Sans moyen de mener des patrouilles en haute mer, la marine ne peut surveiller et protéger les côtes nationales. Etat d’une force en déconfiture.
La marine est le parent pauvre des forces nationales. Limitée dans sa structure, elle n’a pas non plus bénéficié d’investissements appropriés pour jouer efficacement son rôle de surveillance des côtes. Le mal est si profond que les marins des pays comme le Maroc et la Tunisie, qui venaient se former en Côte d’Ivoire, ont tourné les dos à la base de Locodjro. Et comme pour montrer que la régression est totale, les Ivoiriens vont aujourd’hui vers ces pays pour obtenir leur brevet supérieur de navigation. Les marins ivoiriens qui allaient en croisière et même en long courrier par le passé sont devenus des bureaucrates. A l’époque, sur le bâtiment « Eléphant », les soldats de l’eau pouvaient passer deux mois en mer et accoster à Cotonou (Bénin), Matadi (Congo)ou Port-Gentil (Gabon) où ils avaient bonne presse. Désormais, cela fait partie de notre passé.
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Lire le Dossie dans l’Expression 12 juillet 2011
Interview – Capitaine de Frégate Sékongo Doulaye (chargé de l`instruction et des opérations de la marine nationale après la crise postélectorale) : « La marine est sinistrée »
Dans quel état se trouve la marine nationale depuis la fin de la crise?
Après le changement de régime intervenu le 11 avril, c’est le 18 avril que le travail a effectivement repris. Sur 1.124 agents que compte la marine, il y a 35 absents. Au niveau des effectifs, le travail a repris avec 95% des effectifs. Tous ceux qui ne se reprochent rien sont de retour. L’engouement est total.
Qu’en est-il des moyens matériels pour travailler?
Au niveau du matériel navigant, nous n’avons pas de bâtiment pour aller en haute mer. En ce qui concerne la lagune, nous avons pu remettre en état quelques vedettes qui nous permettent de patrouiller.
Cela signifie-t-il qu’aujourd’hui vous n’avez aucun moyen pour contrôler la frontière maritime ivoirienne?
C’est cela la triste réalité. Nous ne pouvons surveiller que la lagune. Pour la mer, c’est impossible pour le moment.
Quelle est donc l’urgence à satisfaire pour vous rendre opérationnels?
Dans l’immédiat, il y a la réparation des unités dont dispose la marine nationale. Il s’agit du patrouilleur rapide « L’Intrépide » qui a été l’objet de bombardements. Il y a également la réparation du bâtiment de surveillance côtière « Le Valeureux ». Ce sont les deux unités à réparer dans l’urgence pour permettre à la marine de jouer convenablement son rôle.
Durant les affrontements, quel a été le rôle de la marine?
Beaucoup d’éléments de la marine ont participé aux combats aux côtés des miliciens et mercenaires de l’ancien régime. Le 31 mars 2011, l’ancien commandement a regroupé les effectifs pour poser la question de savoir ceux qui voulaient combattre et ceux qui ne le voulaient pas. Ceux qui ont choisi de se battre se sont rendus à la résidence de l’ancien président et ceux qui ne le voulaient pas ont rejoint leurs domiciles. C’est ainsi que beaucoup de marins ont quitté la base navale pour rejoindre leurs domiciles. Puisqu’il s’agissait d’une opération bien planifiée, les responsables de l’époque ont profité de la situation pour faire entrer les mercenaires libériens et miliciens à la base navale. Les éléments de la classe Blé Goudé sont restés pour combattre avec les miliciens et mercenaires. C’est cela le rôle négatif joué par les marins.
Personnellement, vous étiez dans quel camp mon commandant quand il a été demandé de choisir?
(Rire). Ça coule de source. Je suis pour le respect de la légalité et des personnes et qui les incarnent. Vous connaissez donc mon camp.
Est-ce par essence le rôle d’un marin d’aller se battre à la résidence du président de la République, hors de l’eau?
Notre commandement de l’époque était aux ordres directs du président de la République. Ce qui fait que ceux qui sont allés combattre au domicile du président sont des gens recrutés pour les besoins de la cause, des gens entrés par effraction dans le corps. En tout état de cause, ce n’est pas le rôle d’un marin d’aller combattre au domicile du président. Les choses ne fonctionnent pas ainsi.
A la fin de la crise, vous avez récupéré certaines armes de destruction. Peut-on avoir une idée de l’arsenal?
A la reprise du travail, le mécanisme que nous avons instauré a permis de désarmer les éléments qui avaient été armés pour combattre. Au sein de la marine, nous nous connaissons tous. Nous savons ceux qui ont combattu avec les miliciens. Nous leur avions demandé de restituer les armes en échange des laissez-passer ou de la solde qui est payée en numéraire. Certains se sont exécutés. L’opération a bien marché et nous avons plus de 100 armes déposées. Des kalachnikovs, des sacs de 50 kilos de munitions, des grenades et toutes sortes d’accessoires. L’opération se poursuit et nous espérons que ceux qui possèdent encore des armes comprendront le bien-fondé de notre action. Il y va de leur sécurité et de celle de la population.
Comment se fait la collaboration entre vos éléments qui ont combattu et ceux qui se sont abstenus?
Pour le moment, il n’y a aucun problème majeur. Tout se passe bien. On n’est pas obligé de s’aimer mais, on est obligé de faire correctement le travail pour lequel l’Etat nous paye. Evidemment, nous rassurons ceux qui ont combattu en leur tenant le discours de la vérité : la guerre est finie. Il n’y aura ni vengeance ni représailles mais, il faut que chacun sache qu’il y a un seul président en Côte d’Ivoire qui s’appelle Alassane Ouattara. C’est le point de départ de la réconciliation. C’est le lieu pour nous de demander à tous les autres marins encore en cavale de revenir. S’ils ont peur, nous sommes là pour les rassurer. Nous travaillons tous pour la Côte d’Ivoire. C’est cela le plus important.
Avez-vous des nouvelles de l’ex-commandant de la marine, Vagba Faussignaux?
Nous savions par l’entremise de l’ancien chef d’état-major des armées, Philippe Mangou, qu’il avait été blessé et qu’il se trouvait dans un hôpital. C’est tout ce que nous savons de lui. Pour le reste, c’est dans les journaux que nous avons des informations le concernant. Nous nous en tenons à ce que nous a dit l’autorité compétente.
Il y a un artiste marin, Chuken Pat, qui faisait beaucoup de tapage pour Gbagbo à la télé. A-t-il repris le boulot?
L’artiste comme vous l’appelez est un Maître nommé Yao Patrice. Il était également dans le maquis. Mais, il est revenu vers le 15 mai. Et, il a repris le service.
L’opération de payement des agents à la caisse a été décriée par certaines personnes. Est-ce que cela a été profitable à la marine?
En ce qui nous concerne, cela nous a permis de remobiliser les troupes. Depuis que des marins qui étaient en cavale ont appris que les salaires de mai se payaient à la caisse, ils se sont signalés et ont repris le travail. Donc l’opération a porté ses fruits.
Qu’attendez-vous concrètement du gouvernement pour redorer le blason de la marine nationale?
Vous êtes actuellement à la base annexe au Plateau. Ce n’est qu’une partie de la base navale qui est située à Locodjro. C’est là-bas que sont situés tous les services. Nous souhaitons en premier lieu qu’on restitue Locodjro à la marine. La base annexe du Plateau est très exiguë pour accueillir tous les marins. Au moins, qu’on libère rapidement les bureaux.
Votre arrivée à la tête de la marine vous a-t-elle permis de constater la gabegie instaurée par l’ancien régime?
Rectificatif, je ne suis pas à la tête de la marine, je me suis porté volontaire pour que les marins reprennent le travail puisque ceux qui devaient le faire étaient en cavale ou blessés. Pour répondre à votre question, effectivement grâce aux renseignements, nous avons pu découvrir de nombreuses vedettes acquises par les dignitaires de l’ancien régime. Nous avons écrit au Premier ministre, ministre de la Défense pour l’en informer. Il nous a donc autorisés à réquisitionner ces bateaux. Cette opération nous a permis de mettre la main sur 15 vedettes immobilisées à la base annexe de la marine. Certains barons de l’ancien régime sont propriétaires de deux ou trois bateaux. Or, ce sont des choses qui coûtent extrêmement cher. Cela met en évidence la gabegie à laquelle se livraient ces gens.
Il se susurre qu’entre la marine nationale et la police maritime, la collaboration n’a jamais été au beau fixe. Qu’en est-il exactement ?
Vous posez là une question essentielle. Les affaires maritimes sont un corps civil qui fait de la réglementation maritime. On s’est rendu compte au finish que ce corps là était, en fait, une milice aux ordres de l’ancien président Gbagbo Laurent. Kouakou Brou dit «maréchal Kb», un homme bien connu dans le milieu de la Fesci, dirigeait les opérations. La preuve est que cette police maritime a combattu aux côtés des miliciens et mercenaires. Ses agents avaient même des zodiacs. Nous avons pu saisir un. Nous sommes à la recherche des autres. Ils avaient une quinzaine de zodiacs.
En principe les opérateurs de la zone portuaire mettent un fonds à la disposition des forces de sécurité opérant dans le secteur pour leur équipement. Est-ce que ce fonds fonctionne correctement?
A ma connaissance, c’est le Port autonome qui met un fonds à la disposition de tous ceux qui interviennent sur l’eau en zone portuaire. Malheureusement, la marine nationale n’en a jamais bénéficié. Je parlais tantôt des affaires maritimes. C’est ce corps qui a accaparé ce fonds. La police maritime s’est arrogée les missions de la marine nationale or ses agents ne sont pas des marins.
Vous plaidez donc pour la dissolution de cette police maritime?
Absolument, parce que l’Etat n’est pas riche pour se doter de deux structures pour faire la même chose, avec les mêmes missions. L’existence de la police maritime ne se justifie pas lorsqu’il y a une marine nationale avec des hommes formés pour faire la police sur la mer et sur la lagune. Menez vos investigations, vous verrez qu’aucun marin digne de ce nom n’approuve la mise sur pied de cette police maritime. Elle n’existe pas légalement puisque les textes de création soumis à l’assemblée nationale n’ont jamais été votés.
La police maritime et la marine nationale se marchaient donc sur les pieds?
On ne se marchait pas sur les pieds mais, eux, voulaient s’arroger les missions de la marine. Ils avaient les moyens financiers. C’est eux qui utilisaient le fonds de près de 4 milliards Fcfa pour s’équiper en zodiacs et en vedettes. Malheureusement, ils n’ont pas la compétence et l’expertise nécessaire. Ils ont voulu envoyer leurs éléments à la marine pour se faire former. Nous avons toujours refusé cela parce que nous estimons qu’être marin est un métier qui s’apprend pendant plusieurs années. Nous n’allons pas permettre à des gens de se substituer à nous après trois mois de formation et banaliser notre métier. Nous disons non. Chaque métier a ses règles et s’apprend dans les écoles. Ce n’est pas après un stage qu’on devient marin. Il y a le b-a ba du métier à apprendre avant de prendre place à bord d’un bateau. La marine nationale est prête à assumer ses missions régaliennes. Elle a seulement besoin qu’on mette à sa disposition ce dont elle a besoin pour fonctionner.
Réalisée par Traoré M. Ahmed
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