Ce billet a été rédigé avec la collaboration de Peggy Bruguière, journaliste à FRANCE 24.
Une vidéo montrant des proches de l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo faisant des pompes sous la contrainte des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) d’Alassane Ouattara circule depuis une semaine sur Internet. Des images qui dérangent à l’heure où le nouveau chef de l’État ivoirien promet de réconcilier le pays.
La scène se déroule dans la prison de Bouna, une ville située dans le nord-est de la Côte d’Ivoire, à 600 kilomètres d’Abidjan. La vidéo amateur montre sept personnes issues de l’entourage de Laurent Gbagbo se faire humilier par leurs geôliers. Parmi eux, Pascal Affi N’Guessan, ancien président du Front populaire ivoirien (FPI, ex-parti de Laurent Gbagbo) et ancien Premier ministre, et Michel Gbagbo, le fils aîné de l’ancien président. Les images auraient été filmées entre le 22 avril, jour de l’arrestation de Pascal Affi N’Guessan, et le mois de juin, pendant lequel l’un des détenus présents sur les images a été libéré.
Après l’arrestation de Laurent Gbagbo, le 11 avril dernier, plusieurs anciens responsables du FPI ont été placés en résidence surveillée par le gouvernement Ouattara. Certains ont été transférés dans le nord de la Côte d’Ivoire, à commencer par Laurent Gbagbo (à Korhogo) et sa femme Simone (à Odienné). D’autres, qui s’étaient réfugiés dans un hôtel du sud d’Abidjan, avaient sollicité la protection de l’État. Les nouvelles autorités les avaient alors assignés à résidence à l’hôtel La Pergola. Pascal Affi N’Guessan, qui y fut retenu dans un premier temps, a ensuite été transféré à Bouna. Selon l’Agence de presse africaine (APA), il lui était reproché de ne pas soutenir la réconciliation nationale lors de ses interviews dans la presse.
Sur la vidéo, Pascal Affi N’Guessan apparaît en chemise blanche. À côté de lui, la caméra balaie les visages de ses six co-détenus qui écoutent passivement le supérieur de cette unité des FRCI. Il s’agit de Morou Ouattara, un ancien chef rebelle en charge des ex-Forces nouvelles à Bouna.
Au début de la vidéo, l’homme harangue le groupe :
« On va te régler aussi même si c’est 100 ans de prison vous aller faire. Je préfère que vous mourriez tous en prison un a un. On peut vous frapper. On frappe personne. Parce que nous ne sommes pas des juges. Nous, on ne doit pas faire la justice […]. Cachez-vous, vous devriez avoir peur […].
Vous avez payé toutes sortes d’armes, pris des mercenaires. Vous avez dilapidé tout l’argent de Côte d’Ivoire […]. Mais laissez les Ivoiriens vivre tranquilles […].
Allez voir dans les CHU, dans les morgues […]. Vous allez répondre. Pour cela, pompez ! »
Les forçats s’exécutent. « Ne faîtes pas semblant : pompez bien ! », poursuit le chef de guerre, avant de conclure : « Allez, debout ! ».
L’un des détenus, l’ancien ministre Gnamien Yao, a depuis été libéré, courant juin, car son état de santé se dégradait sérieusement. Aujourd’hui, des bruits courent sur la possible libération de Michel Gbagbo (l’homme barbu au t-shirt orange et noir sur la vidéo). Toussaint Alain, conseiller en France de Laurent Gbagbo, a sollicité auprès du Quai d’Orsay l’intervention de Nicolas Sarkozy pour obtenir sa remise en liberté.
Ces images ne pouvaient pas plus mal tomber pour Alassane Ouattara. Il y deux semaines déjà, Amnesty International s’est dit « préoccupée » par le sort de la cinquantaine de partisans de Laurent Gbagbo placés en détention sans avoir été inculpés. Il s’agit d’une « violation directe des normes internationales en matière de droits humains », selon l’organisation. À ce jour, Amnesty International et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) n’ont pas été autorisés à se rendre dans les prisons du Nord. Seules les équipes de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) ont pu visiter la prison de Bouna depuis le mois de mai. Guillaume Ngefa, directeur par intérim de la division des droits de l’Homme de l’Onuci, explique avoir envoyé deux missions sur place après avoir entendu parler de séances de pompes infligées aux détenus de Bouna. L’Onuci a en effet « constaté que ces personnes étaient victimes de mauvais traitements » et que l’incarcération se faisait dans « des conditions inhumaines et dégradantes ».
Le procureur de la République d’Abidjan, Simplice Koffi Kouadio, a auditionné au mois de juin l’entourage de Laurent Gbagbo retenu à Bouna, dans le cadre des enquêtes lancées le 29 avril au terme de la crise post-électorale. Il a requis l’ouverture de deux informations judiciaires, notamment à l’encontre de Laurent Gbagbo et de Pascal Affi N’Guessan. Joint par FRANCE 24, il n’a pas souhaité se prononcer sur ce qu’il a vu dans les prisons du Nord mais tient à préciser que les mots « détention » et « prisonniers » ne peuvent pas être employés. Pour les autorités, Laurent Gbagbo et ses proches sont « assignés à résidence » afin de permettre à la justice ivoirienne de décider des poursuites judiciaires à leur encontre.
Contributeurs
Suy Kahofi
« Une détention si longue sans inculpation conforte l’impression d’une justice des vainqueurs sur les vaincus »
Suy Kahofi est un blogueur ivoirien sur Mondoblog. Il habite à Abidjan.
Ces images jettent le discrédit sur Alassane Ouattara et ses promesses de réconciliation nationale. Toute la population est choquée par la vidéo et les Ivoiriens pro-Ouattara ne minimisent pas le problème, bien au contraire. Certes, on peut se dire que faire des pompes ne représente pas un acte de barbarie. Mais c’est de la torture quand même, parce que des personnes enfermées sont victimes d’un avilissement physique et moral [Selon l’article 1 de la Convention des Nations unies contre la torture, le terme désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne afin, notamment, d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle (…)]. Et il faut se dire que la vidéo ne montre que la partie immergée de l’iceberg.
J’ai rencontré les associations de défense des droits de l’Homme de la Cosopci [Coalition de la société civile pour la paix et le développement démocratique en Côte d’Ivoire] et, au même titre que les organisations internationales, aucune n’a eu le droit de se rendre dans les prisons du Nord.
Le fait que plusieurs leaders de l’ancien régime soient retenus au nord fait dire à beaucoup de gens ici que cette région de la Côte d’Ivoire est devenue le bagne des ennemis de Ouattara [le nord de la Côte d’Ivoire est considéré comme le fief de Guillaume Soro, le Premier ministre, NDLR]. En terme d’image, c’est mauvais pour l’unification du pays.
Les choses rentreront dans l’ordre en Côte d’Ivoire seulement lorsque la justice ivoirienne aura été rendue, dans le respect des droits de l’Homme. Or, une détention si longue sans inculpation conforte l’impression d’une justice des vainqueurs sur les vaincus, c’est-à-dire d’une justice à deux vitesses que dénonce, pas forcément à tort, le camp Gbagbo. »
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