l’ex président ;

13) Qu’une de ces correspondances, notamment celle signée Thierry Agoussi, renferme des propos séditieux comme en témoigne le passage suivant : « Je le crois de tout mon cœur que vous êtes toujours et de façon incontestable et vous serez toujours le Vrai et réel Président de la Côte d’Ivoire » ; « Présentement la Côte d’Ivoire qui m’a vu naître n’a pas de Président, et elle vous réclame urgemment… » ;

14) Que dans la même rubrique, deux autres correspondances signées respectivement de Souza-ci Beranger et de Berenger Sokouri présentaient un contenu identique ; Qu’ainsi, deux soi-disant lecteurs ont produit et signé la même correspondance ; Que cette grossière erreur a permis au CNP de douter de l’authenticité des correspondances parues dans cette rubrique et de relever une manipulation de l’information en vue de tromper le lecteur ;

15) Que dans sa 6ème édition du lundi 20 juin 2011, une correspondance publiée dans ladite rubrique remet en cause la légitimité du Président Alassane Ouattara et exprime du mépris envers des éléments de l’Armée, comme en témoignent les passages suivants : « (…) celui-là même qui est au pouvoir est celui qui nous a appris comment on rend un pays ingouvernable et je crois que sa leçon a tellement été bien assimilée que nous allons l’appliquer à la lettre. Nous sommes fatigués de voir des soldats balafrés dans notre pays » ; « c’est toi qu’on considère comme président car nous refusons de revenir 50 ans en arrière. Longue vie à vous et à tous vos collaborateurs qui sont emprisonnés»;
16) Qu’à la page 10 de son édition du mardi 21 juin 2011, la 7ème, une contribution signée de Marie laure Koutouan, intitulée : « Le deal secret des vautours qui rodent autour de la Côte d’ivoire : SORO Guillaume futur Président de la République», publiée sur un site d’information en ligne a été retranscrite ;

17) Que dans cette contribution, il est écrit que la situation « post putsch » n’est pas gérée à souhait par le président Ouattara qui serait hanté par un probable coup d’Etat qui viendrait des militaires pro-Gbagbo ou des « forces fidèles à SORO Guillaume » ; que le passage suivant a été relevé en ce qui concerne le Premier ministre : « Pour atteindre son but, il est prêt à tuer son maitre d’hier Ouattara(…) Soro est un véritable sanguinaire pour qui tuer est un jeu. Il a la capacité d’en commettre pour mettre au pas ses adversaires. Il ne résistera pas à la tentation de le faire de nouveau…» ;

18) Que ces écrits, en plus de la psychose qu’ils créent au sein de la population, constituent un outrage au Premier ministre et lui font un procès d’intention, sabordant ainsi les efforts du Gouvernement en vue de l’instauration d’un climat apaisé ;

19) Qu’à la Une de sa 9ème édition, parue le jeudi 23 juin 2011, le quotidien a titré « Affrontements FRCI-Gendarmes/Détournements de taxes municipales par les FRCI/ Patrouilles française à Abidjan/Violations massives des Droits de l’homme/ Ouattara ne maitrise rien…» ;

20) Qu’aucun article cependant n’a rapporté en pages intérieures ce titre ; que cette pratique trompe et abuse du lecteur ;

21) Que dans la rubrique «Vos lettres au président Laurent Gbagbo» publiée dans la même édition, une correspondance a retenu l’attention du CNP ;

22) Que dans cet article il a été écrit ceci : « savez vous par exemple que dans tout « le Pays » godié, chez moi, ce que nous appelons maintenant « le Ouattaratô » la guerre de Ouattara a tué plus de 200 personnes et que personnes n’en parle ?/Savez-vous que dans le village Adebeme en Niambezaria et Sago, plus de 63 personnes sont mortes égorgées, brulées ou fusillées par les Mossis et les Lobis sous le vocable FRCI, après le passage des jeunes libériens en fuite qui ne sont mêmes pas arrivés dans ce village ?/ Savez vous que ce sont les baoulés jusque là nos frères, qui parfois ont livrés ou tués nos parents ?/ savez-vous par exemple qu’une femme a perdu 6 de ses 8 enfants égorgés devant leurs frères par les FRCI(Forces rebelles de la Communauté internationales) ?/ savez-vous aussi que tous les litiges fonciers réglés ou non par la justice même depuis plus de 10 ans ont refait surface à l’avantage des Lobi et Mossi ?/ savez-vous qu’un village de Mossis dans le Tigrou appelé « Moussadoukou» est le pourvoyeur de tueurs dans la région ?/ savez-vous que les Chefs de village n’ont plus d’autorités et que ce sont les Mossis qui commandent ?/ Savez-vous que les villages de Godjiboué et de Niégrouboué ont été incendiés et que les quelques survivants sont encore en fuite dans la brousse ?/» ;

23) Que ces écrits, constituant des incitations à la révolte, à la haine tribale, à la haine ethnique et à la xénophobie, sont d’une extrême gravité et sévèrement punis par la loi sur la Presse qui renvoie sur ce point au Code pénal ;

24) Que dans son édition du 29 juin 2011, le quotidien Aujourd’hui affiche en première de couverture, le titre : « les Colons sont de retour, c’est officiel », illustré d’une photographie sur laquelle l’on identifie le Ministre français de la Défense, Monsieur Gérard LONGUET et des officiers de l’Armée française ;

25) Que par l’usage du terme  » Colon « , l’auteur de l’article induit que la Côte d’Ivoire n’est pas un Etat indépendant mais une colonie de la France ;

26) Qu’une telle approche est injurieuse et gravement offensante à l’endroit de la Côte d’Ivoire et du Président de la République ;

27) Que l’usage de ce terme est de même injurieuse et offensante pour les Autorités françaises, invités de la Côte d’Ivoire dans le cadre de la coopération liant deux Etats souverains ;

28) Que le droit à la critique ne saurait s’accommoder de tels écarts ;

29) Qu’en une dizaine de parution, le quotidien Aujourd’hui a écopé de 7 blâmes et d’un avertissement ;

30) Qu’en raison des graves manquements sus évoqués, il est apparu nécessaire au CNP de s’autosaisir ;

Article 2 : Relève

1) Que depuis sa réapparition dans le paysage médiatique ivoirien, le quotidien Aujourd’hui s’est livré, de façon continue, à une violation constante des textes législatifs et réglementaires qui organisent la profession;

2) Que cette violation s’est étendue à la déontologie de la profession de journaliste, se manifestant le plus souvent par une manipulation de l’information sur des sujets aussi sensibles que ceux touchant aux Institutions de la République et à la cohésion sociale ;

3) Que les nombreux blâmes infligées n’ont pas paru suffisants au quotidien Aujourd’hui pour améliorer sa pratique professionnelle ; Que bien au contraire, ce quotidien est demeuré constant dans ses dérives ;

4) Qu’en outre, ledit quotidien a fait preuve de défiance à l’égard du CNP, se refusant malgré des injonctions expresses dans ce sens, de publier certaines de ses sanctions ;

5) Qu’enfin l’incitation à la révolte, à la haine tribale, à la xénophobie constituent au regard de l’article 69 de la loi du 14 décembre 2004- portant Régime Juridique de la Presse, des délits commis par voie de presse pour lesquels, en raison de leur gravité, le législateur a prévu un régime de droit commun ;

Article 3 : Décide, en conséquence de ce qui précède :

1) La suspension du quotidien Aujourd’hui édité par les Editions Aujourd’hui SUARL pour douze (12) parutions, conformément aux articles 47 et 70 de la loi du 14 décembre 2004 portant régime juridique de la presse.

2) Les Editions Aujourd’hui SUARL, société éditrice du quotidien Aujourd’hui disposent d’un délai de trente (30) jours à compter de la notification de la présente décision pour saisir la Juridiction Administrative compétente.

Article 4

Il est fait défense à tout imprimeur, d’imprimer sous quelque forme que ce soit (édition spéciale ou autre) le quotidien Aujourd’hui pendant la durée de la mesure de suspension.

Article 5
La présente décision qui prend effet dès sa notification aux Editions Aujourd’hui SUARL sera publiée au Journal Officiel de la République de Côte d’Ivoire et sur tous les supports officiels.

Fait à Abidjan, le

Pour le CNP
Le Président

Eugène DIE KACOU

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